Le caméscope est l’avenir du con

Charlie Hebdo

N° 163, 9 août 1995

Envoyé spécial chez moi

Cher Philippe Val,

Je t’écris du bassin d’Arcachon où je passe de bonnes vacances et j’espère que toi aussi mais je sais pas où. Il y a beaucoup de monde mais je vois pas trop de gens parce que quand je marche dans la rue ou au port je baisse les yeux parce que les gens me regardent avec des grands yeux et après ils disent « T’as vu ? On aurait dit Renaud… ». Mais comme je suis très bronzé, je crois qu’ils croivent pas que c’est moi, parce que je suis quand même plus beau qu’à la télé ou à la radio. Aujourd’hui j’avais mis un tee-shirt avec écrit dans le dos « Renaud – Tour 95 » et y’a une fille qui a dit « Mais non, si c’était lui il se baladerait pas avec son nom écrit dans le dos ! ». J’allais pas lui expliquer que mes autres tee-shirts étaient sales et que j’avais plus que celui-là et ceci cela… Il y a aussi des gens qui disent rien quand je passe mais après ils me filment avec leurs caméscopes en faisant semblant de filmer le paysage mais je sais bien que c’est moi qu’ils filment parce que quand je leur fais un bras d’honneur après ils arrêtent et ils s’en vont l’air furieux en déblatérant leur éternel argument que c’est la rançon de la gloire et ceci cela aussi… Têtes de nœud ! La gloire je la dois pas à eux, je la dois à mon boulot et à ma sueur, la rançon c’est en bossant qu’on la paye. Pourquoi devrais-je accepter que des beaufs qui m’aiment pas (pis y m’aimeraient que ça serait kif-kif) se fassent paparazzis sur mon dos, que dois-je à ces couillons pour me retrouver en septembre sur leur téléviseur dans un film de vacances à la con avec commentaire pareil ? « Là, c’était à Cap-Ferret, sur le port, regardez qui on a filmé… Là, le type tout maigre qui s’en va… C’est Renaud-le-chanteur ! Si si… Au début on croivait pas que c’était lui parce qu’il était très beau et très bronzé, mais après on a vu son nom écrit dans le dos de son tee-shirt tout propre, du coup Simone l’a filmé parce que quand même c’est pas tous les jours qu’on passe nos vacances avec une vedette ! » « Mais, c’est à vous qu’il fait un bras d’honneur, là ? » « Ouais, t’as vu le bêcheur ! Eh ! Il a qu’à faire un autre boulot si y veut pas être filmé ! Après tout, c’est la rançon de la gloire… Ah, déjà qu’on l’aimait pas, j’peux t’dire qu’on peut plus le blairer, ce con ! »

Heureusement y’a pas que des gens malpolis, y’a aussi plein de gens normaux et même quelques gens formid’ ! Le premier jour j’ai rencontré un ostréiculteur qui bossait au bord de l’eau. Comme je lui posais plein de questions sur son boulot pour essayer de comprendre comment on fabrique les huîtres et tout et tout, le lendemain il m’a emmené dans sa barcasse faire le tour de ses parcs à huîtres. Il avait emporté le casse-croûte et le vin blanc, il m’a pas emmerdé une seconde avec mes chansons, pas filmé ni photographié, on a parlé des coquillages et de Chirac et des autres enfoirés et pis il m’a ouvert des huîtres ramassées à même le nid, et comme je suis assez poli malgré mes bras d’honneur aux paparazzis du dimanche, j’ai pas osé dire que j’aimais pas ça, que j’en avais jamais mangé, que le mec qui me ferait avaler une huître il était pas encore né. Là, le mec, il m’en a fait avaler trois… J’ai pas trouvé ça aussi dégueu que j’imaginais… T’as l’impression de manger un œil mais un œil très frais, très iodé…

À part ça j’ai marché sur une coquille d’huître et je me suis encore ouvert le pied comme chaque année et j’espère que toi aussi pas.

À part ça il fait très beau et j’espère aussi que toi aussi. À la rentrée je t’invite à manger, je t’expliquerai tout comment ça marche, l’ostréiculture, c’est assez compliqué mais je crois que tu comprendras, un peu comme moi quand tu m’expliques comment ça marche, les Essais de Montaigne.

P.-S. : Le bras d’honneur, c’est même pas vrai… J’ose même pas… Mais je le fais dans ma tête à deux bras !

  

Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud