« Je suis excessif en tout » : le chanteur Renaud fête ses 50 ans de carrière

Le Parisien

Portrait

Culture & loisirs, Musique

N° 25089, 23 avril 2025

EXCLUSIF. Le premier album de Renaud est sorti en avril 1975 il y a cinq décennies. À cette occasion, « Le Parisien » publie ce mercredi en kiosque, un hors-série exceptionnel dans lequel vous retrouverez une interview exclusive du chanteur. Extraits.

Par Éric Bureau et Emmanuel Marolle
Le 23 avril 2025 à 06h00

Paris (IVe), le 5 mars 2025. « Je suis en reconstruction et chaque jour qui passe, je me sens de mieux en mieux », nous a déclaré Renaud lors de notre rencontre exclusive au Café de la Gare, où il a débuté en assurant, en 1974, les premières parties de Coluche.
LP/Fred Dugit

« ÉCOUTEZ-MOI, vous, les ringards. » C’est par cette injonction que commence le premier album de Renaud. La chanson s’appelle « Amoureux de Paname », l’album aussi. Il est sorti le 3 avril 1975, il y a cinquante ans, et s’est vendu à 2 000 exemplaires. Des débuts timides mais des chansons déjà insolentes comme cet « Amoureux de Paname », donc, où le chanteur gouailleur, casquette de Gavroche et clope au bec, fustige « les écolos du samedi soir », vante « le béton et le macadam » de la capitale. Les verts pourraient voir rouge aujourd’hui. Qu’importe.

En 1975, le chanteur gouailleur signe un hymne à Paris, « Amoureux de Paname », chanson titre de son premier album dans laquelle il tacle les « écologistes des boulevards ».

L’artiste dit déjà ce qu’il pense dans ce premier album ponctué aussi par « Société tu m’auras pas » et « Hexagone ». Un disque en forme de document, matrice de ce que va être Renaud, de ce qu’il est encore cinq décennies plus tard. Cinquante ans de carrière, ça se fête et ça se raconte. C’est ce que nous avons choisi de faire dans un hors-série exceptionnel du « Parisien », disponible en kiosque dès ce mercredi, récit d’un chanteur unique, engagé et blessé, entre succès lumineux et trous noirs, histoires d’amour et ruptures, triomphes et errances. Mais « toujours debout », à 72 ans – 73, le 11 mai — et plein de projets en tête.

Fini le temps où il accordait des heures d’interviews aux journalistes. Depuis quelques années, malgré son actualité débordante, il ne se confie plus qu’avec parcimonie à de rares interlocuteurs et occasions. Et à chaque face-à-face, dans son QG parisien ou en tournée, il faut batailler pour le faire parler de lui. Mais le taiseux est dans une période « tranquille », et lorsqu’on lui a proposé une nouvelle rencontre pour ses 50 ans de carrière, il nous a répondu favorablement. Un long entretien exclusif dont nous publions ici quelques  extraits.

« Finalement, ça a été facile »

Nous nous sommes donné rendez-vous au Café de la Gare (IVe), l’un des lieux parisiens qui ont compté pour lui. Dans l’entrée de ce petit temple du théâtre, entre les Halles et le Marais, un vieil article jauni rappelle qu’il y a joué et rencontré Coluche. Ce jour-là, il est arrivé la démarche voûtée mais la mémoire vive. « Ça me fait plaisir et, en même temps, ça m’angoisse cet anniversaire, nous lance-t-il d’emblée. J’espérais durer dans ce métier, j’ai réussi. Mais finalement, ça a été facile, j’ai eu de la chance, du talent, entre guillemets, et de bons compositeurs. »

Et pourtant, la musique, ça n’était pas gagné : « Au départ, je rêvais d’être comédien. Près de chez nous, porte d’Orléans (XIVe), on allait tous les jeudis au cinéma l’Univers. J’adorais les westerns et Clint Eastwood. Après avoir arrêté le lycée, je me suis inscrit à un cours de théâtre et j’ai eu des petits rôles dans des téléfilms, la Neige de Noël, Madame Ex, Au plaisir de Dieu, Un juge, un flic… Ça me plaisait bien, mais la musique a pris le pas. »

Devenu artiste de rue avec son ami accordéoniste Michel Pons, il enregistre un premier album en avril 1975. « En 1974, je jouais en première partie de Coluche grâce à son producteur, Paul Lederman, qui nous avait remarqués et nous avait appelés les Loulous. Je n’aimais pas trop ce nom, d’ailleurs… Et puis mon accordéoniste est parti à l’armée, je suis resté seul avec mes propres chansons. Paul Lederman voulait me signer, mais je préférais encore être acteur. Et puis Jacqueline Herrenschmidt et François Bernheim m’ont convoqué dans leur bureau. Je leur ai joué à la guitare dix chansons, et ils m’ont proposé de faire un disque. Je pensais faire un 45-tours, ils m’ont dit un album. Waouh ! Ça a fait plaisir à mes parents et à mes potes. Mais j’en ai vendu 2 000. Pas terrible. »

« Renaud, putain de carrière », hors-série en kiosques dès ce mercredi, 64 p. 4,90 €.

À Moscou, la douche froide

Il vendra 300 fois plus de « Laisse béton » deux ans plus tard et passe de la casquette de Gavroche au blouson de cuir.« Grâce à mon premier album, je suis programmé à la Pizza du Marais, où chantent aussi Julien Clerc, Jacques Higelin, Maxime Le Forestier, Yvan Dautin… Il y a là-bas un petit loubard, qui n’arrête pas de dire laisse béton, le verlan de laisse tomber. Je fréquente des petits loubards de ban­lieue, à Aubervilliers et La Courneuve, et je me mets à chanter comme ils parlent. Je m’identifie à cette famille. C’est un monde dur, il y a des bastons, mais je ne m’en mêle pas. J’observe, je prends des notes, j’en fais des chansons. Je sors Laisse béton, je passe à la radio et le 1er avril 1977, je suis premier du hit-parade RTL des albums. Je m’en souviens parfaitement parce que Monique Le Marcis (directrice de la pro­grammation musicale de la station) m’envoie un télégramme : Non, ce n’est pas un poisson d’avril. C’est une énorme surprise. Je ne croyais pas beaucoup en moi à l’époque. »

Avec Cerise, l’amour de sa vie, en 2024. Les deux tourtereaux se sont rencontrés huit ans plus tôt, sur le plateau de « Merci Renaud ».

Le succès arrive, le flouze aussi. « Ça me faisait plaisir, d’être reconnu dans la rue. Mais j’ai gagné pas mal d’argent et je culpabilisais. Éducation protestante oblige, je n’ai jamais aimé le luxe », se souvient-il aujourd’hui.

Pendant plusieurs heures avec nous, Renaud revient sur son parcours, commente des photos de lui avec son pote Coluche, avec François Mitterrand ou une autre d’un concert à Moscou qui tourne au fiasco en 1985. « J’y espérais trouver un idéal de gauche représenté par le Parti communiste. Mais quand j’entame le Déserteur et cette phrase Quand les Russes, les Ricains feront péter la planète, moi j’aurai l’air malin avec ma bicyclette, la foule manipulée quitte le stade au coup de sifflet des chefs du Parti. Un drôle de coup ! J’en suis revenu désabusé, traumatisé pendant longtemps… et paranoïaque ! C’était bien prétentieux de ma part de penser que le KGB voulait m’éliminer, mais c’était pourtant le cas. J’ai pris mes distances avec le PCF et j’ai écrit Fatigué, qui dit mes désillusions par rapport à la gauche et à la politique en général. »

« Je suis excessif en tout »

Aujourd’hui Renaud ne « suit plus trop l’actualité », pense davantage à lui, à ses proches, son public, ses deux enfants Lolita, 44 ans, et Malone, 18 ans, et à sa nouvelle passion, Cerise, qu’il a épousée en mai 2024. « C’est l’amour de ma vie. Pour mon anniversaire, elle m’a apporté une chemise en bandana, qu’elle avait cousue elle-même. Je ne buvais plus depuis un an, je cherchais une maison à Montmartre, j’étais prêt pour une nouvelle histoire. Chaque jour, je dis à Cerise combien je suis heureux d’avoir sa chemise, c’est un porte-bonheur. »

Malgré les excès de tabac et d’alcool qui l’ont abîmé, Renaud tente de prendre soin de lui. « Je passe une semaine à Nantes, (d’où est originaire Cerise), une semaine à Paris. En ce moment, je fais attention à moi. Je fais du sport, j’ai une coach, je marche, je fais de la kiné faciale (il a fait un petit AVC il y a une dizaine d’années). Je suis en reconstruction et, chaque jour qui passe, je me sens de mieux en mieux. Je me couche à minuit, je me lève à 6 heures, en pleine forme. J’ai arrêté de fumer il y a deux ans, le 8 mars. Je vapote, mais avec excès, trois à quatre recharges par jour. Cerise me fait la guerre. Je suis excessif en tout.  Heureusement que je n’ai pas pris de drogue, je ne serais plus là aujourd’hui. »

Et la suite ? Il sort le 30 mai le live d’un concert historique de cinq heures et demie à la Cigale, en 2007 (lire ci-bas), et prépare un nouveau disque. « J’ai quatre nouvelles chansons. Mais je ne sais pas si je referai une tournée. À chaque fois, je me décide au dernier moment, au pied du mur. »


ANGES GARDIENS

« On lui a évité la mort plusieurs fois »
Bloodi et Pierre, assistants du chanteur

Bloodi (à gauche) et Pierre (à droite) veillent sur Renaud (ici chez lui à L’Isle-sur-la-Sorgue, dans le Vaucluse) depuis dix ans, se relayant un jour sur deux.

ILS TRAVAILLENT avec lui depuis dix ans. Pierre et Bloodi ont passé chacun cinq ans avec Renaud, 24 heures sur 24. Les deux complices se relaient un jour sur deux auprès du chanteur, ne le quittant pas d’une semelle. Même depuis qu’il s’est remarié avec sa nouvelle compagne, Cerise, en mai 2024.

« On a instauré ce système depuis 2015 et on ne veut pas détricoter quelque chose qui fonctionne bien », confie Pierre, 43 ans, facteur de profession et fan de l’auteur de « Morgane de toi » depuis son adolescence. En 2007, il faisait partie des fidèles qui ont assisté au concert historique du chanteur, le 29 septembre à la Cigale, qui a duré… 5 h 30.

« À l’époque, il n’y avait pas tous les réseaux sociaux d’aujourd’hui mais des forums Internet, se souvient Bloodi, ancien plombier de 59 ans, admirateur depuis qu’il a découvert Laisse béton à la télé en 1977. J’en gérais un qui s’appelait Le HLM des fans de Renaud. Régulièrement, Renaud échangeait avec nous. On a d’abord cru que ce n’était pas lui. J’avais dit : Si c’est toi appelle-moi, voilà mon numéro. Il m’a contacté pour me prouver que ce n’était pas une blague. Et on est devenu amis comme ça. Un jour, il a demandé aux fans sur ce forum : C’est quoi votre playlist de concert idéale ? Et c’est comme pour la composition d’une équipe de foot, chacun avait la sienne. Il a dit : D’accord, vous voulez que je chante tout mon répertoire. Et on a répondu : Pas cap. Et il a dit : Si… Cap. »

D’accord, vous voulez que je chante tout mon répertoire… Ok, cap.
Renaud à ses fans avant son concert à la Cigale en 2007

Renaud loue alors la Cigale, à Paris, rassemble ses musiciens, répète des dizaines de chansons pour cette date unique et gratuite. « À ce moment-là, il était en pleine forme, il sortait de la tournée et de l’album Rouge Sang qui avaient été des gros succès, il vivait avec Romane (Serda, son ex-femme), il venait d’être papa (de Malone, qui a 18 ans aujourd’hui). On trouvait sa démarche super », se souvient Pierre.

Caméras HS

Bloodi, lui, se retrouve à organiser l’intendance à la demande de Renaud. « Je me suis occupé de ça avec Marc, un autre fan. C’était en dehors de tous les circuits habituels. Il n’y avait pas d’invités, pas de médias. On a recueilli les adresses mails de 1200 fans et on leur a envoyé un code qui leur permettait de rentrer dans la salle. On n’avait jamais fait, on n’en menait pas large. Mais à part les 100 premiers un peu hystériques qui voulaient être devant, ça a été assez fluide. »

Vu le marathon annoncé, le concert commence à 17 heures pour se terminer à 22 h 30. Renaud joue près de 70 chansons, des classiques, des tubes et des trésors moins connus comme « Tant qu’il y aura des ombres».

« On avait réussi à enregistrer tout le concert en audio, mais les caméras qui filmaient sont tombées en panne de batterie au bout de deux heures et demie, donc on n’avait pas toutes les images, raconte Bloodi. Il a fallu que l’on aille rechercher certaines vidéos faites par des fans, notamment une version de Mistral gagnant reprise par­ tout le public avec des ballons. » Le live CD et DVD sortira le 30 mai, précédé de projections au cinéma pour célébrer les 50 ans de carrière du chanteur.

Un anniversaire particulier pour ses deux anges gardiens. « Je l’écoute depuis l’album Marchand de cailloux, que j’ai découvert à 12 ans, raconte Pierre. J’avais une chance sur un million de le côtoyer après l’avoir rencontré dans un bar. Et maintenant je travaille avec lui depuis dix ans. C’est fou. D’autant plus que, quand on a commencé, il n’était plus en forme du tout. C’était l’après-Romane. Jamais, je n’aurais imaginé qu’il allait refaire un album. Aujourd’hui, il a arrêté l’alcool depuis près de quatre ans, il vient de terminer une tournée de près de deux ans. Il peut descendre très bas mais il a une force en lui… »

« Un vrai gentil, un vrai gosse aussi »

« Je suis surpris qu’il soit encore là, ajoute Bloodi. Il est abîmé par les excès d’alcool, les quatre paquets de dopes par jour. On a connu les rechutes, les séjours en clinique. Il le dit lui-même : on lui a évité la mort plusieurs fois. »

Ses deux camarades ont tenu malgré les années noires. « Ça a été dur, parfois on en avait marre, confirme Pierre. Mais il est hypertouchant. On n’a pas envie de l’abandonner, Renaud. » « C’est un vrai gentil, conclut Bloodi. On est là pour le protéger des mecs qui lui tournent autour. Il pourrait donner sa chemise à un riche. Parfois, il nous a eus à l’usure, notamment quand il rechutait avec l’alcool. Et c’est un vrai gosse, aussi. Il est capable de s’enfiler une tartine de beurre avec de la mayonnaise en te disant dans un sourire : t’as vu ce que je fais ? ». E. M.

  

Source : Le Parisien (ici, ici et ici)