«J’ai voté Macron… en me pinçant le nez» : Renaud sort «Métèque», un nouvel album de reprises

Le Parisien

Par Eric Bureau
Le 5 mai 2022 à 05h54

Pour son 70e anniversaire, qu’il fêtera le 11 mai, le chanteur revient ce vendredi avec un album de reprises, «Métèque», et participe le 10 mai à une émission anniversaire sur France 2 avec de nombreux invités. Il nous a accordé une de ses rares interviews.

«J’avais envie de partager ces chansons, qui ont marqué mon enfance et ma vie», confie Renaud, ici au studio Guillaume Tell à Suresnes durant une session d’enregistrement de son album de reprises, «Métèque». David Séchan

Le teint hâlé, la cigarette aux lèvres, Le Parisien du jour sur la table, il nous attend mardi matin sur la terrasse ensoleillée de sa cantine, boulevard du Montparnasse. De plus en plus rare dans les médias, il tient sa promesse de nous parler de son nouvel album, un disque de treize reprises intitulé « Métèque », qui sort ce vendredi 6 mai, et de l’émission « Joyeux anniversaire Renaud » qui sera diffusée le 10 mai sur France 2, la veille de ses 70 ans.

Les interviews, c’est tou­jours une tannée pour ce taiseux, mais il retrouve le souri­re quand son plus vieil ami d’enfance, Jérôme, qui vivait dans le même immeuble por­te d’Orléans, lui apporte com­me cadeau surprise un exemplaire original du quotidien « Combat » du jour de sa nais­sance. le 11 mai 1952. Il nous propose d’entrer dans le café encore vide et, une fois lancé, s’avère plus bavard que prévu.

Pourquoi avoir enregistré un album de reprises et pas de nouvelles chansons ?

RENAUD. J’avais cette idée depuis plusieurs années. J’en chantais certaines pour me chauffer la voix en tournée et je m’étais dit que je les enre­gistrerais un jour. Et puis à l’Isle-sur-Sorgue (Vaucluse), où je vis quasiment à l’année, je m’ennuyais, je n’avais pas d’inspiration pour un nou­veau disque. Je me suis dit :

« C’est le moment. » J’ai fait une liste d’une quinzaine de titres qui m’ont marqué. On a d’abord enregistré en guitare-voix avec mon ami Titi (Thierry Geoffroy) à la mai­son, puis on est montés à Paris avec un formidable arrangeur, Michel Cœuriot. On a ajouté des violons, des guitares, un piano, un accor­déon. Ses arrangements sont super…

Et votre voix, meilleure que sur votre précédent disque, « les Mômes et les enfants d’abord », sorti fin 2019.

Vous trouvez ? Il paraît, mais elle est toujours enrouée, rocailleuse. Je ne l’aime ni sur cet album ni sur le dernier. Je ne l’ai jamais aimée. J’ai réduit la cigarette. Quand je chan­tais, j’étais à quinze par jour, au lieu de quarante. Mais je suis remonté à vingt. C’est plus dur à arrêter que ça (il montre son verre). Je suis au Bitter San Pellegrino. Cela fait un an et demi que je ne bois plus une goutte d’alcool. Je tiens bon.

Ma voix est toujours enrouée, rocailleuse. Je ne l’aime ni sur cet album ni sur le dernier. Je ne l’ai jamais aimée.

Pourquoi êtes-vous accro à la dope ?

Le stress, la vie, la perte de l’enfance, l’angoisse de vieillir, ne pas voir grandir mes enfants, ma fille Lolita, qui est une vraie femme. 41 ans. Malone, qui va avoir 16 ans le 14 juillet. Il s’est remis au pia­no. il joue « Mistral gagnant », j’adorerais enregistrer un jour avec lui. J’ai fait plusieurs thérapies pour comprendre d’où vient ma mélancolie. Je suis une psychothérapie en ce moment, la psy est très sympathique mais elle n’a pas encore réussi à trouver. Mes copains non plus. Mais ça va aller.

Vous avez aimé chanter sur cet album?

Pas plus que ça. Mais j’avais envie de partager ces chan­sons qui ont marqué mon enfance et ma vie. J’ai tou­jours fait des reprises. Dans la rue d’abord puis à Bobino en 1981, je faisais des reprises de chansons réalistes du début du XXe siècle. Ensuite j’ai enregistré « Renaud cante el’ Nord » (en 1993), puis « Renaud chante Brassens » (en 1996) et « la Balade irlan­daise » (en 2009). Quand je suis en manque d’inspiration, j’aime bien faire un album d’interprète. Je suis auteur-compositeur, mais aussi interprète.

Vous n’avez plus d’inspiration ?

Je n’ai écrit que deux nouvelles chansons pour l’instant… Une parle de l’assassinat de George Floyd, « 8 minutes 30 pour mourir », et l’autre est rock, inspirée d’une BD de Margerin, « Je veux une Harley ».

Des treize reprises de cet album, laquelle a le plus compté ?

« Le Temps des cerises ». Je devais avoir 7 ou 8 ans quand je l’ai entendue pour la pre­mière fois, dans un café de banlieue, à Saint-Denis (Sei­ne-Saint-Denis). J’allais voir mon grand-père, qui tra­vaillait à l’usine. C’était l’épo­que où Paris se chauffait encore au charbon. Un prolo charbonnier, le visage noir, l’avait chanté a cappella pour ses copains. C’était boulever­sant, je m’en souviendrai fai­te ma vie. La version d’Yves Montand m’a aussi beaucoup marqué. Brassens m’a donné le goût de l’écriture, Hugues Aufray celui de prendre une guitare et de monter sur scè­ne, pour faire le saltimbanque.

J’attends un nouvel album de chansons originales pour remonter sur scène. Dans trois ans, j’aurai 50 ans de carrière, c’est pas mal.

L’amitié comme l’amour sont les deux moteurs de votre vie…

Oui. mais on a des déceptions dans les deux. L’amitié est fra­gile et l’amour impossible. L’amour, on va droit dans le mur. Je tombe amoureux régulièrement d’amour impossible, femme mariée, femme fidèle… Et beaucoup d’amis sont partis, le comé­dien Philippe Bruneau, le chanteur Johnny Clegg, mon frère aîné, Thierry… Mais j’ai encore le producteur Gil­bert Rozon.

Vous reprenez justement « l’Amitié », de Françoise Hardy…

C’est une icône. À une épo­que, on était fâchés. Elle avait tenu des propos limite FN dans une revue musicale. Je lui avais fait un droit de réponse assez cinglant. On était en froid pendant un moment mais on s’est récon­ciliés. Je l’adore.

Vous en êtes où politiquement ?

Au premier tour de la prési­dentielle. j’ai voté Philippe Poutou. Le plus extrémiste, le plus anarchiste, son combat contre le capitalisme, son mépris du pouvoir… Et j’ai voté contre Marine Le Pen au second, évidemment. J’ai voté Macron une deuxième fois. Mats cette fois en me pinçant le nez. La première fois, je croyais que c’était un homme de gauche, de centre gauche. rassembleur. Mais la retraite à 65 ans. je ne peux la digérer. Aux législatives, je voterai Mélenchon. L’alliance à gau­che, cette espèce de pro­gramme commun, de front populaire, c’est bien. C’est une vraie opposition à Macron.

Vous aviez soutenu et même rendu visite trois fois à Yvan Colonna en prison. Sa mort le 21 mars à la suite d’une agression en prison vous a-t-elle affecté ?

Je tiens d’abord à rappeler que je condamne l’assassinat du préfet Érignac et que je pense très fort à sa famille. J’ai soutenu Yvan Colonna car sa con­damnation a été une parodie de justice. Et son assassinat, dans des circonstances hallu­cinantes, m’a beaucoup affec­té. J’ai pleuré lorsque j’ai appris la nouvelle. Les jours qui ont suivi, j’ai compris que la jeunesse corse manifeste sa colère contre l’État fran­çais. Je les soutiens.

Dans l’émission « Joyeux Anniversaire », diffusée le 10 mai sur France 2, des artistes très différents vous chantent, de Patrick Bruel à Vincent Delerm…

Oui, et cela me touche. J’ai aimé voir Calogero interpré­ter « Pierrot ». Joyce Jonathan reprendre la méconnue « Cœur perdu », la chorale d’enfants sur « Mistral gagnant »… Quand Zaz a chanté « Petite Conne », sur une fille morte d’une overdo­se. j’ai versé ma larme. « Manhattan-Kaboul », je ne suis pas fan, elle est trop consensuelle, je préfère mes chansons mordantes.

Pourquoi n’y a-t-il aucun rappeur ?

Je suis désolé pour eux, mais je ne suis pas fan. Orelsan et Stromae, c’est bien écrit, mais musicalement, je n’accroche pas. Cela me laisse froid. Je suis trop vieux. Je préfère Benoît Dorémus, j’écoute en boucle son nouvel album. Et Angèle, j’aurais bien aimé fai­re un duo avec elle mais elle était en tournée.

Dans l’émission, vous ne chantez pas moins de sept chansons. Vous qui aviez dit que vous arrêtiez la scène…

J’étais terrorisé avant mais j’ai été porté par l’enthousiasme du public. Cela me surprend toujours, cet amour incondi­tionnel. Cela m’a donné envie de remonter sur scène. Mais j’attends un nouvel album de chansons originales pour le faire. Je fais un break. J’ai arrê­té les concerts en 2017. Dans trois ans, j’aurai cinquante ans de carrière, c’est pas mal. Tout le monde me dit que j’aurais dû faire des concerts pour mes 70 ans. Mais je n’en ai pas envie.

« Mistral gagnant », « Manu », « Morgane de toi »… Bénabar et de nombreux autres artistes reprendront mardi, lors d’une émission spéciale, les titres du chanteur iconique.  

Vous n’aimez pas cet anniversaire ?

Ça ne s’arrose pas 70 ans, ça se désespère. Je n’aime pas ça. Vieillir, c’est un naufrage. Je vais quand même les fêter en petit comité, avec ma famille, quelques copains, dont Jean-Paul Rouve. On s’est rencontrés en 2007 au Café de l’homme. Pour son rôle de Spaggiari (dans le film « Sans arme, ni haine, ni violence »), qui était fan de moi, il m’avait emprunté un blouson, des bandanas, un tee-shirt à mon effigie, et on est restés potes.

Dans l’émission, il raconte votre carrière et dit que vous êtes le plus tendre des révoltés. La définition vous plaît ?

Tendre toujours, révolté de moins en moins. Désabusé plutôt. Enfin, je reste révolté bien sûr par l’injustice, la misère, le sort réservé aux femmes et aux enfants, la guerre en Ukraine. Dans l’émission, je porte un tee-shirt avec le drapeau ukrainien, pour manifester en toute simplicité mon attachement à la résistance ukrainienne et protester contre l’impérialisme russe qui me débecte. Je regarde les infos en boucle à la télé. Cela m’inquiète. J’ai peur d’une troisième guerre mondiale.

Quand Zaz a chanté « Petite Conne », sur une fille morte d’une overdose, j’ai versé ma larme. « Manhattan- Kaboul », je ne suis pas fan, elle est trop consensuelle, je préfère mes chansons mordantes.


LA CRITIQUE

★★★☆☆
À prendre ou à laisser

QU’ON AIME OU PAS Renaud, qu’on lui pardonne tout ou rien, on ne peut que lui reconnaître sa sincérité.

Et ce nouvel album studio, le 18e depuis « Amoureux de Paname » en 1975, est à son image. À prendre ou à laisser. Avec ses défauts et ses qualités.

Son principal défaut, on le sait depuis 2006 et l’album « Renaud » (aussi appelé « le Phénix » ou « Toujours debout »), c’est sa voix cabossée, rappeuse, chancelante… Abîmée par l’abus d’alcool et de dopes, elle n’arrive plus à tenir les notes hautes et fait parfois mal aux mélodies. À deux reprises, sur « le Temps des cerises » et surtout « Hollywood », de David McNeil, elle nous fait d’autant plus mal au cœur que les arrangements sont superbes.

Mais sur les treize reprises de « Métèque », la voix de Renaud est objectivement meilleure que sur son album précédent, « les Mômes et les enfants d’abord », sorti fin 2019, période où il fumait comme un pompier. Et son imperfection la rend d’autant plus poignante sur « Si tu me payes un verre », de Serge Reggiani, ou « Nuit et Brouillard », de Jean Ferrât.

Outre la transmission d’un patrimoine musical précieux et souvent méconnu des plus jeunes (la plus récente étant la chanson de Reggiani, parue en 1975), la principale qualité de ce disque, ce sont ses arrangements, signés Michel Cœuriot (Louis Chedid, Alain Souchon, Laurent Voulzy, Michel Jonasz…). Des guitares qui électrisent « le Métèque », de Moustaki, aux violons délicats de « l’Amitié », de Françoise Hardy, et de « la Tendresse », de Bourvil, certaines orchestrations nous emmènent sur de jolis chemins de traverse. La liberté, c’est aussi ce qu’on aime chez Renaud, non ?    É.B.

« Métèque », de Renaud, Parlophone/Warner Music, 14,99 € le CD, 39,99 € le double vinyle.

  

Source : Le Parisien (ici et ici)