Publié le 04-11-2006 à 00h00
RENCONTRE CÉDRIC PETIT
Un nouveau disque, un nouveau look, une nouvelle femme, un nouvel enfant. Tout paraît remis à neuf chez Renaud qui entame, à 54 ans, un nouveau cycle, matérialisé par « Rouge sang », paru début octobre, et qui s’est immédiatement installé en tête des ventes en France et en Belgique.
Un nouveau disque, un nouveau look, une nouvelle femme, un nouvel enfant. Tout paraît remis à neuf chez Renaud qui entame, à 54 ans, un nouveau cycle, matérialisé par « Rouge sang », paru début octobre, et qui s’est immédiatement installé en tête des ventes en France et en Belgique. Autant dire que le tintamarre qui accompagne sa sortie n’est pas totalement étranger au phénomène, alimenté par la chanson « Les bobos » et une phrase en toute fin de « Elle est facho » qui semble laisser entendre que voter Sarko équivaut à plébisciter l’extrême droite.
Difficile de savoir comment le chanteur s’accommode de ce remous. Présent ces lundi et mardi à Bruxelles, il reçoit dans un hôtel du centre-ville. Sur la défensive. Car, s’il a toujours aimé « envoyer des coups de poing dans la gueule et des coups de pied dans la fourmilière », Renaud accepte difficilement le procès qui lui est fait outre-Quiévrain. Procès qui tient autant dans la critique de ses nouvelles chansons que dans les commentaires sur sa vie privée. Les deux font aujourd’hui la paire, nul n’ignorant les méandres que le destin du « chanteur énervant » a épousés ces derniers mois, depuis sa rencontre et son mariage avec Romane Serda. En lui consacrant pas moins de 5 chansons de son nouveau disque, le quinquagénaire donne aussi du grain à moudre à ses détracteurs.
Retourner sa veste
Lui qui incarnait liberté et insoumission aurait-il retourné sa veste ? L’intéressé s’en défend vigoureusement : « J’y vois plutôt mon goût de la vérité : je ne déteste pas parler de ma vie privée, et je l’offre dans mes chansons. On me reproche de m’étaler. Au moment de « Boucan d’enfer », certains ont trouvé bon de considérer que je me répandais en autopromotion de mon autodestruction. Pour moi, un artiste a un devoir de sincérité. Pourquoi cacher ce qui s’est passé dans ma vie privée ? J’ai toujours beaucoup parlé de moi dans mes chansons : de Dominique, de Lolita, et maintenant de Romane et Malone. De ma rupture, de ma nouvelle vie. »
Pourquoi lui chercher des poux ? A nouveau amoureux, débarrassé de son addiction à l’alcool, amaigri, le « chetron sauvage » revit. Et veut pouvoir crier « haut et fort » son amour. Impudique ? « Tous les artistes le sont. On a besoin des chansons pour dire aux gens ce qu’on ne parvient pas à leur dire. Je n’ai jamais dit à mon père combien je l’aimais. Maintenant qu’il est mort, j’ai quand même réussi à lui écrire une chanson. Un artiste doit se livrer, se raconter, délivrer le fond de son âme, de son cœur, de son lit pourquoi pas… », explique-t-il, l’œil brillant et le sourire en coin.
« Le jour où on fera le bilan de mon répertoire, je n’ose pas dire de mon œuvre, j’aimerais qu’on le décrive comme la chronique d’une vie amoureuse, citoyenne, sentimentale, engagée. Ce serait la plus belle chose à en dire. »
Dialogue de sourds
Dans les faits, « Rouge Sang » ne déparera pas à l’ensemble. Sur le fond, il n’apparaît pas comme une pièce majeure de ce puzzle. Ce dont on n’aura guère pu s’entretenir avec le jeune papa, « blessé » par les articles parus en France sur son album. « Je suis choqué par tant de haines, de calomnies, d’injustices, de diffamations presque, parfois. Ça fait 30 ans que je subis le même procès. Quand je ne vendais pas de disques, j’avais des éloges, maintenant que je vends beaucoup, je me fais démolir parce que c’est soi-disant incohérent de garder ses convictions de gauche et de réussir économiquement. On me reproche d’être fidèle à mes convictions et de continuer à les exprimer avec franchise, insolence et utopie », répond-il dans un dialogue de sourds avec les médias français.
Tout le paradoxe de Renaud est là, qui écrit une chanson (« fantaisiste », précise-t-il) sur les bobos, mais se revendique de cette catégorie. « Elle décrit plus un mode de vie urbain dans lequel les Parisiens se sont reconnus, mais qui vaut tout autant pour Bordeaux ou d’autres grandes villes. Mais il est certain que je préfère les bobos aux beaufs. Je préfère qu’on écoute Vincent Delerm et pas Lorie, qu’on lise Cioran plutôt que Barbara Cartland ou Télérama que Télé7Jours. »
Lecteur de « Libé », du « Nouvel Obs » et des « Inrocks », qui ont eu la dent dure avec son disque, Renaud, l’hypersensible et « paranoïaque », se console d’autres victoires : de l’affection que lui porte le public, d’abord, pour qui il a écrit « Sentimentale mon cul », et qui a fait de « Rouge Sang » un disque de platine avant sa sortie. D’autres consécrations ensuite : « On m’a traité de poète foireux et indigent quand l’Académie française, elle, me faisait entrer dans le Larousse. Le plus souvent, ceux qui écrivent ça de moi n’ont jamais écrit la moindre ligne de poésie. Mais ils arrivent à me faire douter ».
Une forme de courage
Un peu seulement : en plein bouillonnement créatif, le chanteur enragé se réjouit d’avoir « retrouvé son flingue » dans la chanson éponyme et de le dresser contre ce qu’il tient pour les tares les plus criantes de son époque (en vrac, le consumérisme, les guerres, les religions). « Je ne connais pas un autre artiste de ma popularité qui ose dire le dixième de ce que je dis, qui nomme précisément George Bush, que je traite de proxénète. A part certains groupes alternatifs, il n’y a personne. Il y a beaucoup d’eau tiède, et pas beaucoup d’engagement, d’implication. Quand je fais une chanson brûlot, des pochades, avec ironie sur BHL ou sur Bernard Tapie que personne n’ose attaquer, je pense vraiment que c’est une forme de courage. »
Et d’utopisme, qualité qu’on ne pourra jamais ôter au poète. Qu’on pourra toutefois trouver plus en forme dans « Elsa » ou « Les vieux » que dans ses « chansons-colère », où il s’en prend aussi à l’industrie du tabac, principale cible de « Arrêter la clope ». Et c’est notamment au nom de cette utopie qu’il se dit prêt à renoncer à ses idéaux d’« écologiste de gauche » lors de la prochaine campagne présidentielle en France. « J’ai toujours défendu les minorités. En 2002, je me suis rallié à la démocratie, en pensant à la phrase de Churchill qui disait que la démocratie est le plus mauvais des systèmes à l’exception de tous les autres. Mais la démocratie n’est jamais que la dictature de la majorité, un système dans lequel les abus de pouvoir sont aussi légion. Sinon pourquoi José Bové ne pourrait-il pas être au second tour ? Je crois sincèrement en son intégrité. » Autant de motifs pour être inquiet et « un peu perdu » à l’aube de l’année 2007. Une année qui sera d’ailleurs surtout musicale, avec le disque de Romane Serda, qu’il a écrit (à paraître en février), et sa tournée. Ce n’est donc pas demain que Renaud exaucera leur vœu commun de « vivre un peu plus à l’abri des regards ».
Renaud « Rouge Sang ». Virgin.
© La Libre Belgique 2006