« Je suis fou amoureux » : les confidences de Renaud, reparti dans une tournée fleuve

Le Parisien

Culture & loisirs, Musique

Par Éric Bureau, envoyé spécial à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques)
Le 30 avril 2023 à 06h30 • N° 24470 bis 

EXCLUSIF. Le chanteur nous a accordé, en marge de son concert à Biarritz vendredi 28 avril, sa première interview depuis le début de sa tournée « Dans mes cordes ». De rares confidences sur son retour surprise sur scène, sa santé, la politique et sa compagne, « Cerise ».

Quand Renaud a annoncé en novembre dernier qu’il allait remonter sur scène et se lancer dans une tournée « en toute intimité », la surprise fut générale. Même dans l’entourage du chanteur de 70 ans, beaucoup se demandaient si cela valait le coup, avec sa voix abîmée, et s’il tiendrait le choc, six ans après un « Phénix Tour » achevé sur les rotules. Cinq mois plus tard, les oiseaux de mauvais augure déchantent. Non seulement Renaud assure tous ses concerts et remplit les salles, mais il a annoncé qu’il allait doubler la mise. Aux 44 premières dates, dont 6 en mai à Paris (à la Scala, au Casino de Paris et à l’Olympia), il en a ajouté 39 à partir de septembre !

Biarritz, vendredi. Renaud est désormais heureux avec Cerise, sa nouvelle compagne, avec qui il a acheté une maison.

Il donnait son 24e concert vendredi à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). Les 1400 sièges de la Gare du Midi étaient occupés. Depuis la première, à Avignon fin janvier, l’accom­pagnement du piano, des six violons, deux violoncelles, une guitare et un accordéon a encore gagné en majesté et en densité. Certaines versions sont vraiment splendides, comme « la Mère à Titi » et « la Teigne ». Sa voix est comme toujours à géométrie variable, peinant, raclant, maltraitant « Mistral gagnant », miraculeuse sur « 500 Connards sur la ligne de départ ». Mais quoi qu’il arrive, la ferveur et l’émotion sont au rendez-vous. Après une heure et demie menée cœur battant et une « Ballade nord-irlandai­se » bourrée d’affection, les Basques sont tous debout, chantant avec lui, scandant son nom. Et une heure après, ils sont encore des dizaines à l’attendre devant la salle de spectacle, où il reviendra le 5 octobre.

Renaud, il faut scruter le moindre signe de son visage. Et il sourit plus souvent qu’avant. Comme lors de notre interview, quelques heures avant son concert. Il n’en a donné aucune depuis le début de sa tournée et a mis long­temps à accepter la nôtre, mais, vendredi après-midi, il est au rendez-vous dans le hall de son hôtel. Il est même en avance. Un tee-shirt orange Levis qui laissait apparaître des avant-bras couverts de tatouages (dont le dernier, une paire de cerises), il a le teint hâlé et, comme toujours, il commence par un « je n’ai rien adiré»…

Vous êtes sur les routes depuis trois mois. Comment ça se passe ?

RENAUD. Très bien. On a même rajouté 40 dates à l’automne. Chanter avec ces filles, cela me fait plaisir. Leurs cordes donnent une autre dimension à mes chansons. Je les redécouvre, cela me procure une émotion chaque soir. Les jambes qui flageo­lent, un chat dans la gorge, mais pas de larmes.

Et la voix ?

Ça dépend des soirs. Les pré­cédents, à Toulouse, c’était impeccable. J’ai l’impression qu’avec le temps elle s’amé­liore un peu. Je n’ai jamais été un grand performeur vocal et j’ai des problèmes de diction. Je ne sais pas d’où ça vient, mais j’y travaille avec une coach vocale depuis deux ans.

J’ai arrêté la clope il y a tout juste deux mois. Je l’ai fait pour cette tournée et pour Cerise.

Il y a un an, vous juriez pourtant que vous ne referiez plus de scène…

Ah bon ? Je dis toujours ça. J’étais bien au soleil de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse)… Mais je m’ennuyais. J’ai eu le désir de bouger, de revenir dans des chambres d’hôtel, des salles de concerts, de retrouver mon public. Quand j’ai évoqué cette idée, même mes assistants n’y croyaient pas : « T’es fou, tu n’as plus de voix, tu n’y arriveras jamais. » Mais j’ai tenu bon, comme un défi. Et j’y arrive, c’est « dans mes cordes ». Sans play-back. Je n’en ai jamais fait, je suis fait pour chanter. Pas question de tricher. C’est une question de respect des gens.

Vous avez troqué la cigarette pour la vapoteuse…

J’ai arrêté la clope il y a tout juste deux mois. J’ai fumé jusqu’à trois paquets par jour ! Sur le souffle, je sens la diffé­rence. Je l’ai fait pour cette tournée et pour Cerise (sa compagne). J’ai arrêté l’alcool il y a deux ans et demi. Je suis pénard. Je fais du sport, j’ai une coach à Paris. Le rythme de trois concerts par semaine, ça me va. Je vais tourner encore un an, jusqu’en août 2024, je finirai au Québec, où je n’ai pas chanté depuis quinze ans ! On va enregistrer un album live pour la fin de l’année, mais je ne sais pas quand.

Vous avez avec vos fans une relation extraordinaire…

J’ai le meilleur public de Fran­ce, fidèle depuis cinquante ans. J’ai toujours le trac quand j’arrive devant lui, la peur de lui déplaire. Depuis le début de la tournée, on a allongé le concert de dix minutes. J’ai viré « Rouge-gorge », qui ne plaisait pas, « Adieu minette », que j’avais du mal à chanter, et « Dans ton sac », trop lon­gue. On a ajouté « 500 Con­nards… », « la Bande à Lucien », « la Mère à Titi » et « Ma gonzesse ». Maintenant, ça ne bougera plus, c’est gravé dans le marbre.

À Lille, vous avez failli arrêter votre concert, agacé par un spectateur qui vous filmait…

Ça m’a gavé. Les vidéos, ça passe sur les réseaux sociaux et je n’aime pas ça. Je me suis énervé, mais je n’allais pas punir 1500 personnes à cause d’un crétin. Ça n’arrive pas souvent. Au début des concerts, on avertit que les photos et les vidéos sont interdites, mais, au bout de trois chansons, je dis au public qu’il peut faire des pho­tos. Mais pas de vidéos.

La parano, elle n’a jamais cessé. J’ai toujours peur qu’on m’assassine. Je suis toujours sur mes gardes.

Lors de votre première date à Avignon, votre famille était réunie…

Il y avait Lolita (sa fille), David (son frère), Dominique (sa première femme)… Elle est toujours là pour me soutenir. Mon fils Malone est venu me voir à Lille, il va passer son bac de français, il aura 17 ans
le 14 juillet. C’est important, qu’ils soient là. Cette tournée est importante pour moi.

Vous faites aussi ce périple avec Cerise, votre « amoureuse », à qui vous dédiez sur scène « Cœur perdu ». Vous avez aussi fait ça pour elle?

Bien sûr ! Son arrivée dans ma vie a tout changé. Je suis fou amoureux. Elle me suit depuis trente ans, mais on s’est rencontrés la première fois il y a six ans sur un pla­teau télé (l’émission « Merci Renaud », où elle était assise à sa table). Elle portait des boucles d’oreilles avec des cerises, inoubliables ! C’est pour cela que je l’appelle Cerise (elle s’appelle en réalité Christine et a 42 ans). On s’est retrouvés le 12 mai 2022, le lendemain de mes 70 ans. Elle avait demandé mon con­tact pour m’offrir un cadeau. Elle est couturière (elle est créatrice de vêtements et d’accessoires) et m’a fait une chemise en bandanas. Cela m’a touché, on a discuté, je l’ai invitée à prendre le café à la maison à Paris, puis en Pro­vence, puis en vacances au Cap-Ferret. Cela me donne envie de voyager, de l’emme­ner à Venise, en Grèce, sur l’île de Patmos, où j’ai passé les plus belles vacances de ma vie quand j’étais jeune.

En pleine forme, Renaud, ici sur scène à Nancy (Meurthe-et-Moselle) le 3 février, a ajouté 39 dates à sa tournée qui prendra fin en août 2024, au Québec.

En mai, vous allez revenir chanter à Paris. Vous appréhendez?

Non, je suis content car je vais faire des salles que je n’ai jamais faites : la Scala, les Folies-Bergère, la salle Pleyel (cet automne), avec en pre­mière partie Benoît Dorémus, Marion Roch ; à l’Olympia, Gauvain Sers. Encore une fois. C’est mon chouchou, je suis son parrain.

Que pensez-vous de la chanson française ?

Si je ne dis pas grand-chose, je vais passer pour un vieillard… Je n’écoute quasi­ment que Thiéfaine, Brassens, Cabrel, Souchon, les grands, quoi. Dans les jeunes, à part Gauvain, Grand Corps Mala­de, Bénabar, les Cowboys Fringants… Il n’y a plus du tout d’engagement. La peur de déplaire aux radios, aux réseaux sociaux, ils veulent faire le buzz à tout prix…

Je vais peut-être écrire une chanson sur Macron. J’en dirai du mal avec humour, comme j’ai fait avec Margaret Thatcher.

«J’ai le meilleur public de France, fidèle depuis cinquante ans. J’ai toujours le trac quand j’arrive devant lui, la peur de lui déplaire », confie Renaud.

Il y a un an, vous sortiez « Métèque », vendu à 100 000 exemplaires. C’est peu…

C’est pas lourd par rapport à mes scores habituels, mais j’ai mal chanté… Je m’en veux, car les arrangements sont magnifiques, mais la voix n’est pas au rendez-vous.

À l’époque, vous aviez commencé à écrire deux textes, « J’veux une Harley » et « 8 mn 30 pour mourir », sur la mort de George Floyd, tué par un policier…

La première a paru sur la réé­dition de « Métèque ». La deuxième, il me reste un cou­plet à faire, j’en écris une nou­velle pour Cerise. Cela me donne envie de faire un autre album, bien sûr, mais il me faut dix chansons. Je travaille avec Titi Geoffroy, qui vit aus­si à L’Isle-sur-la-Sorgue, j’ai rencontré l’été dernier Pascal Obispo, un mec sympa, qui fait de belles mélodies. S’il en a pour moi, je suis preneur…

Vous avez accepté de recevoir un NRJ Music Award d’honneur. Pourquoi ?

Pas pour les honneurs, pour le bonheur. Cette radio ne me passe plus depuis longtemps, mais j’y suis allé pour me rap­peler au bon souvenir des jeunes qui écoutent du rap. J’en vois quelques-uns à mes concerts, mais la moyenne d’âge, c’est plutôt 45-50 ans.

Lors de notre dernière rencontre, vous m’aviez parlé de votre psy. Vous l’avez toujours?

Je le vois tous les six mois, et ça ne sert à rien. J’ai tou­jours cette nostalgie de mon enfance, la mélancolie, la parano. Elle n’a jamais cessé. J’ai toujours peur qu’on m’assassine. Je suis toujours sur mes gardes.

Mais vous avez peur de qui?

Je ne sais pas. Ce n’est pas concret, c’est une peur psy­chique…

Vous avez écrit dans votre autobiographie que votre parano était née en 1985 après votre concert à Moscou, où le public était parti après votre chanson pacifiste « Déserteur »…

Ça m’a fait changer radicale­ment l’idée que j’avais du socialisme et du communis­me. Je croyais encore à des idéaux désuets aujourd’hui.

Vous avez deux assistants 24 heures sur 24. Leur présence vous rassure ?

Absolument. Ils sont indis­pensables, ils sont là pour me protéger, me réconforter, me consoler. Ce sont plus que des amis, des petits frères, des mamans, ils sont aux petits oignons avec moi, c’est mon seul luxe.

Quand vous n’êtes pas en tournée, que faites-vous ?

Je suis à moitié à L’Isle-sur-la-Sorgue, à moitié à Paris et à moitié à Nantes. J’ai acheté une maison avec Cerise à Trente-moult (en Loire-Atlantique), un joli village de pêcheurs, une maison de toutes les couleurs. Je suis moins à L’Isle-sur-la-Sorgue, mais j’y vais ce week-end, avant les dates à Marseille. Je lis Stephen King à tour de bras, j’ai adoré aussi le roman « Ce qu’il faut de nuit », de Laurent Petitmangin. Récemment, je suis allé voir Thiéfaine, Gauvain, « Starmania »… Je regarde pas mal de séries aussi, « The Walking Dead », « Stranger Things », « le Jeu de la dame », « Unorthodox », « Breaking Bad », mais moins en tournée…

Cela ne vous donne pas envie de refaire le comédien ?

Non. Je n’ai joué que deux fois (douze fois, en fait) ! Et je ne rejouerai jamais. Josée Dayan m’a demandé récemment, mais c’est fini.

(Une manifestation passe dans la rue.) Vous allez défiler, le 1er Mai?

Non, je suis trop vieux pour ça. Je laisse la place aux jeunes… Et la politique ne m’intéresse plus du tout. La classe politique me déses­père, je n’ai même plus envie de la critiquer.

Il y a un an, vous étiez pourtant remonté contre la réforme des retraites…

Je le suis toujours. Cette réfor­me, c’est une connerie. La France entière est contre et Macron la maintient. Je vais peut-être écrire une chanson sur lui. J’en dirai du mal avec humour, comme j’ai fait avec Margaret Thatcher (la chan­son « Miss Maggie », sur l’ancienne Première ministre du Royaume-Uni). Pour moi, c’est le même style. Je regrette d’avoir voté pour lui, mais face à Le Pen, je n’avais pas le choix

  

Source : Le Parisien (ici et ici)