N° 176, 1er novembre 1995
Envoyé spécial chez moi
Pourvu qu’elle sorte du cachot avant la ménopause
Ouf ! La petite Sarah est sauvée. La vie est belle. Les journaux télé et papier peuvent remiser aux oubliettes la photo de la jeune fille et les commentaires indignés qui allaient avec. L’information était bouleversante, scandaleuse, émouvante, et l’indignation des journalistes peut-être même réelle. Lorsque l’injustice frappe un enfant du bout du monde, une petite esclave innocente, elle a au moins ceci de bon qu’elle fait grimper l’audimat. Quelques jours…
La mobilisation de l’opinion publique a payé, Sarah ne sera pas décapitée, Sarah est donc sauvée, parlons d’autre chose, parlons football, tiens !
Sauvée, Sarah ? Attendez, je crois que j’ai pas bien entendu… J’éteins ma télé, je reprends mon journal, oui, là aussi ça fait les gros titres : sauvée !
Sauvée, la gamine de seize ans, immigrée, déracinée, privée de son pays, de sa famille, de son enfance, asservie, esclave, soumise, battue, humiliée, violée à l’âge de ma fille par un ignoble pétro-notable bouffi de machisme moyen-oriental ordinaire ? Sauvée, l’enfant qui porte déjà en elle le traumatisme d’un viol subi et d’un meurtre commis ? Sauvée, l’adolescence condamnée à la souffrance quotidienne, à la douleur éternelle dans un cachot des Émirats où elle sera demain maltraitée encore, humiliée encore, violée peut-être encore par ses gardes-chiourmes ?
Arrêté le bras du bourreau, terminée la mobilisation internationale, éteinte l’indignation, ne restent aujourd’hui que la souffrance, la douleur indicible d’une petite fille déjà vieille, déjà cassée, et que l’on dit sauvée parce qu’elle a échappé à une fin effroyable pour être condamnée à un effroi sans fin.
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud