La voix fragile de Renaud continue de nous émouvoir

Ouest-France

Rencontre

Jeudi 5 mai 2022

Dans son dernier album, Métèque, qui sort demain, Renaud reprend de grandes chansons françaises. Il leur donne ses intonations dans des interprétations souvent poignantes.

Avec cet album, qui sort demain, le chanteur Renaud envoie « une nouvelle carte postales ».
Photo : Stéphane de Bourgies

Avec Métèque, c’est carrément le troisième album que Renaud publie en six ans ! Après Toujours debout (2016) et Les mômes et les enfants d’abord (2019). Des autres grands noms de la chanson française, seul Julien Clerc en fait autant. Sur la même période, Bernard Lavilliers en a publié deux, quand Françoise Hardy, Francis Cabrel, Maxime Le Forestier ou Alain Souchon n’en sortaient qu’un.

La chanson comme éternel antidote à un mal de vivre qui accompagne Renaud depuis plus d’un quart de siècle. On se rappelle sa longue tournée « Une guitare, un piano et Renaud », en trio avec Jean-Pierre Bucolo et Alain Lanty, au début des années 2000, qui l’avait vu sillonner la France des petites salles. Une tournée « thérapie » après avoir sombré dans l’alcoolisme. Chaque soir, le public lui faisait un triomphe.

Garder le lien avec son public

« Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous », pourrait-il reprendre aujourd’hui. Car quand on lui demande s’il aime encore chanter, Renaud hésite avant de répondre : « Pour moi, un album ne suffit pas. Les chansons existent vraiment quand on les chante sur scène, pour les réactions du public, pour jouer avec lui. »

Tout est dit. Il en rêve de repartir en tournée, mais en est-il physiquement capable ? Sans doute pas. « Cela fait cinq ans que je n’ai pas fait de concert, alors j’envoie une nouvelle carte postale », lâche-t-il. Garder le lien avec son public, c’est ce qui semble compter le plus pour lui.

D’ailleurs, si pour la sortie de ce nouvel album, il n’a voulu accorder qu’une poignée d’interviews, il a accepté de participer à une émission de télé, entouré d’invités chantant son répertoire. « Avec du public », a-t-il insisté.

Et quand on lui demande quels sont pour lui, aujourd’hui, les bons moments, il répond : « Des moments comme l’enregistrement de cette émission, devant des gens qui m’aiment et que j’aime. Quand ils ont chanté, ça m’a bouleversé. » Il avoue s’être surpris à pleurer devant l’interprétation de P’tite conne, par Zaz. « Elle l’a remis au goût du jour. Magnifique. »

L’entretien se déroule dans l’un de ses repaires parisiens favoris, La Closerie des Lilas, bar-brasserie du bout du boulevard du Montparnasse, pas très loin de son appartement pari­sien. Il n’y est pas souvent. Il préfère le Sud. Qu’y fait-il ? « Je lis un peu. En ce moment, Sorj Chalandon. »

Assis derrière une table, Renaud a des allures de vieux loup de mer buriné. Devant lui, un cendrier qu’il remplit consciencieusement… Et un verre de Bitter Venezzio, apéritif sans alcool qui a remplacé l’anisette et la bière. « Je ne bois plus une goutte d’alcool depuis un an et demi. »

Certes, il y a encore cette satanée cigarette qui lui râpe la gorge et la voix. Mais pour ce disque, Renaud a fait l’effort de passer de quatre paquets par jour à un seul. Si le souf­fle est un peu court et que la voix res­te rauque, elle a gagné en tessiture, se révélant plus souple que sur son précédent disque.

Reprendre des chansons qui l’ont marqué, celles de ses « maîtres », cela fait longtemps qu’il y pensait. « J’ai toujours eu du plaisir à inter­préter les chansons des autres, à mettre en valeur des titres un peu oubliés. Pour moi, l’interprète est comme un passeur qui transmet l’émotion d’un autre. J’espère apporter un peu de moi à ces chan­sons, sans les trahir. »

Les vieux fans se souviendront de son Bobino 1980, où il avait interprété tout un répertoire de chansons réalis­tes. Et puis, il y a eu Penaud cante et’ Nord, des chansons en picard (1993), puis Renaud chante Bras­sens (1996) et Molly Malone (2009), adaptations de chansons folklori­ques irlandaises.

Cet album, il est né en toute simpli­cité, chez lui à L’Isle-sur-la-Sorgue, près d’Avignon (Vaucluse). « Nous pourrions aller des jours et des jours en studio d’enregistrement, à Paris ou ailleurs, mais pour nous, le mieux, c’est la proximité », assure Thierry Geoffroy. Titi, c’est à la fois le voisin et l’ami. Guitariste, il a déjà réali­sé Les mômes et les enfants d’abord, le précédent album de Renaud, y signant plusieurs compositions.

« C’est toujours lui qui décide »

« Renaud, il a des trucs dans la tête, reprend Thierry. Et ça sort d’un coup. Il veut alors s’y mettre tout de suite. Il y a une vérité avec Renaud, c’est toujours lui qui décide. »

Le chanteur a donc envoyé à son pote une liste de chansons. Et Thierry a débarqué avec sa guitare, un micro et un ordinateur. « Certains jours, ça allait, d’autres moins… » Peu impor­te, les deux complices ont pris leur temps, consacrant plusieurs mois à enregistrer des maquettes.

Après, il fallait les habiller. Thierry a pensé à Michel Coeuriot, génial arrangeur pour Souchon, Voulzy, Chedid, Jonasz. Pour Renaud, celui-ci a accepté de sortir de sa retraite : « Pour trouver le climat d’une chan­son, dit Michel Coeuriot, ce sont les textes et l’interprète qui m’inspirent surtout, de manière à être au plus proche de ce qui lui va. »

Nous voilà donc devant un formida­ble répertoire, le phrasé unique de Renaud et des habillages dynami­ques et originaux. Le Métèque, de Moustaki, prend des accents rock, Le temps des cerises devient très folk, un tambour rythme Nuit et brouillard, de Ferrât, adouci par un accordéon… Et un orchestre de vingt-cinq cordes glisse des émotions supplémen­taires.

À presque 70 ans, le corps fatigué et la voix fragile, Renaud continue de nous émouvoir.

Michel TROADEC.


Repères

Treize reprises

Pour ce dix-huitième album studio (treize titres, Parlophone), la première chanson qui est venue à Renaud, c’est Le temps des cerises, « pour moi l’une des plus belles du réper­toire français ». Son choix s’est éga­lement porté sur un autre traditionnel (La complainte de Mandrin) et une majorité de titres des années 1960- 1970 : L’amitié, chanté par Françoise Hardy ; Ça va ça vient, de Boby Lapointe ; Si tu me payes un verre, écrit par Bernard Dimey et chanté par Serge Reggiani ; La tendresse, qu’interprétait Bourvil ; Bonhomme, de Georges Brassens ; Le jour où le bateau viendra, d’Hugues Aufray ; Je suis mort qui, qui dit mieux, de Jac­ques Higelin… Et puis aussi La folle complainte, de Charles Trenet.

Un volume 2 est prévu un peu plus tard, avec deux titres qui ont déjà été enregistrés. Renaud nous a aussi confié qu’il avait écrit deux nouvelles chansons originales pour un futur album…

Photo : Archives Thierry Creux, Ouest-France

Françoise Hardy émue

Dans ce disque, Renaud a choisi de chanter L’amitié, qu’interprétait Françoise Hardy, dans les années 1960. Et il a souhaité que la chanteu­se entende sa version avant même qu’elle ne sorte. « J’ai été très tou­chée que Renaud ait fait cette repri­se et que ça lui tienne tellement à cœur que je l’entende, nous a fait savoir la chanteuse. J’ai imaginé que c’était un petit message d’amitié de sa part. »

Une émission spéciale

France 2 consacre une émission spéciale à Renaud, intitulée Joyeux anniversaire Renaud, mardi 10 mai, à 21 h 10 (il aura 70 ans, le 11 mai), en présence du chanteur. Avec, en invi­tés, Zaz, Jean-Louis Aubert, Patrick Bruel, Calogero, Élodie Frégé… À la radio, RTL propose une journée spé­ciale Renaud, aujourd’hui, à partir de 9 h.

  

Source : Ouest-France