Publié le 31-10-2006 à 14h00
Son dernier album, son bébé, sa femme, sa tournée : Renaud dit tout, sans tabou
BRUXELLES L’atmosphère est enfumée et sa cigarette qui se consume dans le cendrier n’arrange rien. Renaud nous propose poliment d’ouvrir la fenêtre de la chambre du très huppé hôtel bruxellois dans lequel il se trouve avec sa petite famille, le temps de quelques interviews. « J’ai arrêté de fumer il y a 8 jours et j’ai tenu cinq jours, sourit-il. C’est si facile d’arrêter mais tellement dur de ne pas reprendre ! Je reprends tout le temps. Pourtant je ne souffre pas tant que ça, je n’ai pas passé cinq jours d’horreur et de souffrance. C’est juste l’habitude, la mémoire des millions d’heure de ma vie où j’ai fumé : je n’arrive plus à concevoir de faire une interview, de parler, de réfléchir, sans fumer. » On évoque alors cet autre vice, qui fait à présent partie du passé : l’alcool. Un jour Romane, sa blonde, lui a posé un ultimatum et Renaud a choisi. « Elle ne m’a jamais dit ça pour la cigarette. Ça marcherait pourtant. Mais elle a plus peur de l’alcool, qui change mon comportement. La cigarette risque pourtant de me faire disparaître prématurément, comme c’est le cas pour un fumeur sur deux. C’est pas très sympa de sa part !, nous dit-il, ironique. Elle ferait mieux de me permettre une petite cuite de temps en temps… Si un jour vous la rencontrez, dites-lui de me faire du chantage… »
C’est que la voix de Renaud a été fortement abîmée par cette « drogue en vente libre », même s’il assure aujourd’hui que ça va mieux. Il brûle d’impatience à l’idée d’aller présenter ses nouveaux bébés sur scène lors de sa tournée qui débutera en février 2007. « Le 23, précisément, soit le jour du 5e anniversaire de détention d’Ingrid Betancourt. La recette de la première date ira aux enfants des rues de Bogota. Il y aura, en première partie, une évocation du drame des otages en Colombie. » Il se souvient alors, un peu consterné, de ses deux dernières tournées. « Il y a 4 ans, j’étais affaibli physiquement par l’alcool et mes cordes vocales s’en ressentaient. C’était pathétique. Il y a 6 ans, dans ma tournée acoustique au piano, c’était terrifiant. Là, ça va mieux. De toute façon, mon public a toujours été très indulgent et m’a toujours pardonné de mal chanter : il ne vient pas voir le chanteur à voix. Il vient pour les idées, les sentiments, je pense, et puis aussi pour les conneries que je raconte entre les chansons. » On risque en tout cas d’avoir une autre version des chansons que l’on retrouve sur ce dernier album : c’est que Renaud n’est pas entièrement satisfait de la direction musicale qu’a pris Rouge Sang. Lolita, sa fille, est du même avis. « Elle trouve à juste titre, comme moi, comme beaucoup de fans, que Rouge Sang et Boucan d’enfer, manquent du côté rock musette accordéon qui faisait un peu ma particularité. Elle trouve que ça tombe un peu plus dans la variété un peu rock, un peu banal, qu’il n’y a plus le charme qu’il y avait naguère. Si je devais refaire cet album, je pense que les solos de guitare seraient remplacés par l’accordéon. Par lassitude, facilité, je n’ai pas été assez vigilant et je ne me suis pas assez imposé. Je ne me suis pas rendu compte que les arrangements de Jean-Pierre Bucolo devenaient un peu convenus. Ça fait un peu vieux rock californien… Lolita prend comme exemple la chanson Adieu l’enfance, qui lui est dédiée : elle l’avait entendue à deux guitares, dans la cuisine. Elle trouve la chanson ratée au final. Je n’ai pas la prétention de révolutionner la chanson française mais musicalement, c’est vrai que j’ai un peu perdu mon identité, si tant est que j’en ai eu une un jour… »
Intarissable, parce qu’il a « peur de ne pas arriver à formuler correctement ses pensées balbutiantes », il poursuit alors en nous expliquant le pourquoi de plusieurs chansons, que certains pourraient qualifiées d’impudiques. Renaud livre, comme toujours en fait, sur Rouge Sang, ses sentiments les plus intimes, sans prendre de gants. « Tant que c’est moi qui parle de ma vie privée, avec l’accord de ma famille, je n’ai pas de problèmes. Je ne veux ni qu’on me la vole, ni la vendre. Ma vie privée, je l’offre. Mes muses, quand je parle d’amour, de ma vie, ce sont mes amours, mes enfants… Mes chansons d’amour n’ont jamais été des fictions, que ce soit Ma gonzesse, Dans ton sac ou Me jette pas pour mon ex Dominique, hier; et aujourd’hui pour Romane, ces cinq ou six chansons d’amour. Et après avoir chanté ce qu’il se passe dans mon coeur, dans ma tête, dans mes tripes, je chante ce qu’il se passe dans mon lit, avec ma tentative de chanson érotique qui a fait rougir Romane, de confusion et de gêne. C’est vrai que c’est très impudique mais quand on est un artiste, on écrit sur ce qu’il se passe au plus profond de soi-même, comme une strip-teaseuse montre son cul. »
Il évoque aussi dans une autre de ses chansons, un thème beaucoup plus grave et beaucoup plus triste : le suicide (Elsa). « Je voulais écrire là-dessus depuis longtemps. Mais je n’y ai jamais pensé moi-même. J’aime la vie au-delà de tout, même pourrie, même alcoolique, même dépressif. Quand je me réveille le matin et que je suis vivant, ça suffit à mon bonheur. Quand j’ai touché le fond, j’ai tapé un grand coup par terre et j’ai eu la main tendue de Romane. Il y en avait eu d’autres, auxquelles j’étais sensible, mais elles n’étaient pas assez fortes peut-être pour me sortir de là. Je ne croyais pas en l’avenir, au couple, en mes chansons, en l’amour des gens pour moi parce que moi-même je ne m’aimais pas. J’étais moche, gros, bouffi. Je suis toujours moche mais ça va mieux. Le monde me désespérait, je n’avais plus envie de le disséquer, de le raconter, de le critiquer. Mais ça a été un épisode douloureux d’une vie de 55 ans magnifiquement heureuse. C’était juste un petit passage à vide. » Aujourd’hui, Renaud va bien. Vous pourrez vous en rendre compte le 3 mai 2007à Forest National.
Renaud, Rouge Sang (EMI).