Le mauvais sujet repenti

L’Art-Scène

Le Par David Desreumaux

RENAUD : Sans déc’ ! Après cent ans d’absence, on se demandait si l’autonomiste du XIVe arrondissement allait laisser béton. Moins rebelle mais toujours vivant et debout, Renaud revient avec Boucan d’enfer, son nouvel album. L’occasion de faire, en 14 chansons, un état des lieux.

LE MAUVAIS SUJET REPENTI.

Depuis 5 ans, le renard énervant planquait son museau, tapi au fond de sa tanière parisienne. Inspiration à sec, éthylomètre dans le rouge (ou le « jaune » plutôt). Victorieux de ses vieux Malins, Renaud nous revient un peu patraque, le cœur perdu, au fond des bottes, mais avec une envie créatrice retrouvée. Son nouvel album, Boucan d’enfer, pose les frontières d’une carrière réinventée.

Depuis plusieurs années, il y avait comme une brèche béante dans le microcosme de la chanson narrative. Non pas que cette dernière manquait de représentants talentueux, bien au contraire. L’arrivée de la nouvelle garde – Bénabar, Agnès Bihl, Jeanne Cherhal et consorts – conjuguée au plaisir de retrouver les plus affranchis – Sarclo, Leprest, Astier, Béranger et autres – nous a bien souvent gâtés. Oui mais quand même. Un de ses plus charismatiques représentants manquait à l’appel, comme renvoyant toute une génération à la triste condition d’orphelin. Mais voilà, après nous avoir longtemps laissé craindre que l’album de 1994, A la belle de Mai, serait notre solde de tout compte, Renaud revient, à la force de ses mots, avec Boucan d’enfer, un panier garni de 14 nouvelles chansonnettes.

Toute promo en avant, Renaud nous livre un album de souffrance, écrit dans la souffrance. Un album en miroir, une introspection douloureuse née de son séisme conjugal, de son penchant destructeur pour le goulot. « Comme y a eu Gainsbourg et Gainsbarre / y a le Renaud et le Renard » nous annonce l’intéressé dès l’ouverture des hostilités. Et Renaud-Renard de se livrer à une auto-psychanalyse dévoilant l’ambivalence de sa personnalité, « un côté blanc, un côté noir » : « Renaud souffre de tous les maux / Qui accablent ce monde barbare / Il porte les croix sur son dos / Des injustices les plus notoires / Renard désabusé se marre / Se contrefout de ce bazar / Le monde peut crever bientôt / Renard s’en réjouirait plutôt ».

Cette mise à nu, ce repli sur soi, cette fracture sentimentale, Renaud en use à plusieurs reprises, comme pour exorciser sa douleur voire une fatalité qu’il évoquait déjà en 1984, dans sa loge du Zénith : « Tout ce bonheur qui me tombe dessus, tôt ou tard, je devrai le payer ». C’est ainsi que Mal barrés ou Boucan d’enfer dévoilent le pessimisme exacerbé de l’auteur à propos de la question amoureuse mais plus précisément de celle du couple. « Le bonheur reste toujours / l’affaire de quelques jours / Pas d’une vie entière » confie-t-il. Dans la même logique, Renaud adresse cette petite annonce désabusée dans Cœur perdu, titre certainement le plus abouti de l’album : « Cœur à prendre, pas à vendre, à donner / Un peu naze, un peu d’occase, un peu cassé / Cœur en miettes, en détresse, en compote / En morceaux, en lambeaux, au fond des bottes ». Un Renaud inhabituel – à la croisée d’un héros romantique werthérien en proie à l’amour impossible – qui vient vérifier – s’il en était encore besoin ! – que « le temps est assassin ».

Certes plus nombriliste, Boucan d’enfer, nous montre néanmoins un Renaud qui révise les gammes qui ont contribuées à sa renommée. Autoproclamé « chanteur énervant » en 1985, militant actif face à moult fléaux et injustices, aujourd’hui, c’est dans le désengagement qu’il cherche sa voie. Une position radicale qu’il évoque dans Je vis caché, à la manière d’un dépôt de bilan : « Loin des meetings, des réunions / Des manifestations de rue / J’écoute la colère qui fond / Sur nos dirigeants corrompus / Mais bouger mon cul, m’engager / C’est pas d’main qu’vous m’y reprendrez ». Cependant, Renaud qui – dans la même chanson – dénonce à tour de bras n’a jamais craint de verser dans le paradoxe. Qu’il s’agisse des médias, de la politique ou du monde du show-biz. Paradoxes qu’il assume pleinement comme cet amour quasi-filial qu’il nourrit à l’égard de Mitterrand et qu’il exprime à nouveau, sous forme d’hommage, à travers Baltique, le labrador du défunt président. Aussi, ce rejet catégorique de toute chose publique, cette façon de faire table rase des idéaux ne s’inscrivent-ils pas à ce même registre du paradoxe ? Renaud creusant plus profond le sillon de sa marginalité n’en apparaît-il pas comme plus engagé ? C’est du moins le sentiment qui perce sous le brocard qu’il adresse à BHL. L’entarté stigmatise – certes – « l’idole de Saint-Germain des prés », mais au-delà, c’est le prêt à penser et la société bourgeoise bien pensante que Renaud fustige de sa plume vacharde mais drôle.

Boucan d’enfer est aussi – et peut-être avant toute chose – l’album de la fidélité. Fidélité à ses amours, à « sa gonzesse », à laquelle il déclare sur Tout arrêter…, « jamais je n’arrêterai de t’aimer » avant de livrer le troublant aveu « Mon cœur ressemble à Tchernobyl / Et ma vie à Hiroshima / Pourtant y’ a bien pire que mourir / Y’ a vivre sans toi. », sur le titre éponyme.

Fidèle, Renaud l’est également en amitié. Bien plus, il replace l’amitié au centre des rapports humains. Les potes, « les vrais de vrai » forment le lien déterminant qui l’a conduit vers son salut. « Je n’ouvre plus mon cœur / qu’à mes potes au bistrot » avoue-t-il sur Tout arrêter… . De bistrots aussi, il est beaucoup question. Lieu incontournable de la fraternité selon Renaud. C’est d’ailleurs là, auprès des amis émérites disparus, qu’il choisit d’élire domicile, quand la faucheuse viendra lui prendre la main. Mon bistrot préféré, nous présente cet inventaire de choix où l’on croise Brassens, Ferré, Brel, Dimey, Prévert, Gainsbourg, Trenet et beaucoup d’autres.

Fidélité toujours, bien plus qu’à des musiciens, c’est à ses amis Alain Lanty et Jean-Pierre Bucolo – qui l’accompagnaient déjà sur la tournée Une guitare, un piano et Renaud – que le Renard a confié la composition des parties musicales de l’album. Il s’en dégage une tonalité plutôt consensuelle qui renoue toutefois élégamment – malgré quelques riffs datés – avec l’électricité.

Alors que l’on pensait que Renaud allait raccrocher son perfecto et laisser son bandana au vestiaire, il fait son retour, encore un peu convalescent. Boucan d’enfer n’est certainement pas le meilleur album de Renaud – bien qu’il soit de très bonne tenue – mais c’est l’album essentiel d’un poète abîmé qui démarre une nouvelle carrière. C’est l’album d’une envie d’écrire retrouvée, un album sans lequel Renaud risquait de perdre toute fonction sociale.

En décembre prochain, Visage Pâle attaquera à nouveau le Zénith parisien. Comme au bon vieux temps !…

d.d.

Renaud – Boucan d’enfer
Virgin – 2002

  

Source : Le HLM des fans de Renaud