Montréal, vendredi 11 novembre 2011
WEEK END | MUSIQUE
Entrevue avec Hugues Aufray
SYLVAIN CORMIER
Oh! Le beau disque français pas gêné d’être pétri d’Amérique, avec tout un tas de grands musiciens américains à qui Hugues Aufray a dit: «Allez-y!» Il y a l’as des as Charlie McCoy à l’harmonica, et David Hidalgo de Los Lobos à l’accordéon, plein d’autres. L’Americana à ce point-là, il n’y a qu’un Français né à Neuilly-sur-Seine pour oser ça.
C’est la bande sonore d’une vie, voilà la vérité: depuis les années 1950 qu’il ingère du folk bio des trois Amériques, depuis que Dylan est Dylan qu’il chante Dylan. «Pour ceux qui ne me connaissent pas, ou ceux qui m’ont un peu oublié, cet album constitue une sorte d’autoportrait, résume Aufray à son bout du fil. Il y a des réenregistrements, et des chansons que je n’avais jamais faites mais qui me tenaient à coeur. C’est ce que j’aime, ce que j’ai aimé, ce que je suis.» L’album s’intitule Troubador Since 1948. 1948, l’année de sa première photo d’artiste. Celles du livret, montrant Hugues Aufray version Buffalo Bill à 82 ans, sont signées Jean-Baptiste Mondino.
Il y partage J’entends siffler le train avec Françoise Hardy et le mariage des deux timbres est infiniment doux. Il revisite Stewball, Santiano, retrouve sa Céline en toute tendresse, rapatrie Les portes du pénitencier qu’il avait adaptée avec Vline Buggy pour Johnny Hallyday. «Je reprends cette version-là à ma manière, et j’ajoute une version plus littérale, L’Hôtel du soleil levant, pour boucler la boucle.» Ce disque magnifique est en magasin chez nous: il aura la chance de ne pas être magnifique dans le vide. Longtemps, les albums de Hugues Aufray n’ont plus été distribués ici, ou alors, plus récemment, l’étaient à la sauvette. Vous avez vu passer Hugh! en 2007, et New Yorker en 2009, vous? Fallait être fan assidu et attentif. Troubador Since 1948 survient alors qu’il y a depuis peu chez le distributeur Dep une coordinatrice plus qu’efficace pour s’occuper expressément du répertoire francophone d’Universal France.
Ça change tout. Pensez que son grand projet de 2005, l’album Hugues Aufray chante Félix Leclerc, n’a pas eu de sortie au Québec. Du temps que je chroniquais les disques chez Monique Giroux, on avait fait un petit ramdam, en vain.
Incroyable que ça n’ait pas donné lieu à un grand spectacle aux FrancoFolies. «Je n’en reviens pas, moi aussi. C’est un grand échec dans ma vie.» C’est tout juste si on a pensé à l’inviter à Québec pour un show collectif des célébrations du 400e. «Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. En France, quand on a diffusé l’émission produite à partir de ce spectacle, deux couplets sur quatre manquaient à Céline, coupés au montage…» Peut-être n’est-il pas trop tard pour chanter Félix chez nous? «Je voudrais bien. Ça a été tellement important, pour moi, Félix Leclerc. Autant que Dylan…»
Sur ces mots, son portable sonne. Il s’excuse, je l’entends qui s’éloigne un peu, répond. «Renaud, je te rappelle, je suis au téléphone avec le Canada. À tout de suite.» Le revoilà. «C’est le chanteur Renaud.» Tout bonnement, il m’explique la situation. «Il est dans une passe très difficile de sa vie. Sa femme est partie, il a divorcé. Il est de nouveau dans le trou. J’essaie de l’aider à se remettre en état. Je lui ai dit: « quand tu seras assez fort physiquement, on pourrait faire une tournée ensemble, je ferais la première partie, toi la deuxième, je jouerais de la guitare derrière toi ». Voilà. On verra.»
En 2005, c’est Johnny qui tendait la main à Aufray. «Oui. C’est lui qui m’a fait entrer chez Universal. J’ai été sans compagnie de disque pendant 25 ans. C’est comme ça. J’avais des salles pleines, le public était fidèle, mais pour les « majors », je n’existais plus. Ma revanche, c’est que les enfants continuaient de chanter Santiano et Adieu monsieur le professeur dans les écoles de toute la France.»
Ici, il y a du rattrapage à faire, et ce nouvel album est la carte de visite de la dernière chance. Si ça chemine un peu, il viendra. La dernière fois à Montréal remonte à 1995, au Spectrum pour les Francos, j’y étais. «C’est la crise pour tout le monde, on tourne en formation réduite. Mon spectacle, présentement, je le fais à quatre guitares, ça restitue bien l’esprit de l’album. Je crois qu’on pourrait essayer ça chez vous. Il est temps.»
TROUBADOR SINCE 1948
Hugues Aufray
Mercury – Universal – Dep