Le « chanteur énervant » autoproclamé leur fait signe de se calmer quand le responsable de sa maison de disques, Parlophone, prend la parole. « Quand je suis arrivé dans le label, en 2021, tous les fans me disaient « on ne comprend pas pourquoi ça ne sort pas », raconte Antoine Gouiffes-Yan. C’est Lolita qui a fait un travail absolument dingue de recherches et de gestion des droits pour qu’il soit enfin visible du grand public. C’est un honneur pour nous de travailler avec Renaud. Ses chansons ne sont pas des chansons, mais des marqueurs de vie. »
« Nous l’aimons pour sa sensibilité »
Lolita Séchan, qui manage son père depuis un an, rappelle les circonstances du concert, qui sortira aussi le 30 mai pour la première fois dans son intégralité en vinyle et en CD. « Je vais faire court parce qu’il a envie de s’asseoir, rigole-t-elle. En 2007, après sa tournée, il m’a dit qu’il allait faire un concert pour les fans. Il était survolté et extrémiste comme d’habitude. Il leur a demandé leur setlist idéal, ils lui ont dit t’es pas cap. Mais il était cap. C’était un concert fait maison, dingue, hyper engagé. Il avait emmené des objets de chez lui. C’est comme un film de famille. Quand j’ai commencé à travailler avec papa, j’ai commencé par le chercher. La fin est sauvée par les images des fans, parce que la moitié des nôtres a été perdue. »
Comme d’habitude, Renaud n’a rien à dire quand on lui tend le micro. « Sauf que pour un concert de 5h30 j’ai préparé un discours de 5h30 mais je l’ai oublié à la maison, leur dit-il. Je voudrais remercier les fans qui me suivent depuis cinquante ans et vous dire que je serai encore là dans cinquante ans. »
Dans le Grand Rex, comme lors de sa dernière tournée, une banderole est tendue au pied de la scène : « Un demi-siècle de chansons marque nos vies. Merci Renaud. On t’aime. » Ce sont deux fans du Gers et de l’Hérault qui l’ont confectionnée. « C’est un truc de fous ce soir, lancent les deux copines, habillées de robes rouges en bandana. Renaud, c’est notre pape, Habemus Papapoum, nous l’aimons pour sa sensibilité, ils nous touchent comme personne. Il a 73 ans et il est toujours sur scène. Nous n’avons pas vu ce concert culte. Nous sommes euphoriques de le voir enfin et enchantées d’approcher tant de gens qu’on connaît de loin, ses musiciens, Lolita… »
Quand Renaud demande si des spectateurs étaient déjà là à l’époque, Sylvie lève la main. Cette sexagénaire de l’Ain, qui le suit depuis les débuts en 1975, a d’ailleurs gardé le tee-shirt du concert, qu’elle a cousu sur le dos de sa veste en jean. « Je ne sais pas quoi dire, je suis super émue, confie-t-elle. C’était un concert magique, inoubliable, personne d’autre ne pouvait faire un truc pareil. On n’avait jamais vu Renaud comme ça. Même son docteur était venu chanter. »
« À l’époque, je passais ma vie sur les forums de fans »
Dans la salle, beaucoup de ses proches sont là, y compris son fils Malone, sa femme Christine, dite « Cerise », son producteur historique, Bertrand de Labbey, qui n’était pas présent au fameux concert. Même certains de ses musiciens, comme l’accordéoniste Jean-François Berger, dit « Tintin », le voient pour la première fois. « C’est une superbe idée de le retrouver, sourit celui qui l’accompagne depuis 2002. Quand on a fait la Cigale, on avait fait plus de cent concerts de la tournée Rouge Sang. J’étais jeune et franchement je n’en ai pas de souvenirs particuliers de cette soirée. Ah si, je me souviens que des fans étaient assis au bord de la scène. Cela va être une surprise. J’espère qu’elle sera bonne. »
Et la surprise est bonne. C’est le Renaud d’aujourd’hui, dans une version enjouée, qui introduit le film : « À l’époque, je passais ma vie sur les forums de fans, raconte-t-il. J’ai loué la Cigale un samedi après-midi et j’ai apporté plein d’objets de chez moi, comme ce pavé de mai 68. On a eu des petits problèmes techniques à la fin, la sono a pété, les images aussi… Voilà ce qui reste de ce moment magique. »
Et on retrouve pendant 2h10 un Renaud en pleine forme, mordant, drôle, émouvant, la voix éraillée juste ce qu’il faut, entouré de sept fidèles musiciens. Le son est excellent, les images tout à fait correctes jusqu’aux dix dernières minutes, filmées par les fans de l’époque avec les moyens du bord. Le décor est effectivement singulier, avec ses tee-shirts pendus sur une corde à linge, ses photos de famille, avec le portrait de Coluche, sa fusée de Tintin sur la lune…
La setlist est évidemment parfaite, avec tous les classiques de l’époque et plein de titres plus rares comme « Où est-ce que j’ai mis mon flingue », « La teigne », « La blanche ». Même son frère David Séchan, qui le suit depuis toujours et était évidemment de la partie il y a dix-huit ans, est ému. Les fans finissent debout et chantent à tue-tête, comme si leur idole était vraiment sur scène. Mais pour une fois, c’est lui qui assiste au spectacle.