La Philharmonie célèbre Renaud avec une « Putain d’expo », qui démarre ce vendredi

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Magali Rangin
L’exposition Renaud « Putain d’expo » à la Philharmonie de Paris. – Stéphane de Sakutin – AFP

La Philharmonie consacre une « Putain d’expo » à Renaud, évocation de sa jeunesse, de son engagement, de son inspiration, et de cette langue unique, chargée de vieil argot, de verlan, d’humour et d’enfance.

Qu’il râle, éructe ou roucoule, il nous émeut, Renaud. Son langage fait d’argot et de verlan, de phrases enfantines et de syntaxe maltraitée « comme une vieille dame un peu trop rigide », selon ses mots, suscite en nous une émotion profonde et convoque des images vivantes. « Renaud est un moraliste, un thérapeute. Il nous ‘châtie en riant’, nous engueule avec tendresse. C’est pour ça qu’on l’aime », écrit le linguiste Alain Rey dans un texte du catalogue de la « Putain d’expo » que la Philharmonie consacre, jusqu’au 2 mai 2021, au « chanteur énervant ».

Détail de l’exposition Renaud, « putain d’expo ». © Magali Rangin

Elle retrace la jeunesse et l’engagement politique de Renaud, ce « bon temps qu’est mort ou qui reviendra », mais aussi ses amitiés et ses influences. Organisée à l’initiave de David Séchan, son frère jumeau,« derrière [le] dos » de Renaud, « mais sans ‘coup de râteau’ comme dans la chanson », comme l’écrit le chanteur, elle s’appuie notamment sur les travaux de Johanna Copans, qui a publié en 2014 une thèse intitulée Le paysage des chansons de Renaud: une dynamique identitaire, et officie ici en tant que co-commissaire.

« On vous propose d’entrer dans son univers comme on entrerait chez lui », souligne-t-elle.

On y découvre en effet de nombreuses archives personnelles, des photos de Renaud minot avec ses frères et sœurs, de son père, dont il est le portrait saisissant, des documents intimes comme cette lettre hilarante envoyée à son frère Thierry, lorsqu’il avait 10 ans, et où il est beaucoup question de jokari, ou encore ce texte de chanson écrit à 16 ans en Mai-68 sur un cahier d’écolier, intitulé Crève salope. Brassens, Coluche et les copains de Charlie Hebdo y sont aussi en bonne place, avec les BD et la mobylette.

« Les aminches », les « escarpes », les « marlous »

L’exposition explore également, la langue si riche inventée par Renaud, cette langue qui raconte si bien la vie et crée une telle proximité avec son public. « J’essaie d’être chanteur réaliste, pas de proposer du rêve », expliquait-il ainsi à Bernard Pivot, qui l’interrogeait dans Apostrophe en 1986 sur cette écriture si particulière, mélange de « langage jeune et de vieux mots », comme le notait Pivot, lunettes sur le bout du nez.


 

« Renaud, dans son milieu familial, a beaucoup écouté les chansons réalistes, notamment Aristide Bruant – inventeur du mot ‘daron’ – ou des chanteuses comme Fréhel ou Damia », évoque Johanna Copans. « On a l’influence de mots d’argots anciens, qui viennent pratiquement du XIXe siècle, des mots qui sont redevenus populaires grâce aux chansons de Renaud, comme ‘les aminches’, ‘les escarpes’, ‘les marlous’… ».

« Une langue à la fois populaire et très poétique »

« Sa langue traduit aussi l’influence de ses fréquentations en banlieue, dans les années 1970. Il s’est lié d’amitié avec des garçons et des filles, des loubards en mobylette, et s’est mis à parler comme eux. »

« Sur la première décennie de disques, il y a aussi son accent de Gavroche, de titi parisien », ajoute Johanna Copans. « Cette manière de parler fait vraiment partie de son identité. Il a ce côté gueule d’ange, gueule de voyou. »

Une image qui sème les graines de la mésentente avec les médias. « On lui a reproché d’être un fils de bourgeois qui met un perfecto. Mais c’est plus compliqué que cela. Du côté de son père, c’est un milieu plutôt intellectuel et protestant du Sud, la classe moyenne plutôt que la bourgeoisie, c’est une famille d’enseignants. Du côté de sa mère, c’est un milieu ouvrier, prolétaire, communiste du Nord. Donc il n’est ni bourgeois, ni totalement du peuple. C’est ce croisement des racines qui fait que ça devient un joli cocktail. »

Mais la langue de Renaud est loin de se limiter à l’argot et à un parler populaire.

Une « story d’amour »

« En même temps, il en fait autre chose, il invente un vrai langage avec de l’humour, des jeux de mots. Il invente aussi des mots, introduit de l’anglais, comme dans It is not because you are. » Renaud y raconte dans un franglais tordant sa « story d’amour » avec une jeune fille au pair britannique. Il bouscule aussi gentiment la syntaxe, à la manière d’un gamin, comme dans Dès que le vent soufflera (« Je repartira ») ou Ma gonzesse (« celle que j’suis avec »)…

« Il y a l’originalité d’une langue à la fois populaire, très poétique et avec beaucoup d’humour. Et c’est très littéraire, un peu comme chez Louis-Ferdinand Céline, on a l’impression que c’est oral, que c’est une langue parlée. Qu’il ne chante pas, mais qu’il nous parle. »

De nombreux écrivains et poètes figurent dans le panthéon de Renaud. « Il y a enfin l’influence de ce qu’on appelle la ‘langue verte’, celle des écrivains comme Alphonse Boudard, puis San Antonio, ou encore René Fallet, qui était très ami avec Brassens. Il y a aussi Jacques Prévert ».

« Prévert, c’est le premier poète que j’ai lu et que j’ai compris. Je l’ai trouvé accessible, facile et lumineux », livrait ainsi Renaud interrogé sur le plateau de Frédéric Mitterrand en 1989.

De ses lectures et de ses fréquentations, de ses révoltes et de ses amours, Renaud « fait un langage unique, mêlant populisme et tradition littéraire, rythme poétique et éructation, le tout au service d’un esprit de résistance, d’indignation, de révolte, de la haine des pouvoirs établis, et aussi d’une tendresse moqueuse d’une requête de lucidité, de vérité, d’un besoin inextricable de violence et d’émotion », comme l’écrit Alain Rey, qui livre ainsi un vibrant résumé de l’oeuvre de Renaud.

 

Renaud « Putain d’expo », du 16 octobre 2020 au 21 mai 2021 à la Philharmonie de Paris – musée de la musique. Allez-y, il y a même un parking pour garer votre mob’.

Cheffe de service culture et people BFMTV

  

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