Le Renard et le Renaud

La Presse

MONTRÉAL | SAMEDI 6 DÉCEMBRE 2003

ARTS ET SPECTACLES

TÉLÉVISION

ALEXANDRE VIGNEAULT

« Les artistes, les gens ne les connaissent que sous les projecteurs, bien maquillés, bien habillés, et ils en parlent dans les termes les plus élogieux, remarque-t-il. Derrière ça, il y a des individus de chair et de sang, des blessures, de la souffrance, des tares, des défauts et des vices, même, parfois. »

Renaud n’a pas eu la vie facile ces dernières années. Il ne s’en cache pas. Avalé par Renard, son Mister Hyde à la Gainsbarre, il a noyé un immense chagrin d’amour dans une mer de Ricard et de bière, caché dans un bistrot comme il y en a tant à Paname. Déprimé. Désabusé. Presque toujours bourré.

Et puis, quelqu’un a sans doute eu le bon sens de lui paraphraser sa magnifique chanson Manu : « Allez Renaud, rentre chez toi, y’a des larmes plein ta bière ». Alcoolique pas du tout anonyme, le « chanteur énervant », idole de plus d’une génération d’idéalistes, a fini par émerger avec Boucan d’enfer, au printemps 2002. Succès monstre. Tournée triomphale. Renaud semble être retombé sur ses pieds et il est confronté à son passé dans un fort intéressant documentaire intitulé Renaud, le rouge et le noir, qui sera diffusé à MusiMax demain soir à 20h, en attendant sa tournée québécoise débutant à la fin de janvier.

Aucune voix hors champ ne dramatise les événements ou ne glorifie l’artiste. Renaud se raconte tout seul.

Un peu comme une Musicographie, l’émission consacrée à Renaud retrace le parcours du célèbre chanteur français de l’enfance à la déchéance et s’achève sur une fragile renaissance. Que ses fans se rassurent : le documentaire ne calque pas la manière superficielle et sensationnaliste de MTV. Aucune voix hors champ ne dramatise les événements ou ne glorifie l’artiste. Renaud se raconte tout seul, honnêtement, directement, en gardant une certaine pudeur. Des images d’archives, extraits de concerts ou d’entrevues, et ses chansons font le reste du travail.

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Presque 30 ans après son premier disque, Renaud est un idéaliste fatigué, un créateur inquiet et nostalgique, révèle Renaud, le rouge et le noir, un portrait à la fois drôle et émouvant.

Renaud, qui n’a jamais obtenu aucun diplôme, a été à l’école de la vie. Mai 1968, les manifs réprimées au gaz lacrymogène, les petits boulots pour survivre, ses débuts comme chanteur de rue, son amitié avec les voyous de banlieue, sa découverte du verlan (l’argot des cités parisiennes), tout ça a marqué durablement sa vision du monde et son œuvre. Et, pour la millionième fois sans doute, le chanteur militant désormais millionnaire se défend d’être un imposteur. Son père a beau être issu d’une famille intellectuelle, il n’est pas bourgeois. Sa mère provient d’ailleurs d’une famille de mineur. Sa personnalité est le produit de ce métissage social, soutient-il. D’un côté, le socialisme intellectuel ; de l’autre, le rouge du prolétariat.

Idéaliste désormais fatigué, un créateur inquiet et surtout nostalgique de son enfance, de son amour perdu, du Paris de sa jeunesse, Renaud est surtout montré comme un être humain, pas comme une star. L’important, ici, ce ne sont pas les statistiques concernant les ventes de disques et le nombre de concerts, mais les chansons et le monde qui les inspire. Car ce film sur un chanteur engagé raconte aussi, en filigrane, 30 ans de lutte sociale et politique. Gauchiste indéfectible, Renaud a appuyé Mitterrand, a endossé certains combats de Greenpeace, a écrit une chanson pour venir en aide aux affamés d’Éthiopie, a dénoncé les politiques radicales de Margaret Thatcher, a sympathisé avec les zapatistes.

Renaud a gueulé Société, tu m’auras pas, il a menacé avec Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? Mais, comme le montre si bien le documentaire, sa colère a toujours été contrebalancée par une tendresse extrême. Sa plume juste sait brosser des portraits émouvants, raconter en peu de mots des histoires bouleversantes. On n’a qu’à penser à Putain de camion, hommage posthume à son ami Coluche, ou à Morts, les enfants, qui rappelle le désastre survenu en décembre 1984 à l’usine Union Carbide à Bhopal, en Inde. Un dramatique accident chimique qui a fait des milliers de morts et de handicapés.

Presque 30 ans après son premier disque, Renaud est un idéaliste fatigué, un créateur inquiet et nostalgique. Il n’a plus envie de gueuler, ce qui ne l’empêche pas de se pencher sur le sort des innocentes victimes des dictateurs de la planète, comme il le fait dans la superbe Manhattan-Kaboul, gravée sur son dernier disque.

Rares sont les musicographies qui savent faire rire et émouvoir. Renaud, le rouge et le noir fait les deux. Et plus encore : c’est un document sensé et sensible qui fait aussi réfléchir. Bref, il a toutes les qualités qu’on apprécie aussi chez ce « chanteur qui parle », comme disait mon père.


RENAUD, LE ROUGE ET LE NOIR, documentaire présenté demain, 20h, à MusiMax

 

Source : La Presse