N° 68, juin 2016
Salut les filles,
Je ne sais pas si vous croyez aux hypnotiseurs, aux magnétiseurs, aux guérisseurs de tous poils, aux acuponcteurs, aux homéopathes, j’ignore si vous faites confiance aux rebouteux, aux marabouts, aux gourous, aux mages, aux sorciers et autres charlatans (à mes yeux), si vous pensez que les médecines parallèles, les méthodes alternatives pour guérir ou soigner les petits ou gros bobos, qui relèguent la médecine traditionnelle et la science, laissent pantois ou morts de rire, c’est selon. Une amie vient de me téléphoner afin de m’annoncer sa visite accompagnée d’un médecin qui va me soigner. « Me soigner de quoi ? » demandé-je.
Ma santé est impeccable, je ne souffre de rien, je viens juste de recevoir les résultats de mon examen du cancer colorectal (examen qu’il est convenue de pratiquer tous les deux ans à partir de 50 ans) et le résumé du labo est sans appel : négatif. Me voilà reparti pour deux and avec une prostate en béton et mes angoisses aux oubliettes. « Mais, me dit-elle, il peut surtout t’aider à arrêter de fumer ! » Alors là, elle a touché un point sensible, je veux bien recevoir ce médecin. La demoiselle débarque donc chez moi avec le mec en question, qui commence par m’embrasser chaleureusement. Ça démarre par terrible… J’ai déjà (et maintes fois) pratiqué l’hypnose, le patch, le Champix, l’acuponcture, l’auriculothérapie, les chewing-gums Nicorette, la clope électronique, me manquait juste la volonté, celle que je n’ai pas pour diminuer, a fortiori pour arrêter définitivement la clope. Le type (que nous appellerons Monsieur X) demande alors à ma copine (que nous appellerons Marina puisque c’est son prénom) d’aller au Casino du coin lui acheter 4 kilos de gros sel de Guérande et des gobelets en plastique. Elle s’exécute pendant que Monsieur X m’explique qu’il n’est pas médecin mais « coach », qu’il est doté d’un don depuis l’adolescence et qu’il a déjà sauvé 84 personnes, toutes atteintes de cancers en phase terminale. Qu’il est régulièrement appelé par la police ou la gendarmerie pour retrouver des disparus – bien évidemment, il en a retrouvé quelques-uns. Lorsqu’il me demande de visiter mon appart, je le suis avec une sorte d’inquiétude, mais surtout un intérêt croissant pour ses pratiques obscures. Dans la pièce qui constitue mon bureau, il se contente de pousser des petits cris et me dit que la pièce est « chargée ». Son pendule oscille en rond au bout de ses doigts jusqu’à ce qu’il se mette à tourner à l’envers au-dessus d’une statuette en plâtre représentant un boxeur au combat. « Je vais m’occuper de luis dans cinq minutes, continuons la visite. » Marina est de retour. Il lui demande de remplir de gros sel une trentaine de gobelets et s’en retourne dans les chambres, la cuisine, les deux salles de bains et même les WC pour les y déposer sous mon lit, sur les étagères, un peu partout. Même topo dans tous l’appart, le tout accompagné de prières inaudibles marmonnées dans sa barbe de quinze jours. « Ça y est, les esprits nuisibles vont disparaître, votre maison était particulièrement chargée, mais désormais elle est saine ! » Avant de me quitter, il me demande l’autorisation de prendre une douche t incite Marina à en faire de même. Il est en sueur, me le fait remarquer et je veux bien en convenir. Leurs vêtements, leur corps sont habités des esprits maléfiques qui hantaient ma demeure. Lorsqu’il me quitte, j’ose lui demander ce qu’il compte faire pour me débarrasser de la clope, il m’affirme alors que nous n’avons pas encore fait tout le « travail », qu’il me revoit demain et que nous partons ensemble pour une période de six mois… « Et je sais que vous partez ces jours-ci à L’Isle-sur-la-Sorgue, je vous y rejoindrai pour continuer le travail et désenvoûter votre autre maison. »
Le lendemain matin, le revoilà chez moi, toujours accompagné de Marina à laquelle il a promis une grossesse d’ici deux mois, elle qui rêve d’un enfant et qui, depuis dix ans, ne parvient pas à tomber enceinte. Il s’attaque alors aux bijoux que je porte : une bague, une alliance, un collier, une gourmette et une boucle d’oreille. Il passe au-dessus de chaque objet avec son pendule et décrète que c’est ma boucle d’oreille qui le tyrannise, car elle serait porteuse d’esprits malsains. Il la plonge dans un bol qu’il a auparavant rempli d’eau bénite (?) et me conseille de l’y laisser vingt-quatre heures.
Vingt-quatre heures plus tard le revoilà chez moi, toujours accompagné de Marina. Il s’assoit à la table de la cuisine et déballe ses petits trésors. Un crucifix grand comme ça, pis une dizaine de petits anges en plastoc genre petits soldats. Il cherche maintenant les personnes de mon entourage susceptibles de me faire du mal. Il en trouve deux : un grand frère qui m’en voudrait et une jeune fille plutôt gentille, qui vient de sortir un bouquin me concernant, mais qui m’envoie des textos chaque jour que Dieu fait, ce qui m’agace prodigieusement. Il demande à Marina de lui trouver des photos de ces deux personnes, elle les trouve (sur Internet) et, selon les désirs du monsieur, les imprime puis les découpe à la taille d’une boîte d’allumettes, Il pose quelques petits anges sur les photos, agite son pendule au-dessus d’eux et me confie que ces individus ne me feront plus de mal. Dont acte.
Foin de ces personnages à présent inoffensifs, qui ne me feront plus de mal (si tant est qu’ils en aient eu le besoin ou l’envie) puisque les voilà « déchargés », « désenvoûtes » passons au meilleur de ma petite histoire. Il me fait m’allonger tout habillé (sauf les bottes) sur une jolie table de massage qu’il trimbale toute la journée avec lui. Il me demande de me détendre et passe les mains sur mon corps magnifique sans jamais rien toucher. Ça chauffe. Il a les mains brûlantes et est de nouveau en sueur. Il s’attarde sur mes poumons et, miracle, moi qui souffrais depuis six semaines d’une bronchite chronique et d’un rhume du nez, me voilà guéri. Je ne tousse plus, n’ai plus les bronches en feu, je commence à me poser des questions sur son « don ». Troisième séance, je n’ai plus de bronchite, ne tousse plus, je m’endors comme un loir et me réveille avec une pêche d’enfer après des nuits de cinq heures. Je descends dans mon Vaucluse, via le TGV, cet après-midi, il me suggère de m’y accompagner. Je lui propose de m’y rejoindre d’ici quelques jours, ce qu’il accepte volontiers.
Grand soleil en Provence, seule la présence de mon saltimbanque me chiffonne un peu. Il dispose une fois de plus une bonne vingtaine de gobelets plains de gros sel un peu partout dans la maison. Il installe sa table et me revoilà allongé pour une séance de désenvoûtement. Je ressors de là usé, fatigué, fracassé, ce qu’il trouve normal, le mal sortant de moi me laisse sur les genoux. « Dans deux, trois jours, quand le mal sera parti, je vous garantis que vous ressortirez de là plus pimpant que jamais », m’affirme-t-il. « Oui, mais moi, hormis ma bronchite finie, j’aimerais bien qu’on en revienne à mon souci majeur : arrêter de fumer ! » « Ça prendra du temps, vous arrêterez tout seul quand le moment sera venu. Nous allons travailler ensemble pendant six mois et vous verrez les résultats ! » Six mois ? Ah bon… Et combien me coûte la séance ? « Je vous fais un prix, donnez-moi 1 500 euros, je vous promets que vous ne les regretterez pas ! Je vais travailler pour vous pendant six mois. » Bon, ben j’attendrai, en attendant voici un chèque de 1 500 balles, allez prendre une douche et on reparle… À ce moment, je pense à mon amie Caroline (infirmière à L’Isle-sur-la-Sorgue), dont la maman souffre d’un cancer généralisé et en est au stade terminal. « Pouvez-vous l’aller voir et la « soigner » ? Ce serait une formidable occasion afin que je ne mette plus en doute vos « dons » de guérisseur. »
Il y est allé hier soir, j’attends maintenant frénétiquement les résultats de son expérience. Toujours est-il qu’il ne l’a taxée que de 200 euros. Deux cents euros pour s’occuper d’un cancer en stade terminal et 1 500 pour ma gueule en attendant qu’il me guérisse de mon addiction au tabac…
Je vous tiendrai régulièrement au courant des aventures de ce Monsieur X… En attendant, j’allume ma dixième clope de la journée alors qu’il n’est que midi.
Vous y croyez, vous, aux guérisseurs, hypnotiseurs et autres sorciers… ?
Source : Causette