La chanson d’actualité, c’est rarement une bonne idée

L’Obs

Par Julien Bouisset | Publié le 

Le chanteur Pierre Perret vient de sortir une chanson caustique sur la saleté de la capitale gérée par Anne Hidalgo. Un exercice raté qu’il n’est (malheureusement) pas le seul à avoir voulu tenter.

La fausse-bonne idée de Pierre Perret : dézinguer la mairie de Paris sur la saleté dans la capitale, en pleine grève des éboueurs.

« Dans Paris dégoûtant, seuls les rats sont contents. » A 88 ans, Pierre Perret reprend le micro pour une chanson intitulée « Paris saccagé ». Dans une vidéo publiée sur YouTube le 19 mars, on peut voir l’interprète du « Zizi » chevaucher un vélo sur les pistes cyclables de la capitale tout en chantant : « Pauvre Paris, Paris enlaidi, dans quel état ils t’ont mis. Ils avaient prévu le Nirvana, et c’est la bérézina. » Alors que le hashtag « Saccage Paris » fleurit sur les réseaux depuis des mois, le chanteur faussement naïf dévoile sa nouvelle composition dans un timing marketing parfaitement maîtrisé, au moment où des monceaux de poubelles encombrent les trottoirs, en pleine grève des éboueurs contre la réforme des retraites.

Les immondices ne doivent pourtant guère déranger les narines de l’interprète du « Zizi », lui qui vit depuis de nombreuses années dans la campagne seine-et-marnaise. Ce qui ne l’empêche pas d’anathématiser la manière dont Paris est gérée par l’équipe d’Anne Hidalgo (PS). « Pauvre Paris devenu si cra-cra. On sait bien qui t’a fait ça. C’est les crânes de piaf dégourdis, qui bouffent des graines à la mairie. » Ni bobo écolo, ni gaucho, « l’ami Pierrot », comme le chanteur aime à se faire appeler. Le clip, tourné sur fond vert, le met en scène valsant sur sa selle, son éternel sourire aux lèvres, tout en brocardant la municipalité parisienne. Et la vidéo totalise 900 000 vues en trois jours !

« Coronavirus, connard de virus »

Pierre Perret n’en est pas à son coup d’essai. En juin 2020 déjà, le chanteur de la magnifique « Lily » s’inspirait du Covid-19 pour raconter l’histoire des « Confinis », dont le titre était censé faire sourire du confinement. On était loin de Didier Super et de sa réinterprétation de « On va tous crever », spécialement pour « l’Obs » :

D’autres avant Pierre Perret se sont en effet aventurés dans cet exercice périlleux : s’inspirer de l’actualité pour en faire un tube. Mais, il faut bien l’avouer, la qualité est rarement au rendez-vous. La meilleure preuve avec Renaud et sa plus que douteuse « Corona Song ». Masqué comme ses musiciens de son célèbre bandana rougeil s’était (lui aussi !) inspiré de la pandémie. Un titre durant lequel on pouvait le voir s’écrier, poing levé : « Coronavirus, connard de virus. » Il est loin le temps d’« Hexagone »…

D’autres avant Pierre Perret se sont en effet aventurés dans cet exercice périlleux : s’inspirer de l’actualité pour en faire un tube. Mais, il faut bien l’avouer, la qualité est rarement au rendez-vous. La meilleure preuve avec Renaud et sa plus que douteuse « Corona Song ». Masqué comme ses musiciens de son célèbre bandana rouge, il s’était (lui aussi !) inspiré de la pandémie. Un titre durant lequel on pouvait le voir s’écrier, poing levé : « Coronavirus, connard de virus. » Il est loin le temps d’« Hexagone »…

Le chanteur titi parisien s’était déjà frotté à l’exercice en 2016 avec « J’ai embrassé un flic ». Pour ce titre-excuse, le chanteur s’inspirait de l’une des images les plus puissantes de la marche républicaine du 11 janvier 2015, en hommage aux victimes des attentats de « Charlie Hebdo ».

Ce jour-là, un homme avait spontanément fait une accolade à un CRS. Un an et demi plus tard, Renaud imaginait ce titre faiblard. Tout en faisant son mea-culpa post-soixante-huitard envers les « matraqueurs assermentés » qu’il attaquait dans l’un de ces plus grands tubes, quarante ans auparavant.

Les attentats de « Charlie Hebdo » ont beaucoup inspiré, sans trop d’audace, les auteurs-compositeurs français. C’est le cas de Grand Corps Malade qui, bouleversé par les meurtres de Cabu, Charb, Honoré, Tignous ou Wolinski, avait écrit un texte hommage, avant de le faire mettre en musique par John Mamann. Certes, face à l’indignation populaire, « #JeSuisCharlie » avait recueilli plus de 560 000 vues sur YouTube en seulement 24 heures. Mais la rime soudaine de Grand Corps Malade n’était pas la plus subtile de sa carrière. « Les artisans de la liberté ont rencontré leur destinée, ce soir, j’écris pour eux parce que je ne sais pas dessiner. Quoi qu’il advienne, j’ai un stylo car, ce soir, je suis Charlie. »

Une exception toutefois sur « Charlie », grâce à Tryo. Les quatre membres du groupe, grands amis de Tignous, avaient souhaité rendre hommage à ces dessinateurs tombés sous les balles des terroristes. Le sobre « Charlie », publié dès le 12 janvier 2015, était plutôt réussi.

Autre exception notable de chanson qui parvient à s’emparer d’un fait d’actualité, « Fils de France », de Saez. Publié le 22 avril 2002, ce modèle de création primesautière inspirée réagissait violemment au premier tour de l’élection présidentielle française, opposant Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. A seulement 24 ans, Saez signait l’un des plus beaux morceaux de résistance, devenu depuis un hymne des manifestations contre le Front national.

Le 30 avril 2017, Saez avait tenté de reproduire ce succès avec « Premier Mai ». Proposée en libre téléchargement, au format mp3, la chanson se présentait comme un manifeste adressé à Emmanuel Macron, élu quelques jours plus tôt. Le quadragénaire toujours combatif se radicalisait quinze ans après la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002. Dans son viseur, désormais, la finance, dont il entendait « libérer la France des sourires des politicards, des sourires des banquiers ». Un titre bien moins réussi que son précédent.

Comment ne pas se rappeler, parmi tant d’autres, de nombreux brûlots de « rap conscient » ? Avec pour seul exemple « 11’30 contre les lois racistes », morceau d’un collectif de rap enragé sorti en 1997, dans lequel Akhénaton, Assassin ou Ministère A.M.E.R. décidaient de se soulever en musique contre la Loi Debré du 24 avril 1997, qui permettait, notamment, la confiscation du passeport des étrangers en situation irrégulière.

Mais si l’engagement politique du rap français semble toujours plutôt bien lui réussir, il y a un terrain sur lequel il ne devrait pas s’aventurer : le sport. Citons l’échec lyrique de « Ramenez la coupe à la maison », de Vegedream. Un titre écrit durant la demi-finale de la Coupe du monde de football opposant la France à la Belgique et composée la veille de la finale, même si le rappeur originaire d’Orléans ne dévoilera sa prose qu’après la victoire des Bleus.

Ce tube dénué de lyrisme n’est pas sans rappeler celui de Johnny Hallyday en 2002. Avec, « Tous ensemble », écrit par Catherine Lara, Thierry Eliez et Adrien Blaise, le titre du Taulier est devenu la chanson (ringarde) officielle de l’équipe de France de football pour la Coupe du monde 2002. Preuve, s’il en fallait, de l’éternelle vérité professée par Boileau : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. »


Par Julien Bouisset

  

Source : L’Obs