Le pharaon a le cigare au sec

Charlie Hebdo

N° 138, 15 février 1995

Envoyé spécial chez moi

Quand la Chine s’irradiera…

« Qu’est-c’que c’est que ce fleuve qui, depuis la nuit des temps, sort de son lit chaque année pour inonder mon pays ? » demanda Nasser à son conseiller en communication. « C’est rien, chef, c’est le Nil. Le fleuve qui prend sa source dans les étoiles. La crue du Nil est bonne pour l’Egypte, elle fertilise les terres et nourrit le pays », répondit le loufiat. « Oui, mais non, insista Nasser, cette crue est aléatoire, certaines années elle est trop faible, la sécheresse alors fait des ravages. Voilà un moment que j’envisageait de marquer mon règne de « grands travaux » surpassant ceux des bâtisseurs des pyramides, je vais construire un barrage à Assouan, un grand barrage, le plus grand barrage du monde ! Je canalise les eaux du fleuve et je gagne une centrale hydroélectrique. Pas con, non ? »

Si, quand même, un peu, réalisa le scribe Renaud trente-cinq ans après cette conversation… Outre que les eaux du lac Nasser formé par le barrage noyèrent la Nubie et contraignirent deux cent mille paysans à l’exode vers les bidonvilles du Caire, les conséquences de ce gâchis furent, nous l’allons voir, des plus amusantes…

« L’irrigation permanente et une mauvaise utilisation d’engrais toxiques et de pesticides ont appauvri les cultures. La salinisation, autrefois lavée par la crue, rend stériles les meilleures terres arables. La vallée du Nil et le delta sont privés de cent dix millions de mètres cubes d’alluvions qui fertilisaient les terres. En basse Egypte, profitant de l’absence des tonnes de limons qui formaient un obstacle naturel et qui, depuis des siècles, consolidaient les franges du delta, les eaux salées de la Méditerranée dévorent les côtes et s’enfoncent dans le delta. Celui-ci sera bientôt englouti, obligeant des millions d’hommes à refluer vers le Sud, région incapable de les nourrir. Des routes ont déjà disparu, des villas en bord de mer se sont effondrées. Les maladies parasitaires se développent de manière foudroyante car autrefois la crue noyait rats, scorpions et serpents qui sont aujourd’hui en augmentation constante. Vers et parasites prolifèrent dans les canaux d’irrigation que le soleil purifiait pendant la période de sécheresse, indispensable à l’équilibre naturel. À cause du barrage, le Nil ne charrie plus qu’une eau pauvre en substances nutritives, le poisson disparaît et, avec lui, les pêcheurs qui vont grossir les rangs des chômeurs. L’évaporation atteint dis milliards de mètres cubes par an, un cinquième des eaux du fleuve disparaît, les eaux du lac Nasser formé par le barrage s’infiltrent par le bas et forment une nappe souterraine qui remonte très vite. Elles ne se trouvent plus qu’à deux mètres sous Karnac et à quatre mètres sous le Sphinx.

Le lac Nasser, cinq cents kilomètres sur trente, profond de quatre-vingt-dix mètres, représente une masse d’eau qui, après avoir dévoré les paysages, modifie aujourd’hui le climat de l’Egypte. De plus en plus de nuages dans les ciels d’Assouan et de Louxor dont le bleu éternel avait émerveillé tant de voyageurs. La chaleur sèche est devenue humide, les pluies ruinent les anciens temples, déjà attaqués par la remontée de la nappe phréatique, les chefs-d’œuvre des pharaons sont attaqués par le haut et par le bas, ce qui satisfait les intégristes égyptiens pour lesquels ces monuments sont le symbole d’un paganisme haï et des liens avec l’Occident…

Intégristes dont les rangs grossissent chaque jour des dizaines de milliers de paysans ruinés et de chômeurs affamés, conséquence dernière de ce magnifique ouvrage inauguré en 1971 par Sadate « au nom de l’avenir »… »

Je vais quand même pas tout lui piquer, si vous voulez en savoir plus, lisez donc Barrage sur le Nil (chez Robert Laffont), magnifique roman du brillantissime égyptologue et écrivain Christian Jacq. Sur fond de terrorisme islamiste et de lutte contre le barrage, à travers une intrigue et des personnages captivants, l’auteur nous emmène dans un cauchemar qui pourrait bien se révéler réalité prochaine… Les livres de Christian Jacq ne sont pas seulement une garantie de comprendre et d’aimer l’Egypte, ils sont aussi l’œuvre d’un des plus passionnants romanciers actuels. Après Barrage sur le Nil, n’hésitez pas : l’Affaire Toutankhamon et la trilogie « Le Juge d’Egypte ». Vous m’en direz des nouvelles…

  

Source : HML des fans de Renaud