(Journal inconnu)
Final en queue de poisson
Renaud a fait la nique aux cieux orageux.
Mais après lui, le déluge…
PAR Isabelle Binggeli
2 juillet 1989
«C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend»… l’eau. Les pieds dans la gadoue, le public danse la gigue sous les parapluies. Le sourire, la tendresse et les coups de gueule de Renaud conjurent le mauvais esprit du ciel boudeur. Ultime éclaircie avant le final en forme d’orage: cette fois la pluie est trop forte. Les organisateurs renoncent à continuer. Sage décision. De toute façon la fête était finie, le public s’étant bousculé jusqu’à un abri de fortune. Les deux derniers groupes qui devaient se produire, The Fixx et Gérard Blanchard, l’auraient fait devant trois hommes-grenouilles et un terrain transformé en rizière.
Au baston
Comme au bon vieux temps, Renaud est allé au baston à coup d’accords teigneux: en chœur avec le public, il reprend une de ses chansons-fétiches Hexagone: «Sur son trône, le roi des cons, il est Français ça j’en suis sûr». Plus subtil, le très beau Morts les enfants, ceux de Bophal ou de Bogota. Tous ces gosses qui paient trop cher la démence des grands.
Vie de famille
A l’aise sur scène, complice avec sa bande – trois choristes et cinq musiciens – Renaud frappe dans le tas: les bourgeois, les flics, l’armée en général et la nôtre en particulier, ne ratant pas une si belle occasion de lâcher: «Si vous votez contre le référendum Une Suisse sans armée, je ne vous aime plus.» Le temps d’égratigner les gens de gauche avec «Socialiste» et le chanteur revient à de meilleurs sentiments avec sa chanson en hommage à Coluche, Putain de camion. Sous un capuchon, un môme planté sur les épaules de son père se balance au son de l’accordéon.
Et qui est-ce qui débarque sur scène dans son blouson taille 28? Lola en personne, la fille, la passion de Renaud. Scène de la vie de famille des Séchan: le père, à la guitare, assis à côté de sa petite lui fredonne son hymne à Lola. Le publie n’en demande pas plus. Moment de tendresse, on serre un parapluie, une main, une épaule. Le ciel est magiquement sombre et l’eau de pluie a bon goût.
Trois prénoms en rappel, trois générations de chansons: Rita, la belle des baloches, Manu, le teigneux qui a perdu sa gonzesse, et bien sûr Jonathan Clegg, l’ami d’Afrique.
Renaud, le défenseur des damnés de la terre, a remercié, à sa façon, notre courage d’être là: par solidarité avec nous, les victimes du ciel, il s’est versé une bouteille d’eau minérale sur la tête. Derniers rires avant la tempête.
Source : Journal inconnu