Interview
Publié le 03/12/2019 à 08h00
Il a souffert, et il est revenu. Marqué par les deuils et sa bataille contre l’alcool, Renaud publie un touchant 17e album studio, Les Mômes et les enfants d’abord, où il part à la recherche de ses sensations de jeunesse.
Il a arrêté l’alcool… mais pas les cigarettes. Rencontré ce lundi 2 décembre dans un café parisien, Renaud est l’un des derniers à s’offrir le luxe de fumer dans un lieu public. Mais personne ne viendra le verbaliser.
Car Renaud, qui sort son 17e album, Les Mômes et les enfants d’abord, reste l’un des chanteurs préférés des Français, et l’un des derniers représentants d’une époque moins lisse. Devenu rare en interview, il nous a accordé un entretien où il se livre avec honnêteté sur son parcours et les démons qu’il a combattus pour survivre.
Cet album-là n’est pas vraiment fait pour les enfants.
C’est pour les grands qui ont gardé la nostalgie de leur enfance. Et ils sont nombreux.
Les chansons sont-elles venues rapidement ?
Oui. À part deux titres que j’avais dans les tiroirs, tout m’est venu très vite, en cinq jours, en me levant à 5 heures du matin.
« Je suis sobre depuis dix mois. »
RENAUD (Chanteur)
Les enfants d’aujourd’hui sont-ils les mêmes qu’hier ?
Non, ils ont plus de soucis à se faire, avec la mondialisation, le réchauffement climatique, l’esclavagisme que représentent Internet et les réseaux sociaux. Les gamins sont abreuvés de ça. Il y a moins d’insouciance.
Les jeunes se mobilisent partout pour que ça change.
Je les encourage, moi j’ai assez donné.
Vous sentez-vous concerné par la grande grève du 5 décembre ?
Je ne fais pas partie de ceux qui veulent maîtriser les grévistes. Je les soutiens, quoi qu’ils demandent. Je me rappelle des Gilets jaunes. Ce que l’on retient, c’est qu’il y avait parmi eux des casseurs, qui voulaient bouffer du flic. Les black blocs ont cassé des vitrines. Nous, on a fait pareil en Mai 68. Mais là, c’était systématique.
Vous avez beaucoup changé, puisque vous chantez « J’ai embrassé un flic » !
J’évolue. En quarante ans de chanson, j’ai eu le temps de voir les choses différemment. J’aime pas les gens qui ont la haine du flic. Moi, je les aime bien. Il y a des dérives, des bavures, mais ce sont des humains.
Sur votre nouvel album, il y a « Les Animals », qui parle d’un phénix. Vous aimez l’idée d’une résurrection ?
C’était déjà le cas sur mon précédent album, qui sortait après dix ans de silence. La tournée était magnifique. Mais après, j’ai replongé. J’ai trouvé une bonne clinique d’addictologie, où j’ai fait du sport. On m’a donné un traitement pour arrêter de boire. Des médicaments, d’abord, puis plus rien. Je suis sobre depuis dix mois. Par contre, je renais de mes cendres… de cigarette. Ça, j’ai pas arrêté.
Votre album aborde des thèmes particulièrement sombres. Est-ce plus simple de les traiter en chanson ?
Oui. Je parle de mélancolie, de la tristesse infinie et de la dépression, que j’ai connues, puis du suicide. J’en connais des artistes qui se sont suicidés : Nino Ferrer, Allain Leprest… Je ne voulais pas de cette fin-là. Je les regrette.
Vous considérez-vous comme l’un des derniers représentants de la chanson populaire, dans la lignée de Georges Brassens ?
C’est flatteur, mais exagéré. Il y en a de moins en moins, mais il en reste. Il y a Gauvain Sers. Il fait des chansons qui ont du sens.
Vos propres chansons ont marqué leur époque. Comment expliquez-vous qu’elles traversent le temps ?
La fidélité sans borne du public me ravit. J’ai des fans de 7 à 77 ans, comme Tintin.
Comment voyez-vous votre futur ?
J’ai déjà commencé le prochain disque. J’adore écrire, je préfère ça à chanter. Ça, c’est une souffrance.
C’est votre voix qui vous distingue des autres.
On sort un peu du lot. Ça change de Céline Dion ou Florent Pagny…
Vous avez créé un genre…
Quand j’ai commencé, les « idoles des jeunes », c’était Joe Dassin, Claude François, Michel Sardou… J’ai bousculé tout ça avec mon blouson de cuir et mon bandana. J’ai créé un style. Je voulais bouleverser le climat ambiant. « Laisse béton », tellement de gens s’y sont reconnus. C’était perturbant.
On s’habitue au succès ?
Je n’y croyais pas. Au moins jusqu’à « Marche à l’ombre ». Quand on passe à la télé, tout d’un coup, tout le monde vous reconnaît et veut des autographes. Ma fille détestait ça. Elle disait : « Attention, il y a les autographeurs ». Elle n’aimait pas les gens qui lui piquaient son papa.
Rémi Bonnet
Les Mômes et les enfants d’abord, 15 €.
Source : La Montagne