Le Français terrible nous lance le « Marchand de cailloux »

Le Soleil

Québec, samedi 26 octobre 1991

Cahier E / LES ARTS ET SPECTACLES

La Chanson

Renaud, le Français terrible, a quitté Montréal la semaine dernière, sans avoir provoqué ni esclandre, ni remous.


par FRANCINE JULIEN
LE SOLEIL

« C’est peut-être parce qu’il n’y a pas de conflit majeur chez vous en ce moment ; ni sur Oka, ni sur l’indépendance», glisse le chanteur comme pour s’excuser de n’avoir provoqué quelque petit scandale au pays, lors d’une conversation téléphonique, la veille de son départ pour Paris.

Le petit Poucet Renaud laisse néanmoins sur son passage son Marchand de cailloux (sur les tablettes des disquaires dès lundi), 14 nouvelles chansons aux sonorités plus raffinées, aux propos mieux enveloppés, plus tendres. Il est loin le Gavroche de mai 68, le loubard de ses premiers disques, au milieu des années 70. « C’est que je vieillis ! », dit-il.

Le Soleil, Yvon Mongrain
« Quand on est invité par des amis à manger, on critique pas la nourriture. On dit oui. oui c’est bien, même si c’est pas toujours bien. En France, je peux taper sur la table, cracher dans la soupe, mais pas ici ! »

De L’Hexagone à l’Aquarium

Réalisé au pays de « Miss Maggie » (ironie du sort !), avec Pete Briquette, proche collaborateur de Bob Geldolf, Marchand de cailloux est fidèle aux sonorités un peu celtiques entendues par les quelques privilégiés du dernier Festival d’été de Québec.

Bien sûr, les 500 connards de la course Paris-Dakar, les journaleux et le rédacteur en chef de Libération (« depuis 15 ans que le chante et les pages culturelles de Libé ne m’ont accordé que du mépris ») ou les élus (« mon slogan aux prochaines élections en France, ce sera Votez bien, votez rien! ») en prennent pour leur rhume dans ce nouveau disque.

Mais Renaud penche maintenant pour des chansons qui « arrachent une larme au coin de l’œil de ma blonde », tel que Dans ton sac ou L’aquarium, plutôt que les cris de fureur, dans la lignée de L’Hexagone, pièce que le chanteur semble avoir définitivement rayée de son répertoire…

« Ce n’est pas que je refuse de chanter l’Hexagone, mais je l’ai chantée pendant 10 ans. Je ne veux pas être prisonnier de cette chanson au détriment des autres. Avec des chansons toutes neuves, faut bien que j’en mette d’autres de côté. Ce qui m’a énervé, c’est qu’on me l’a réclamée tout le temps. Je ne veux pas être prisonnier de mon public et je veux faire que ce qui me tente. »

Ma chanson leur a pas plu

À tout prendre, s’il y a une de ses chansons qui ne lui plait plus, c’est peut-être Jonathan, rock’n’roll sur fond de crise sud-africaine. « Jonathan pour moi, c’est pas une grande chanson. Non pas que je veux dire que le reste de mes chansons soit des grandes choses, mais je crois que j’ai inconsciemment essayé de plaire à un public plus jeune. »

Et s’il lance aujourd’hui un petit clin d’œil au Québec dans la suite de Ma chanson leur a pas plu en évoquant le nom de Roch Voisine (« j’lui dis avec un grand sourire/écoute ça calisse/ma chanson elle est pas pire/elle s’appelle Je l’aime en crisse… »), Renaud ne vois pas encore le jour où il choisira la Belle province comme sujet de ses sarcasmes.

« C’est pas que je n’ai pas essayé, souligne-t-il, mais peut-être qu’au fond, il n’y a rien encore au Québec qui me pousserait à écrire un autre Hexagone. Mais peut-être que je devrais essayer de faire une chanson gentille, là ce ne serait pas un problème. »

Le marchand de cailloux français n’est pas encore prêt à lancer des roches aux voisins d’en face de l’Atlantique. « Quand on est invité par des amis à manger, on critique pas la nourriture. On dit oui, oui c’est bien, même si c’est pas toujours bien. En France, je peux taper sur la table, cracher dans la soupe, mais pas ici ! »

Succès d’estime ?

Enfant chéri des Québécois, le Renaud, depuis sa première visite en 84. Mais n’allez pas lui parler de son « succès » chez nous ! « Un tout petit succès au Québec, corrige aussitôt le principal intéressé. Si l’on tient compte du nombre assez peu élevé dans la vente de disques. J’ai même pas un disque d’or chez vous, alors que j’en ai en Belgique, un pays comparable. » Puis, plus tard dans la conversation. Renaud glissera que ses spectacles n’ont pas rapporté un rond à ses producteurs, ou à peine quelques profits pour éponger les déficits des premières tournées.

« La seule fois où je suis parti avec un petit profit, c’est en juillet, à Québec ; grâce au Musée du Québec, qui m’avait donné un joli cachet pour présenter un spectacle chez eux.»

Retour au d’Auteuil ?

Son passage à Québec, l’été dernier, n’avait pas fait que des heureux. Remarquant publiquement qu’on vendait trop de billets pour le nombre de places disponibles dans la salle du bar-spectacles Le D’Auteuil, Renaud avait forcé l’organisation du Festival d’été à tout déplacer vers une autre salle plus grande.

« Moi, j’n’en ai voulu à personne, à part a moi-même. J’ai posé la question au Festival d’été, ils m’ont dit qu’avec le supplément de places vendues à l’institut canadien, ils compenseraient les organisateurs du D’Auteuil. Après l’incident, j’ai essayé d’aller voir les organisateurs du bar Le D’Auteuil et il n’y avait personne ; peut-être étaient-ils allés se pendre sous le pont…

« Mais je me ferai pardonner peut-être en allant chanter au bar D’Auteuil… j’ai une petite idée dans la tête… » Quand ? « Peut-être l’été prochain ? Ce qui est certain, c’est que ce n’est que partie remise… »

  

Source : Le Soleil