N° 53, 30 juin 1993
Renaud : Bille en tête
« Le Canard » m’en bouche un coin-coin (rires)
Lundi. Je passe au journal pour ma dernière conférence de rédaction. Dans mon casier à courrier, je découvre les milliers de lettres de déception qui me sont parvenues suite à l’annonce de mon intention d’arrêter cette chronique. Cela me touche beaucoup. Une seule pourtant me fera changer d’avis : celle d’un lecteur ravi de ma démission, qu’il espérait plus tôt. Après les insultes de rigueur, il me reproche un sac de golf aperçu dans le coffre de ma voiture il y a quelques années lors d’un concert à Bourges. C’est injuste ! Il y a longtemps que je ne pratique plus trop ce sport, qui s’est par trop ignoblement démocratisé. Maintenant, je joue au polo.
Bon, j’annonce à mon rédac’chef préféré que je reste encore un an avec vous. Mais je change de formule. Au lieu d’une chronique par semaine, je vous livrerai dorénavant un carnet de bord. Du lundi au lundi, chaque jour quelques lignes qui vous parleront de tout et de rien, mais surtout de rien. Aussi sec, le salaud me pique l’idée pour sa chronique de la semaine dernière.
Mardi. Branle-bas de combat au journal. Cabu revient du Canard enchaîné et nous annonce que le volatile publie demain un papier sur les collusions entre extrême droite et extrême gauche. L’article se termine par cet intertitre : « Dérapage antisémite de Renaud à Charlie Hebdo ». Citant une vanne il est vrai maladroite pondue dans une chronique d’août 1992 (!) et ironisant sur le sionisme que j’attribuais à la par ailleurs délicieuse Anne Sinclair, le Canard n’hésite pas à comparer Charlie avec National Hebdo. Mine de rien, je suis meurtri par cette accusation, je ne dors pas de la nuit, j’en profite pour me relire un bon vieux Desproges. Je tombe sur le passage où il cite la Sinclair : « Je n’aurais pas pu tomber amoureuse d’un non-juif. » Une aventure entre elle et moi est, décidément, bien mal barrée…
Mercredi. Article élogieux sur Charlie dans Libé. Je redonne ma démission à Philippe Val. Tous les collaborateurs du journal sont cités, ma pomme exceptée. Bon, ça va, je resigne pour deux ans.
Jeudi. Montand et Signoret s’étaient mariés à la Colombe d’Or, B.-H. L. et Arielle nous font un remake dans le même bar à cons. J’ai beau chercher, je crois que c’est le seul point de comparaison entre les deux célèbres couples disparus.
Vendredi. Bernard Tapie est entendu par un juge à propos d’une corruption de joueur. Maintenant, il lui va falloir en plus corrupter un juge…
Samedi. Johnny inculpé d’abus de biens sociaux. Une histoire de trois cents briques, étouffée vite fait bien fait. Un scandale pareil, j’ai peur qu’il ne s’en remette jamais… Sa carrière est foutue ! Non ? Ah bon…
Dimanche. Coup de fil de l’organisateur de l’expo Arts Stars, où les Parisiens peuvent admirer quelques-uns de mes tableaux modernes dont je vous parlais dans une récente chronique. Il en a vendu un ! Du coup, j’ai ressorti mes pinceaux et barbouillé deux-trois nouvelles toiles. Quand mon chien a vu la toute jaune avec des rayures jaunes, il m’a mordu.
Lundi. Bill Clinton justifie son bombardement sur Bagdad par la légitime défense à retardement. Un peu comme si le journaliste du Canard justifiait son papier de la semaine dernière par le fait que je le traite d’enculé aujourd’hui.
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud