Avec ses chansons Renaud a fâché Margaret Thatcher comme il avait fâché le PCF. Pourtant, il se voit en doux anarchiste, et ses textes sont étudiés à l’école en France et dans les universités américaines.
TIMIDE, discret, pudique dans la vie, Renaud a provoqué Mme Thatcher avec sa chanson Miss Maggie :
« Femmes du monde ou bien putains qui, bien souvent, êtes les mêmes. Femmes normales, stars ou boudins, femmes en tout genre, je vous aime.
Même à la dernière des connes, je veux dédier ces quelques vers issus de mon dégoût des hommes et de leur morale guerrière. Car aucune femme sur la planète n’s’ra jamais plus con que son frère ni plus fière ni plus malhonnête, à part, peut-être, Madame Thatcher. »
« Il y a longtemps que je voulais faire une chanson sur la folie des hommes, leurs conneries, leurs haines et leurs violences, dit Renaud. Ce qui s’est passé lors du match de football au stade du Heysel a été le détonateur. Les hooligans, qui sont les enfants de la crise, ont un peu comme mère Margaret Thatcher. Miss Maggie, c’est un hymne à la femme et un croche-pied au premier ministre britannique. Je ne pensais pas que cette chanson aurait suscité des réactions en Grande-Bretagne : les chanteurs français sont considérés avec mépris par les Anglais. Tout a commencé par un article de l’Observer, étonné du succès en France de Miss Maggie. Ensuite, il y a eu l’effet boule de neige. Un chanteur anglais m’a même répondu par une chanson où il dit que « les Français ne sont même pas capables, avec leurs hommes-grenouilles, qui portent bien leur nom, de couler correctement un bateau. Leur police est dirigée par l’inspecteur Clouseau. Ils ont apporté la mauvaise haleine, le bidet, le can-can. Leurs femmes ne se rasent pas. Il suffit de leur dire Waterloo pour les humilier. Pourquoi se croient-ils supérieurs, alors qu’en fait ils assument mal leur complexe d’infériorité. Car ils n’ont jamais gagné une guerre. »
« Je comprends d’autant moins Jeremy Nicholas que ma chanson n’attaque pas le peuple anglais. En revanche, je suis ravi de blesser Mme Thatcher, qui n’y va pas de main morte dans sa politique. Les larmes que j’ai versées autrefois sur Bobby Sands, je les ai encore au travers de la gorge. Je viens de finir la version anglaise de Miss Maggie. Je vais me faire beaucoup d’amis et un peu d’ennemis.
– Ce n’est pas la première fois qu’une de tes chansons provoque des réactions.
– Il y a eu en 1980 Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ?, où je disais que « gueuler contre la répression en défilant « Bastille-Nation » quand mes frangins crèvent en prison, ça donne une bonne conscience aux cons, aux nez-d’boueux et aux pousse-mégots qui foutent ma révolte au tombeau ». D’où une rupture entre moi et le Parti communiste, avec qui je n’étais pas déjà cul et chemise. Disons que c’était l’entente cordiale : j’acceptais de faire des galas qu’il organisait.
« L’été dernier, il y a eu l’affaire du Déserteur. J’avais accepté de chanter en URSS dans le cadre du Festival mondial de la jeunesse et j’avais pris soin de préciser que je ne m’adapterais pas au contexte. J’ai donc fait mon tour de chant habituel.
« Le premier soir, ça c’est bien passé, même si le public était manifestement un peu choisi, trop policé. Mais, à la seconde soirée, sur ordre, un tiers des spectateurs se sont brusquement levés et ont quitté la salle après le Déserteur.
– Quelle est la plus belle étiquette jamais collée à ton personnage ?
– Celle de « chanteur énervant ». Mais je me sens quand même assez proche des doux rêveurs anarchistes. J’écris par plaisir, je compose par nécessité, pour pouvoir dire mes textes. Je chante par provocation.
– Certaines de tes chansons sont étudiées à l’école.
– Exact. HLM, par exemple. Il y a aussi des universités américaines qui s’amusent à décortiquer mes textes. Enfin, il y a un professeur au Danemark qui a conçu un bouquin de français uniquement avec mes chansons et mes interviews. Manipulateur de la langue française, c’est flatteur. Bon. Mais je n’écris pas pour ça. Jeune, j’ai surtout lu Maupassant, Vian, Prévert, Céline, un peu, et Drieu La Rochelle beaucoup; de seize à dix-huit ans, Feu follet a été mon livre de chevet. »
Renaud m’est apparu en mai 1968. Il est alors au lycée Montaigne. Sa première chanson (Crève, salope), écrite spontanément au milieu des événements, est reprise par tous les lycéens qui ont une guitare. D’autres suivront : CAL (comité d’action lycéen). Renaud compose beaucoup. Il a abandonné ses études, il a travaillé comme vendeur dans une librairie du quartier Latin, puis comme plongeur et coursier. En 1974, parait le premier album (Hexagone). Mais il lui faudra attendre quatre ans et le succès public de Laisse béton pour que de vraies salles s’ouvrent à lui et qu’il puisse s’entourer d’une équipe de musiciens.
« On m’a attribué la réputation de pratiquer beaucoup le verlan. Dans Laisse béton, seul le titre est en verlan. Dans le Retour de Gérard Lambert, je fais simplement rythmer meuf avec keuf’s. Il y a eu une confusion entre ce que je racontais et ce que je vivais vraiment, ce que j’étais.
« Et puis j’ai rencontré ma gonzesse, j’ai eu un enfant, du succès, ça m’a changé la vie. J’ai eu le désir de chanter autre chose que les bistrots et la zone. Mes premiers textes étaient des poèmes d’écolier. J’écris moins, je fais plus d’efforts, je m’applique.
Ce qui me passionne le plus dans ce métier, c’est la scène, les rapports avec le public, les trucs qui sortent de ton cœur et cinq mille mecs debout, les larmes aux yeux, le briquet allumé et qui t’aiment, qui te bouffent des yeux. Ça m’embêterait d’avoir moins de public, de descendre du jour au lendemain de cinq mille à deux mille, puis, après l’album suivant, de deux mille à huit cents. Il y a plein d’exemples sous les yeux…
« Je chante au Zénith pendant un mois à partir du 20 février. Comme je n’ai pas la prétention de croire que mes chansons et ma tronche suffisent, il y aura du spectacle derrière moi : un beau décor maritime, des belles lumières, des apparitions magiques. Moi, je vais me planter devant le micro et je ne bougerai pas sur scène : je suis mal dans mon corps. C’est paradoxal et contradictoire cette timidité que j’ai en moi. Mais j’ai encore plus peur devant une personne que devant cinquante.
– Il y a la scène, la famille, la mer sur un bateau…
– …Et la pêche à la ligne en rivière. La mer, c’est toujours en famille, toujours avec des potes. La pêche à la ligne, c’est tout seul. C’est la sérénité, le retour sur soi.
« Je n’ai pas envie de jouer le mec heureux, à l’aise dans ses baskets : j’ai parfois des moments de déprime. »
Source : Le Monde