N° 67, mai 2016
Tous les mois, retrouvez Renaud, au gré de ses humeurs et de ses rencontres.
Une petite chanson de femmes, une chanson inédite, oubliée, une chanson à la Fréhel. Une chanson de moi… La voici.
MARIE MISERE
(Chanson tragique)
C’est sur un grabat misérable
Dans une chambre abominable
Que Marie Misère se meurt
Dans une cité inhumaine
D’une banlieue grise et lointaine
Plus épouvantable tu pleures
Sur son triste lit de détresse
Elle repense à sa jeunesse
Disparue, à jamais partie
Dans les volutes de l’herbe folle
Et dans les vapeurs des alcools
Qui accompagnèrent ses nuits
N’a que trente ans et des poussières
Mais déjà l’ombre froide et fière
De la faucheuse se rapproche
De son pauvre corps décharné
Par une vie de pauvreté
Par une destinée trop moche
T’as pas eu d’chance Marie Misère
Si à ta naissance ta pauvre mère
T’avait app’lé Marie Pognon
T’aurais p’t’être eu une vie moins con
Sans peine et sans soucis
Plus belle et plus jolie
Mais tu t’appelles Marie Misère
Quelle galère !
Sa pauvre mère parlons-en
Est morte elle n’avait pas cinq ans
D’une cirrhose foudroyante
Puis son père l’a abandonnée
Comme on laisse un chien sans collier
Alors commença la tourmente
D’une vie triste et dégueulasse
Un jour la rue un jour la Ddass
Un jour un foyer misérable
Jusqu’à la prison forcément
Où elle passa quelques temps
Avant de finir lamentable
RMiste sans avenir
Sans un ami sans un plaisir
Sans même la télé chez elle
Juste Radio Monte-Carlo
Où elle écoute Jean-Pierre Foucault
Qui rend sa peine moins cruelle
Dans sa détresse malgré tout
Elle rêve encore au beau jour où
Elle rencontrera un homme
Elle le voit droit et honnête
Au volant d’une Opel Kadett
Fringué comme un prince ou tout comme
Serait cadre, agent commercial
Dirigerait une succursale
D’un joli Crédit Agricole
Lui offrirait de beaux bijoux
Une télé couleur et tout
Pour le câble une parabole
Des meubles de chez Conforama
Une cuisine Ikea
Des vêtements et des sandales
Des vacances à Palavas
Et de temps en temps une place
Pour Yves Duteil à la Cigale
Mais de ses rêves il faut qu’elle sorte
Car soudain l’on frappe à la porte
De la sous-pente où elle crèche
C’est un huissier, un commissaire
Costumes sombres, allure austère
Regards durs et mines revêches
« Nous venons saisir tous vos biens
Votre transistor votre chien
Vous nous devez quelques centimes »
Alors Marie Misère hélas
D’un geste de folie, d’audace
S’empare d’un couteau de cuisine
Et frappant les hommes au hasard
Au plus profond du désespoir
Sans réfléchir les assassine
Le sang coule sur ses mains blanches
Du couteau dont elle tient le manche
La lame est au fond des poitrines
Réalisant soudain pas fière
Qu’elle est devenue meurtrière
Marie Misère veut en finir
Avec cette vie de chagrin
Avec ce tragique destin
Qui la poursuit et qui empire
Alors elle ouvre la fenêtre
Du haut de laquelle elle se jette
Adieu pauvre vie de misère
Mais elle tombe c’est trop bête
Sur le toit d’une Opel Kadett
Dont elle tue le propriétaire
C’tait un homme des hautes écoles
Patron d’un Crédit agricole
La morale est sauve quand même
Le hasard de cet accident
A vengé quelques paysans
Ruinés par l’homme le matin même
T’as pas eu d’chance Marie Misère
Si à ta naissance ta pauvre mère
T’avait app’lé Marie Pognon
T’aurais p’t’être eu une vie moins con
Sans peine et sans soucis
Plus belle et plus jolie
Mais tu t’appelles Marie Misère
Quelle galère !
Source : Causette