Publié le 19-05-2002 à 00h00
DOMINIQUE SIMONET
Après sept ans d’absence phonographique, Renaud revient le 28 mai avec `Boucan d’enfer´. Très personnel, le disque est lancé par `Docteur Renaud, Mister Renard´. Il préfigure un retour à la scène en fin d’année.
ENTRETIEN
C’est une de ces brasseries parisiennes qui, à la manière du Café de Flore, portent les stigmates d’une vie culturelle survoltée. Ce passé est d’ailleurs un peu leur fonds de commerce: à la Closerie des Lilas, sur les sets de table, se croisent les autographes de Paul Meurisse et Henri Miller, de Jean Vilar et Noël-Noël, d’Ernest Hemingway et Marcel Zanini… Cet endroit mythique, Docteur Renaud en a fait son cabinet de consultation, Mister Renard, son terrier… Là, les traits marqués, la main tremblante touillant dans son café, l’auteur chanteur adulé par plusieurs générations a choisi de parler de `Boucan d’enfer´, un nouvel album que d’aucuns n’attendaient plus. Dominé par une assourdissante plainte d’amour, ce disque part d’une problématique personnelle pour trouver sa dimension poétique.
`Boucan d’enfer´ laisse penser que vous aviez un sacré besoin de vous raconter…
Cela signifie surtout que j’écris ce qui vient, ce que je peux, ce que j’ai sur le coeur. Il se trouve que j’avais sur le coeur des soucis personnels, un chagrin d’amour, un mal de vivre. Pendant 4-5 ans, j’ai traversé une période difficile de dépression, que j’ai voulu soigner par des médicaments pas vraiment appropriés, en l’occurrence des conneries d’antidépresseurs et d’anxiolytiques de toutes sortes, plus un litre de pastis par jour, l’un et l’autre ne faisant pas très bon ménage…
L’inspiration m’avait déserté, l’envie de chanter aussi. Plus envie d’être aimé, puisque je ne m’aimais pas beaucoup moi-même, voire pas du tout… J’avais pas envie d’être applaudi, encore moins de me montrer. Malgré tout, je suis parti en tournée pendant 2 ans, entre 99 et 2001, ça m’a un peu redonné du coeur au ventre, mais je n’étais pas bien physiquement, je chantais très mal, j’avais les cordes vocales abîmées par l’alcool et le tabac, et les excès. J’avais grossi de dix kilos, ça se voyait…
Et `Petit pédé´ a tout déclenché, sur une sorte de commande…
Une commande et un défi ridicule. Depuis huit jours, j’étais en cure de désintox, j’avais arrêté de boire, et j’en souffrais énormément, parce que c’est une drogue dure et que j’étais accro. Un copain homosexuel m’a dit: fait une chanson sur les pédés, sur moi, sur notre différence, sur nos petites misères quotidiennes, et si tu le fais, je t’offre une cuite, une mouflée… J’ai pris ça comme un défi, ridicule, ce n’était pas très malin de sa part, mais bon, j’ai écrit la chanson… et j’ai replongé. Il a suffi que je mette le doigt dedans pour que le bras parte avec. Mais, du coup, le lendemain, toujours sous l’emprise de l’alcool, j’ai recommencé à écrire: `Docteur Renaud, Mister Renard´ d’abord, et toutes les suivantes en à peine un mois et demi. D’ordinaire, j’écris douze chansons, j’en enregistre douze. Là, j’en ai écrit et enregistré dix-huit pour n’en garder que quatorze. Certaines, que je n’ai pas gardées, étaient encore plus noires, plus désespérées que celles-ci, dont une qui s’appelait `La vie est moche et c’est trop court´, franchement à se flinguer.
Vous y avez pensé?
Non, autodestructeur parfois, jamais suicidaire.
Vous savez que vous pouvez vous appuyer sur un public fidèle.
J’ai une base de fidèles assez nombreux, assez attachés. D’une manière générale, ils sont sensibles à ce que j’écris, et je sais par divers témoignages que mes chansons les plus tristes sont celles qu’ils préfèrent: elles leur remontent le moral quand eux-mêmes sont tristes. Ils se sentent moins seuls, ils ont le sentiment que le chanteur qu’ils aiment peut être aussi fragile, perturbé et angoissé qu’eux, et ça les soutient.
Cela veut dire que vous leur faites confiance?
Oui, oui. Je sais que je vais essuyer des reproches du genre: tu n’as plus de mots rebelles, tu as baissé les bras… La petite frange anarchiste juvénile de mon public va me reprocher le manque évident de chanson engagée, entre guillemets, dans cet album. Mais ce n’est pas une obligation non plus. Je n’ai pas choisi délibérément de n’écrire que des chansons d’amour et de renoncer à celles qui contestent, dénoncent, expriment des indignations ou des révoltes…
Vous qui considérez Brassens comme votre maître, vous êtes ici parfois plus proche d’un Brel…
Ah c’est gentil… C’est vrai que je suis plus expressionniste et impudique, il n’y a pas la retenue et la pudeur de Brassens. Je me livre plus à la Brel.
Avez-vous réellement arrêté de participer aux Restos du Coeur, comme vous le dites dans `Tout arrêter´ ?
C’est pas très gentil pour les Restos que je trouve indispensables et très efficaces. Mais j’en ai un peu ras-le-bol des combats humanitaires et des associations qui ont défrayé la chronique par des détournements, des malversations financières, etc. Même ça, on finit par en revenir. Les circonstances ont fait que je ne participe plus aux Restos depuis deux ans, mais s’ils me redemandent, je serai toujours présent. Avec cependant un certain recul, le sentiment que c’est un peu dérisoire, comme toute forme d’engagement des artistes.
Reste l’amour, le cri d’amour…
Même si je ne crois plus beaucoup au couple, comme je l’exprime dans `Mal barré´… En ce qui me concerne, même si je suis séparé de mon épouse depuis plusieurs années, l’amour est toujours là. On ne peut pas balayer 22 ou 23 ans de vie commune, de souvenirs, de passion…
Mais avec un titre comme `Coeur perdu´, vous allez faire craquer tout le monde…
C’est ma préférée du disque. J’espère faire pleurer les filles, mais aussi les garçons, enfin, au moins les émouvoir. Qu’est-ce qui est plus partagé, plus commun qu’un chagrin d’amour? Tout le monde est passé ou passera par là.
Album `Boucan d’enfer´ chez Virgin, à paraître le 28 mai.
© La Libre Belgique 2002
Parcours
Naissance de Renaud Séchan le 11 mai 1952 à Paris.
Durant un autre mois de mai, celui de 1968, il participe au mouvement étudiant et en profite pour écrire sa première chanson.
Premier engagement au Caf’Conc’, sur les Champzés.
Premier album de Renaud – clope au bec, casquette de titi parigot – chez Polydor en 1975, `Amoureux de Paname´ contient `Hexagone´, interdit sur France Inter à l’époque.
Fin 1977 sort l’album `Laisse béton´, chanson-tube en 1978.
En 79, c’est `Ma gonzesse´, en 80, `Marche à l’ombre´ (`Dans mon HLM´, `Les aventures de Gérard Lambert´).
Cette année-là, Renaud épouse Dominique, qui lui donne une petite Lolita.
Enregistré aux Etats-Unis, l’album `Morgane de toi´ (1983) est une de ses plus grosses ventes, 1,2 million d’exemplaires.
En 1985, `Mistral gagnant´ contient la délicieuse `Miss Maggie´.
En 91, il tient un premier rôle dans `Germinal´, de Claude Berry.
En 96, `Renaud chante Brassens´, se faisant ainsi la voix de son maître.
Avril-mai 2002, il tient le rôle d’un `tueur sympathique´ dans une comédie policière américaine avec Depardieu, Hallyday, Harvey Keitel, Richard Bohringer.
Renaud termine actuellement un bouquin, une chronique de ses `années noires´.