N° 60, 18 août 1993
Renaud : Bille en tête
C’est beau, une nuit, la nuit…
En farfouillant dans des vieux papiers, il y a quelques mois, je suis tombé sur un agenda à moi de l’année 1975, époque où j’avais tellement rien à foutre qu’il fallait que je l’écrive, tellement d’ambition qu’il fallait que je consigne par écrit les « rien du tout » du lendemain qui devenaient, du coup, des projets d’avenir. À la rubrique « à faire » d’une semaine de juin, je suis tombé sur cette petite phrase « Penser à m’intéresser à l’astronomie. »
Les années se sont écoulées, entre-temps je suis devenu champion de France de la chanson, j’ai renoncé à m’intéresser aux étoiles, étant devenu étoile moi-même. Ah ! Ah ! Ah ! Elle est bien bonne ! Et puis, il y a quelques semaines, comme je fêtais mes quarante ans – bientôt quarante-deux – on m’a offert une lunette d’astronomie. Pas une énorme grosse comme un canon qui t’oblige à construire une coupole sur la colline, pas un truc de pros pour voir le bon Dieu dans ses chiottes, mais pas non plus une petite à la con comme ont sur leurs balcons les vicelards qui veulent mater la voisine de l’immeuble d’en face quand elle prend sa douche. Non, une moyenne, disons grosse comme ma bite, la comparaison, pour audacieuse qu’elle paraisse, n’en étant pas moins légitime puisque, lorsqu’on met l’œil au bout de ma bite, comme au bout de ma lunette, on voit mes couilles.
Je l’ai installée dans le jardin et je l’ai réglée un petit moment. Disons deux ou trois semaines. Y avait plein de poulies, de rondelles, de poignées, de vis et de boulons. J’ai cru devenir barge et j’ai pensé un moment à m’intéresser à la broderie victorienne. Et puis, finalement, j’ai réussi à viser une étoile. Dans le ciel, elle était petite comme une tête d’épingle. Dans ma lunette qui grossit environ 500 fois (pas comme ma bite), elle était toujours aussi petite qu’une tête d’épingle. J’ai flippé quelques heures (disons 240), et j’ai compris. Trois millions d’années-lumière divisées par 500, ça fait encore vachement loin. J’ai réalisé que même avec mon matos d’enfer, les étoiles resteront des têtes d’épingle pour l’œil torve de l’Homme et de sa fiancée. Et même moins pratiques, en tous cas pour les ourlets. Alors, après, j’ai essayé de regarder la Lune. J’ai attendu une nuit bien noire, mais quand je l’ai eue y’avait plus de lune. Alors j’ai attendu une nuit bien claire et j’ai fini par choper l’astre d’argent dans mon viseur. Je pensais voir un petit drapeau américain ou une connerie comme ça, une grosse fusée pointue à damier rouge et blanc, un parking, un McDo, je sais pas, moi, un sac poubelle, eh bien, encore une fois, le spectacle fut très décevant. Des cratères tout gris sur un sol tout gris. « Viens vite voir, chérie ! » j’ai dit à ma femme, que j’appelle « chérie », « on dirait les joues de Bernard Tapie ! » Le temps que ma chérie arrive, la Lune était sortie de mon viseur. La salope bouge !!! Alors je me suis souvenu qu’on m’avait dit, effectivement, à l’école, que la Lune tournait autour de la Terre. Je me rappelle que je l’avais pas cru. (À l’époque, un instituteur laïco-marxiste avait même essayé de nous faire croire que la Terre était ronde, j’avais mis ça sur le compte de la propagande bolchevique). Eh ben ! vous me croirez si vous voulez , la Lune bouge plus vite que ma femme qui se maquille pour sortir. Quand elle m’a rejoint dans le jardin, la Lune s’était couchée.
L’autre jour, avec un pote, on a ressorti le télescope pour mater les étoiles filantes. J’ai dit à mon pote « bon courage ! Déjà, les pas-filantes, c’est l’enfer, à choper, de toute façon, si t’arrives à régler cette machine de merde, je te la donne ! » À minuit, on s’est installés peinard dans le jardin, face au nord, comme ils disaient dans Libé, et on a attendu. Putain ! La nuit des étoiles filantes ! J’allais pas rater ça ! Moi qui ai attendu vingt ans pour assouvir mon envie de m’intéresser à l’astronomie… À une heure, quand les moustiques ont commencé à attaquer, on n’avait toujours rien vu, à deux heures ma fille et ses copines ont craqué, sont rentrées à la maison pour papoter je préfère pas savoir de quoi, mais ça gloussait sérieux, à trois heures on s’est couchés sur le capot de la bagnole avec des couvrantes parce que ça commençait à cailler, et à quatre heures moins vingt j’ai vu deux ou trois étoiles filantes normales, c’est-à-dire environ dix fois moins qu’une nuit d’août ordinaire depuis des millions d’années, une nuit « pas des étoiles filantes », une nuit qui fait pas la une de mon journal préféré. Mon pote a rien vu, il a dit « mais non, c’est un avion ! », ma femme a dit « c’est un ver luisant ! », et ses copines ont rien vu non plus, elles dormaient déjà depuis longtemps. Le lendemain matin, on avait tous vachement mal à la nuque, car le ciel, même au nord, ça fait haut à regarder. Mon pote a embarqué dans sa caisse ma lunette d’astronomie qu’il avait finalement réussi à régler, et ma fille a demandé pourquoi je brûlais encore mon Libé.
Sur mon agenda, à la semaine prochaine, dans la rubrique « à faire », j’ai écrit : « Penser à m’intéresser à la biologie moléculaire ».
Bientôt, je vous raconterai ma théorie sur la mémoire de l’eau avec du pastis autour.
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud