La chronique à Renaud

Causette

N° 66, avril 2016

Tous les mois, retrouvez Renaud, au gré de ses humeurs et de ses rencontres.

Je sais pas ce qui m’arrive, depuis plus d’un an, j’arrête pas de pleurer. D’abord à cause des attentats de Charlie, puis de ceux du Bataclan, du Petit Cambodge, etc. J’ai versé des larmes de sang. Puis pour le comportement des flics, pompiers et civils découvrant les morts ou secourant les blessés en pleurant comme moi, pleuré chez Charlie pour des amis proches, au Bataclan pour des ami(e)s de ma fille, larmes mêlées aux siennes. Pleuré encore en songeant aux orphelins de toutes ces victimes, de toute cette barbarie.

J’ai pleuré aussi à la lecture de toutes les lettres, mails, textos ou autres posts envoyés sur mes différents sites de fans, j’ai eu les larmes aux yeux à l’écoute de tous ces témoignages écoutés avec attention en ma cantine de la Closerie des lilas, cantine squattée, vampirisée par ces centaines de fidèles venus de France, Suisse ou Belgique pour m’arracher un sourire, une poignée de main, un autographe ou, pire, un selfie… Tout ça grâce à mon « retour » attendu, semble-t-il, par des centaines de milliers d’acharnés de moi, de mes chansonnettes, de mes idées à la con, idées et comportements qui, selon eux, les font vivre et tenir debout.

Pleuré encore à l’écoute d’I Muvrini, que je suis un peu partout en France ou en Belgique, et dont le leader Jean-François Bernardini chante trop bien et écrit de bien jolis textes, pleuré depuis des lustres ma 2CV Dolly, rouge pompier et gris souris, qu’un imbécile de voleur à la con m’a volée, mais je sais qui c’est.

J’ai pleuré hier en allant rendre une petite visite à ma vielle maman, qui est hospitalisée suite à une fracture du col du fémur à 94 ans… La pauvre ne va plus tenir bien longtemps dans ce triste monde où les mamans s’en vont toujours trop tôt comme les vieilles 2CV…

J’ai encore pleuré il y a quelques jours lorsque j’ai vu pleurer Liliane à l’écoute de ma chanson J’ai embrassé un flic, chanson dont la mission première était de faire rire. Ben, elle a pleuré, pis moi aussi du coup.

J’ai pleuré du malheur des uns et de mon bonheur énervant à moi que j’ai.

Finalement, les Anglais ont bien raison de dire : « Un homme véritable pleure et mange des petits gâteaux. » Je dois pas être un vrai homme (bonjour le hiatus…) puisque je n’aime pas les petits gâteaux. Je sais, je suis un enfant qui pleure de rire ou de chagrin mais qui parfois rage dedans, de dents. Que voulez-vous, j’ai l’âme enfantine, l’âme féminine et je pleure comme d’autres respirent, mais pas comme moi qui fume trop et qui pleure d’avance sur mon cancer des bronches probablement à venir…

J’ai, comme je vous disais, une fâcheuse tendance à pleurer à tort et à travers, je pleure (de honte) de me voir dans la glace, pleure dans mon cœur à m’écouter chanter, rarement juste, trop souvent faux, mais toujours vrai j’espère.

Je pleure (c’est une image ce coup-ci) de me voir entouré depuis quelques semaines de gens exceptionnellement gentils et bons comme du bon pain normal, pas Poilâne du tout.

Allez, j’arrête les pleurs, je veux pas faire la fortune de la maison Kleenex, pas passer pour une « gonzesse », comme disent les machos que je hais. OUI, je suis une gonzesse, pas bien roulée, une peu moche, un peu cucul, mais avec un cœur d’artichaut bandant à mort, pleurant tout le temps, mais souriant de voir que j’ai (presque) réussi à pleurer cette chronique, pardon, à l’accoucher, accouchement qui fait pleurer les femmes et rire les parents comme moi qui ai eu le bonheur d’assister à la naissance de mes deux enfants.

Deux enfants qui avaient la chance d’avoir deux belles places assises à l’arrière de ma Deuch…

  

Source : Causette