Je chante le nord…

Charlie Hebdo

N° 58, 4 août 1993

Renaud : Bille en tête

… et je bronze au sud

Apprenant les mésaventures survenues à mon pied préféré, mon Philippe Val de rédacteur en chef, tel un Bernard Kouchner de la presse libre à 10 F, a bondi dans le premier T.G.V. venu direction Avignon, afin de venir consoler dans son indicible souffrance « l’âme de son enfant livrée aux répugnances* ». après avoir parcouru la moitié du département avant de trouver le petit chemin caché qui mène à mes quelques arpents de droits d’auteur, l’ami s’est installé à l’ombre d’un micocoulier, a empoigné ma guitare aux vieilles cordes rouillées par des siècles d’inactivité, et m’a chanté Brassens, Trenet et Paolo Conte. Au bout de trois accords, j’avais plus mal à le pied. « Puisque te voilà guéri, allons boire l’apéro chez Wolinski », me dit-il ensuite. « Il est pas loin d’ici ».

À quatre pas de ma maison, effectivement, sur les flancs du Lubéron, notre confrère se reposait d’une harassante année de Charlie Hebdo, année durant laquelle, sous les ordres d’un rédacteur en chef aussi intransigeant que talentueux, lui comme moi avons travaillé avec ardeur et souffert avec dignité. Georges infusait tranquillement dans son jardin en nous attendant. Il nous accueillit chaleureusement, nous présenta sa femme et sa piscine, beaucoup plus grande et plus profonde que la mienne, je parle bien évidemment de la piscine, bande de crétins. Nous bûmes ensemble le pastis de l’amitié, pastis « Panis », une marque bizarre, inconnue de moi, pas dégueu quand même, bien qu’exhalant des arômes infiniment moins subtils et délicats que ceux du « Berger » qui est à l’anisette ce que les « Barilla » sont aux pâtes, je dis ça un peu parce que je suis pote avec le fabricant qui a son usine à l’Isle-sur-Sorgue. Puis, le soir venant, nous prîmes congé, regagnâmes notre automobile direction Avignon, non sans avoir auparavant salué la fille aînée de Wolinski au bord de la piscine, laquelle avait l’air très bonne, je parle encore de la piscine. Val avait prévu de rencontrer dans la cité des Papes une bande de jeunes qui occupaient leur mois de juillet à vendre Charlie Hebdo aux festivaliers, mission ô combien sympathique quoique peu rémunératrice, et qu’il convenait d’aller saluer et encourager. Les jeunes furent visiblement ravis de nous voir, en chair et en os, et nous fûmes ravis aussi. Nous bûmes ensemble le pastis de l’amitié, pas terrible, je parierais pour du « Granier » fabriqué à Cavaillon, pour ainsi dire du pastis étranger. Après nous être éclipsés, Philippe et moi, pour un frugal et délicieux dîner d’affaires, au cours duquel il envisagea d’augmenter de 30 % le salaire des chroniqueurs de Charlie, nous nous retrouvâmes tous place de l’Horloge afin de consolider l’amitié autour de quelques bières de marques incertaines.

Place de l’Horloge, qui sera l’objet de ma chronique de la semaine prochaine. Car pour vous décrire la faune et la flore poussant le soir dans cet incomparable sanctuaire pour Homo sapiens approximatifs, deux colonnes ne seront point de trop. Je tâcherai pour cela d’éviter le passé simple (dont j’abuse aujourd’hui) pour employer plutôt un futur hasardeux, bien plus de circonstance.

 

* Faites pas gaffe, c’est du Rimbaud.

  

Source : HLM des Fans de Renaud