N° 107, juillet 1986
PAR PATRICK EMIROBLU
Robert Charlebois et Jean-Jacques Goldman, un duo étonnant ou détonant? Celui que l’on surnommait il n’y a pas si longtemps notre «Ministre de l’Imagination» a décidé d’effectuer un retour en force sur la terre natale, accompagné pour la circonstance de la plus grande star française de l’heure, Jean-Jacques Goldman.
C’est au terme de la tournée-marathon que ce dernier entreprenait à travers l’Europe que Québec Rock a réuni, quelques heures avant un spectacle présenté à Bordeaux, au beau milieu de grappes d’admirateurs venus investir les lieux, les deux prétendants à un tournoi pacifique et musical qui n’a qu’un seul but: provoquer une immense fête au cœur de l’été québécois.
Québec Rock: Pourquoi ce spectacle ensemble au Québec?
Robert Charlebois: Jean-Jacques Goldman est mon premier choix, parce que j’aime sa musique, pas seulement parce qu’il est le numéro un en France, mais parce que je me suis vu immédiatement sur scène avec lui. J’aime aussi beaucoup Renaud, mais je ne me verrais pas en spectacle à ses côtés. Tandis que Jean-Jacques et moi, on a un peu la même formation d’orchestre, même si on n’a pas la même formation musicale.
Q. R.: On nous a dit que Jean-Jacques était un prix de Conservatoire de violon…
Jean-Jacques Goldman: Non; j’ai appris le violon dans le cadre d’un cours, pendant une dizaine d’années, et je joue aussi de la guitare, du piano et de l’harmonica.
R. C.: Moi, je n’ai pas de Prix de Conservatoire de trompette, mais je joue de la batterie…
Q.R.: Ça marche très fort pour toi en Europe. Il n’y a pas de précédent, question tournée, pour un artiste francophone?
J.J.G.: Si, si, si. Renaud. Sa tournée a été très grosse, elle aussi.
Q.R.: On a fait des parallèles, au sujet de ton immense succès populaire, entre toi et Claude François. Pourquoi lui? La voix, les intonations, les textes?
J.J.G.: Je ne sais pas!
R.C.: En tout cas, ne brûle pas ton ampoule dans ton bain…
J.J.G.: Non, non, non, absolument pas. Claude François était un interprète.
R.C.: Claude François était plutôt un homme d’affaires, ce n’était pas un créateur. Jean-Jacques est un compositeur. Et surtout, il faut le voir en spectacle.
J.J.G.: Oui, mais ce soir, je ne sais pas si ça te donnera une bonne idée. J’ai la voix qui déraille, je suis vraiment crevé. Je viens de me faire au-delà de 130 dates.
R.C.: Pour les cordes vocales, les suppositoires au camphre, c’est imbattable.
Q.R.: 130 dates dans des salles qui font de deux mille à 20 000 places, ça dépasse le million de spectateurs, exact?
J.J.G.: Oui, exact.
Q.R.: Comment s’est déclenché ce succès? Tout d’un coup ou petit à petit?
J.J.G.: Plutôt rapidement. Je n’en suis qu’à mon quatrième album, et c’est ma deuxième tournée seulement.
Q.R.: Ce formidable succès n’est-il pas un peu écrasant?
J.J.G.: Je crois que la seule chose qui soit écrasante pour quelqu’un qui fait de la musique, c’est de ne pas être entendu!
Q.R.: Le spectacle que Robert et toi présentez est-il une simple addition de vos prestations respectives, ou quelque chose de créé pour l’événement?
J.J.G.: Ce sera surtout un spectacle de Robert Charlebois qui me laissera de la place en fonction de sa vision globale du spectacle, puisque c’est son public, son pays, et… son spectacle. Moi, je n’ai pas vraiment de références, c’est donc à Robert de sentir ce qu’il faut faire.
R.C.: Oui, bon, on va arrêter de se disputer… Nous allons présenter la crème de notre matériel, choisi en fonction d’un public de plein air, d’été, avec l’intelligence des circonstances.
J.J.G.: Oui, mais avec cette différence essentielle que Robert est un Dieu vivant au Québec, et que moi, je suis quasiment un inconnu.
R.C.: J’ai certainement l’avantage du terrain, mais l’avantage de Jean-Jacques, c’est d’avoir «rôdé» son spectacle pendant 130 concerts pendant que moi, cette année, je faisais essentiellement semblant de chanter à la télévision française, ce qui n’est pas particulièrement… stimulant.
Q.R.: Et les musiciens?
J.J.G.: On a chacun nos deux équipes.
R.C.: Oui, c’est le battle of the bands.
Q.R.: Battle of the bands… Et aussi un match de tennis, paraît-il, comme concept de mise en scène?
R.C.: Évidemment, on ne jouera pas vraiment au tennis sur scène, mais ça ressemblera certainement plus à un match de tennis qu’à un combat de boxe. Et les balles, ce seront les chansons.
J.J.G.: Ce qui m’a convaincu de tenter l’expérience — Parce que je suis un type très très prudent, qui ne prend jamais de décisions hâtives et qui n’a pas la folie des grandeurs — c’est la personnalité de Robert, qui est un type à qui on ne peut rien refuser, quoi… Il est trop naturel, trop innocent dans sa façon d’être, pour qu’on puisse lui refuser quelque chose. Il n’a rien derrière la tête, il y a uniquement le plaisir de faire de la musique. On ne peut absolument pas refuser ça. Mes chansons tournent un peu au Québec, mais le public n’a pas accroché pour l’instant: il ne suffit pas d’être programmé, parce qu’à la limite, il suffit d’avoir une bonne équipe promotionnelle pour être diffusé. Je n’ai pas eu de signe du public québécois pour l’instant…
R.C.: C’est pour cette raison que notre show peut apporter beaucoup à Jean-Jacques. Quand je l’ai vu pour la première fois, sous un chapiteau, j’ai su qu’il pouvait apporter beaucoup au Québec et je suis absolument sûr de mon coup, parce que si moi, je me plante avec lui, on se plante tous les deux. Il faut donc que ça soit bon et ça va être fantastique, je suis certain que les Québécois vont adorer la musique de Jean-Jacques et que le spectacle aura un énorme succès. ■
Source : Québec Rock