Reporterre,
Renaud « le problème écologique est politique »
Renaud Séchan n’a jamais sacrifié ses convictions à sa carrière. Aujourd’hui, il considère l’environnement comme un enjeu capital. Et le lie à une transformation sociale.
engagé
RENAUD « Le problème écologique est politique »
REPORTERRE – Dès 1984, tu t’es impliqué dans Greenpeace à une époque où on ne parlait pas beaucoup d’environnement. Quel a été le déclic ?
Renaud – Le déclic est venu avec la naissance de ma fille qui m’a fait ouvrir les yeux sur des problèmes fondamentaux. Avant, je ne vivais pas que pour moi, mais disons que je m’attachais plus aux Droits de l’Homme ou à des thèmes purement politiques ou sociaux. Ma fille est née, et quand j’ai commencé à la promener dans les rues de Paris, dans sa poussette-canne, le nez à la hauteur des pots d’échappement, quand j’ai commencé à la voir ouvrir des yeux émerveillés devant les animaux du zoo de Vincennes, devant les serres du jardin des Plantes ou les arbres tropicaux, devant des choses comme ça, j’ai vu que tout était en danger, que plus tard, elle ou ses éventuels enfants devaient continuer à profiter de ce que la nature a donné à l’homme.
Parce que toi, quand tu étais petit, tu ne voyais pas ces choses ?
Si, je les voyais. J’en profitais mais il me semble que tout ça était moins en danger qu’aujourd’hui. Alors quand ma fille est née, la première auprès de qui j’ai milité, c’est elle. Pour lui faire prendre conscience que les éléphants, il n’y en avait presque plus en-dehors des zoos, et parallèlement, depuis quelques mois, j’étais fasciné par les actions de Greenpeace, bien organisées, non violentes, spectaculaires. Un jour, je suis allé avec elle au bureau de Greenpeace France, et j’ai commencé à m’investir avec eux. J’ai organisé un concert au Zénith en solidarité avec Greenpeace, qui a été une soirée magique, j’ai vu 6 000 ou 7 000 personnes qui étaient enthousiastes, pas seulement pour les gens du concert, mais pour la cause qu’on défendait tous.
Renaud et sa fille: « Le déclic est venu avec sa naissance ». (photo David Séchan)
Puis tous les potes que j’avais à Greenpeace France se sont fait virer par d’autres membres pour d’obscures raisons de pouvoir, de luttes intestines. J’ai trouvé ça tellement nul, je me suis dit, allez hop, je milite dans mon coin, tout seul, Quelques semaines après, il y a eu l’affaire du bateau de Greenpeace, le Rainbow Warrior, coulé en 1985. Il y a eu mort d’homme commandée par la raison d’Etat sous un régime de gauche, ce qui a été pour moi un premier coup de poignard dans le dos de la part d’un gouvernement en lequel j’avais espéré. Et le plus étonnant, c’est qu’au bout du compte, ça s’est retourné contre le mouvement Greenpeace, avec la fermeture du bureau français. Quand mes copains ont été « démissionnés », ils ont monté une association qui s’appelle Robin des Bois et je les ai suivis.
Quand tu vois des gens comme Fabius, Mitterrand, tous les politiques qui parlent d’environnement…
Mais demain, si les jeunes et les électeurs s’intéressent… je ne sais pas… au billard, ils ne vont parler que de billard. C’est de la récupération pure et simple. C’est le problème fondamental, avec les Droits de l’Homme, et c’est maintenant qu’ils s’en rendent compte, c’est grotesque, risible, pitoyable. Tous les mouvements de gauche, de droite, du centre, ont leur alibi : « On a sur notre liste quelqu’un qui est spécialiste d’environnement ». Cela dit, c’est bien qu’ils s’y intéressent, il était temps. Mais on sent tellement de leur part une manœuvre de récupération de l’électorat qu’ils ont perdu, à juste titre puisqu’ils sont nuls aussi bien à gauche qu’à droite.
Quelle est ta position par rapport à des gens comme Waechter ?
Quand je l’écoute parler, tout ce qu’il dit me semble être le B.A. BA de la lucidité et du bon sens, mais j’ai un peu l’impression que c’est un type qui rêve d’être un notable, et je me méfie des gens qui ont des ambitions parce que je sais que le pouvoir corrompt. Par délicatesse, je ne vous rappellerai pas l’attitude d’Haroun Tazieff, ni de Lalonde une fois au gouvernement. Waechter, on ne peut pas dire qu’il soit doté d’un charisme… exceptionnel. Je n’arrive pas à me désolidariser de son discours, même si j’ai des réticences.
Mais y a-t-il moyen de faire avancer les choses en matière d’environnement sans passer par la politique
Non, je ne pense pas. Je suis de ceux qui disent que tout est politique : les rapports entre les gens, la vie quotidienne, l’harmonisation de vivre ensemble, respecter la liberté d’autrui, la nature, la solidarité. Cela dit, je n’ai confiance en aucun mouvement politique pour résoudre les problèmes planétaires qui se posent.
arrêter de fumer
quand tu as des enfants.
Il n’est pas possible de rester intègre dès l’instant où on a un certain pouvoir ?
Dès qu’on a du pouvoir, on est soumis à des pressions, à des contraintes. On lâche du lest pour avoir ci ou ça. Par exemple, un projet de barrage nuit à l’environnement, mais des hommes politiques vont t’expliquer que le barrage sauve des vies, que des gens sont au chômage et qu’ils vont du coup trouver du travail… c’est l’éternelle contradiction ! Ils réagissent à court terme, parfois pour des buts nobles, pour enrichir une région, mais en même temps, au détriment des gens qui préfèrent le fleuve sauvage, non balisé.
passe par une transformation
de la société
Je ne sais pas ce que je reproche. Je dis que je me méfie de l’engagement politique des écologistes, alors que pendant longtemps, j’ai dit que la solution au problème écologique était forcément une solution politique. On ne conçoit pas une défense de l’environnement sans une transformation de la société, des systèmes économiques, de la gestion de l’entreprise, des ressources. Ce sont des décisions politiques qui ne peuvent être appliquées que par les maires, les préfets… les gens qui ont le pouvoir politique.
Le problème ne peut-il pas être réglé par ce qu’on fait quotidiennement ?
Ouais, mais là, il y a du boulot. Pour Paris, le principal problème est l’automobile. Quelles sont les solutions que les écologistes suggèrent? Développer les transports en commun, la sécurité dans le métro sans forcément rajouter des flics, je ne sais pas. A Paris, il y a moins de taxis qu’ailleurs mais il y a le trust des taxis, il y a des lobbies.
Autoroute Quebec-Montreal, Renaud posant devant une pompe à essence sans plomb. (photo Claude Gassian)
Tu ne crois pas qu’il y a aussi le fait que les gens prennent leur automobile ?
Moi-même, je roule dans une bagnole qui pollue, mais je préférerai être obligé d’aller foutre mille balles pour mettre un pot catalytique et prendre de l’essence sans plomb que de payer 1000 balles de vignette.
Alors, il faut obliger ?
On ne peut pas faire des lois en demandant l’avis à tout le monde. On a aboli la peine de mort moyennant la majorité de la population qui était pour. Parfois, la dignité d’un ministre c’est de faire adopter des lois impopulaires. Les gens vont râler si demain ils doivent tous mettre le pot catalytique, mais tant pis.
Tu ne crois pas que la conscience d’un danger peut changer le comportement ?
Moi si. Quand j’entends que les lessives aux phosphates polluent les rivières, je change de lessive. Il y a des gens qui s’en foutent, parce qu’ils ne lisent pas les journaux, qu’ils disent : c’est les autres. Ils pensent qu’au niveau individuel,ce n’est pas parce qu’ils vont arrêter d’acheter une bombe ou une laque que ça va changer. C’est comme quand tu jettes ton paquet de cigarettes vide sur un parking d’autoroutes, on te dit: « Oui mais si tout le monde faisait ça. » Et tu dis : « Oui, mais justement je le fais parce que tout le monde le fait pas… »
Au niveau individuel, j’essaie d’être en harmonie avec des objectifs plus larges au niveau planétaire, mais c’est pas évident. Par exemple, je pollue autour de moi avec mes cigarettes, je pollue ma fille. Ça devrait être le premier acte individuel anti-pollution, arrêter de fumer quand tu as des enfants, ou quand tu as un partenaire qui ne fume pas. Non ?
C’est quoi, le plus gros problème d’environnement ?
Ma plus grosse trouille c’est la maîtrise des déchets nucléaires. Le plus gros danger, c’est le nucléaire civil ou militaire au niveau de la sécurité et de la gestion des déchets. Le second danger, c’est le trou dans la couche d’ozone et le réchauffement de l’atmosphère qui va causer l’élévation du niveau de la mer. C’est hallucinant que l’homme puisse être responsable de ce qui se passe dans la stratosphère. Et puis une priorité fondamentale, c’est la défense des animaux en voie de disparition.
Tu es plutôt pessimiste ?
Je suis pessimiste, je suis même carrément désabusé, mais malgré tout, je continue… Un jour, je partirai dans un coin pas pollué, sur un versant du Mont Lozère, par exemple, mais pour l’instant, même si j’ai la certitude que malgré quelques victoires, on continue à se faire avoir, je persiste à lutter. Je suis ravi et en même temps un peu énervé de voir Brigitte Bardot s’investir dans la défense des éléphants.
Les déchets nucléaires
Manifestation contre le transport de déchets radioactifs a la Hague en 1981.
Pourquoi énervé ?
Parce qu’il était temps: ça fait vingt ans qu’elle nous baratine avec les animaux domestiques qui sont un problème mineur par rapport aux éléphants, à l’atmosphère, à l’air qu’on respire. Les chiens et les chats ne sont pas en voie de disparition. Je me dis qu’il était temps. Il y a quand même des priorités. Quand on pense à ce que dépense chaque individu des sociétés occidentales pour le confort des animaux domestiques, c’est hallucinant par rapport aux besoins des pays africains qui crèvent de faim à 3 000 km d’ici. Je n’ai pas de mépris pour les animaux domestiques, mais il y a des priorités. Enfin, je dis bravo à un mec qui s’arrête sur l’autoroute pour ramasser un chien perdu et qui le nourrit. C’est déjà un bon point. Tout est bon à prendre. Je suis ravi que Brigitte Bardot élargisse son champ d’action. Une heure d’émission télé avec elle, et 3 jours après Brice Lalonde annonce l’interdiction de l’importation de l’ivoire, ce que Robin des Bois réclamait dans le vide depuis 3 ans. Merci à elle, à son pouvoir.
Tu as monté un concert publie à Paris, le 8 juillet. A-t-il un lien avec l’environnement ?
Au départ, c’est un concert de protestation contre la tenue à Paris du Sommet des 7 pays les plus riches du monde. On le considère comme une insulte aux pays pauvres qui sont victimes de l’impérialisme économique de ces pays-là. On considère que le Tiers-Etat, maintenant, c’est le Tiers-Monde. Nous, on organise un contre-sommet avec les mouvements de libération des pays les plus pauvres, et une manifestation contre la dette, contre l’apartheid en Afrique australe, et contre les dernières colonies.
Quel lien entre ces problèmes et la nature agressée ?
La nature – et l’homme aussi. Ce n’est pas que pour des raisons climatiques que le désert gagne du terrain tous les jours, c’est aussi pour des raisons économiques, liées à l’exploitation de ces pays-là par les nôtres. Le massacre de la forêt amazonienne, c’est bien pour des raisons économiques. Et ça se fait au détriment, et de la nature, et des Indiens d’Amazonie. Là j’ai reçu un dossier du Labrador sur une réserve où vivent des Indiens, les Montagnais, je crois, et sur laquelle l’OTAN a créé une base d’entraînement de toutes ses forces aériennes. Jour et nuit, il y a des tirs de missiles, de bombes, de mitraillettes, 32 000 passages par an à 30 mètres au-dessus de la réserve, de l’endroit où vivent ces Indiens. Ils font pétition sur pétition, mais on ne touche pas à … Dès qu’un pays, comme le Burkina Faso, essaie d’apporter des solutions pour faire avancer les choses, comme par hasard, le type qui est à la base de ça se fait assassiner. Par exemple, Thomas Sankara avait développé à très grande échelle la culture du jojoba, qui est une plante formidable pour arrêter la désertification. Le programme a été remplacé après sa mort. Et les ministres du nouveau régime roulent de nouveau en Mercedes alors que Sankara les avait dotés de R5.
Comment vois-tu le monde dans vingt ans pour ta fille ?
Comme les plus cyniques des hommes politiques doivent aussi avoir des enfants, j’ai le vague espoir qu’ils n’iront pas plus loin que là où ils sont allés, et que ça s’arrange. Ou alors, c’est qu’ils n’ont pas d’enfants ou alors qu’ils ne viennent pas dire qu’ils les aiment. Les hommes politiques à tous les niveaux, local, régional, européen, mondial. Soit ils se bouchent les yeux et ne voient qu’à court terme, soit ils voient à long terme et ils décident très vite de tout changer. Je ne peux pas imaginer ce qui se passe dans la tête des maîtres du monde. Ils doivent penser que tout ça, c’est le cadet de leurs soucis, et c’est vrai qu’il n’y a pas que ça: le problème de la drogue aux Etats-Unis, c’est quelque chose de monstrueux aussi. Des priorités, il y en a plein: lutter contre la pauvreté, le chômage, le racisme, c’est bien, mais encore faut-il qu’on soit vivant pour ça.
Comment tu sens réagir les jeunes par rapport aux thèses environnementales ?
Ils sont très sensibles. La phrase de mon répertoire qui soulève le plus d’ovations, c’est dans Le Déserteur: « Je ne suis qu’un militant du parti des oiseaux, des baleines, des enfants, de la terre et de l’eau ». Chaque fois que je chante cette phrase, devant 200 ou 10 000 personnes, ça me vaut une ovation plus forte qu’à la fin de la chanson ou au début. Ça me remonte, le moral, je me dis je ne suis pas tout seul. Mais je ne peux pas me dire: je suis écologiste avant tout. Je suis militant pour la vie, pour les hommes. Mais tout ça, c’est le même message de révolte et de refus de ce monde tel qu’il est géré.
Propos recueillis par Hervé Kempf et Nelly Pégeault
Source : Le HLM des Fans de Renaud