Chacun dans la chanson s’efforce, selon les lois du marché, d’avoir sinon un style, du moins une image, une étiquette qui fait éventuellement perdre son identité propre, mais qui a l’avantage commercial de l’identification immédiate auprès du grand public.
Apparu il y a dix ans dans le show-business avec de gentilles rengaines populaires, Gérard Lenorman a joué à fond la carte d’un romantisme qui pourrait se vendre aux Galeries Lafayette ou au Printemps. L’air du petit prince mignon, propret, la réserve obligée et le visage ébloui par la vie, tendre et un peu espiègle, Lenorman a ainsi navigué toute une décennie avant de vouloir, semble-t-il aujourd’hui, prendre un peu de distance avec une image qui ne correspond plus à une trentaine dépassée et qui paraît surtout désuète depuis que l’ancienne marginalité (Souchon, Lavilliers, Béranger) a pris possession des devants de la scène.
Lenorman a, certes, un métier solide, de l’énergie, une manière de mettre en vie les chansons, de prendre à témoin le public, de le tutoyer comme un interlocuteur unique que l’on a devant soi, de se lancer dans des morceaux de bravoure, des moments de rêve, et de refléter brusquement dans le coin d’un refrain l’air du temps qui l’apparente à Bécaud.
Au Théâtre de la Ville, portant blouson noir et chantant en verlan, en argot à clef, Renaud joue le « loubard », le « loulou » de la zone, qui gouaille, la voix traînante.
Il y a beaucoup de complaisance, de démagogie dans l’esquisse de personnage qui apparaît ainsi chez Renaud. Il y a tout un folklore exploité, cultivé à dessein. Mais il y a aussi brusquement un ton juste, une authenticité dans les mots, un style direct, sans concessions pour parler de l’Hexagone et du besoin d’espace. Il y a deux très belles chansons : l’une simple, chaleureuse (Pierrot), en forme de dialogue avec un fils à naître et à grandir ; l’autre au regard aigu, consacrée à la mort sur l’asphalte, à 2 heures du matin rue Pierre – Charron, de deux jeunes hommes après un braquage raté. S’il sait évoluer, Renaud aura plus de poids qu’une vulgaire étiquette de show-business.
Source : Le Monde