La chanson et l’air du temps

Le Monde

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Par Claude Fléouter

Publié le 10 avril 1975 à 00h00, modifié le 10 avril 1975 à 00h00

LA chanson considérée comme une suite de petits gadgets et comme une manière de faire le maximum d’argent dans le minimum de temps exprime à l’évidence et à sa façon l’air du temps. Mais elle peut aussi ne pas se couper de la vie, inciter à briser le cadre existant, faire passer des révoltes, refléter tout un ensemble de bouleversements, de doutes, d’espoirs et d’échecs. La chanson prend alors parfois une forme d’agitation ou de tract comme avec Jacques le Glou qui détourne notamment les Feuilles mortes, de Prévert et Kosma, et fait chanter à Jacques Marchais (1).

Oh, je voudrais tant que ça devienne. Des jours heureux et la misère finie. Mais maintenant nous sommes des [rebelles

Et l’on peut voir, dans le monde, [aujourd’hui : Les bureaucrates se ramassent à [la pelle.

Tu vois, ça pourrait foutrement bien [changer, les bureaucrates se ramassent à [la pelle.

Leurs syndicats et leurs partis aussi.

Plus généralement, elle devient un moyen non pas tant d’appréhender le monde que de communiquer avec les autres en déchargeant sa tête, en laissant courir sa spontanéité, sa sincérité, sa générosité et ce qui apparaît comme les résonances du quotidien, en étant libre à l’égard de tout le monde. C’est le cas surtout de Jacques Higelin, de Maxime Le Forestier, de l’Occitan Joan Pau Verdier, de Catherine Ribeiro, fraternelle et violente, frémissante de vie et d’angoisse, de Ferré toujours qui envoie encore ses idées dans la rue et s’étonne de voir que les gens n’ont l’air de rien alors qu’ils vivent dans des jours épiques. Il y en a d’autres qui prennent comme eux le temps de vivre et qui jettent leurs sentiments en forme de colère, de dérision, de tendresse et d’humour. Ainsi Renaud.

Accompagné d’un accordéoniste, il a fait « la manche » à la terrasse des bistrots, dans la cour d’immeubles de la périphérie en essayant d’offrir aux gens quelque chose qui a disparu de Paris depuis les années 30 : le chanteur de rue. Renaud (2) boit l’air de Paris depuis toujours, ouvre des « yeux plein d’innocence » sur une ville qui vit encore, traîne dans les ruelles, dans les cours et sur « les pavés qui n’ont pas quitté les faubourgs », quitte à dire au « camarade bourgeois », au « camarade fils-à-papa », de rejoindre « les rangs de la pègre » et de prendre « vraiment son pied ». Et puis, un peu frondeur, un peu romantique, un peu poète, il raconte l’histoire de Gueule d’Aminche, « un gigolo d’la Vache Noire qui aimait d’un amour stupide une bourgeoise des boul’vards ». Rien n’est truqué, rien n’est calqué. Seulement de la vivacité :

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    Source : Le Monde