Du 28 juin au 5 juillet 1989
Il organise un méga-concert le 8 juillet
Renaud prend la Bastille. Sans renier son engagement à gauche, il reproche au pouvoir socialiste de sacrifier les grandes causes aux petits intérêts politicards.
Renaud, le doux rocker, se fâche tout rouge. Le chanteur rêvait d’un Bicentenaire grandiose, où l’on aurait dans la liesse enterré les bastilles les plus moches que sont l’apartheid, la dette du tiers monde, et les vieilles colonies. « Au lieu de cette vraie fête colorée, populaire et rigolarde, on nous a malheureusement concocté un sommet des sept pays les plus riches, doublé d ‘une commémoration morne, empesée. barriérisée, Giscardisée, marchandisée. Un Bicentenaire à péage… Honteux, quoi ! »
Très déçu, Renaud a donc décidé avec quelques autres furieux sans-culottes, Gilles Perrault, Jean Ferrat et Bernard Lavilliers, d’organiser, avec ses sous, une manifestation et un immense concert, le 8 juillet prochain, sur la place de la Bastille, avec la participation de Johnny Clegg, des Négresses vertes et de la Mano negra. Une initiative appuyée par Harlem Désir, la CFDT, la CGT, le PC et la Ligue communiste révolutionnaire, mais qui n’est guère appréciée par l’Elysée. II est normal, après tout, qu’un 14-Juillet ne soit pas toujours du goût des gens du Château.
L’EVENEMENT DU JEUDI : Pourquoi organiser un 14-Juillet bis le 8 juillet ?
RENAUD : L’initiative est venue de l’indignation d’individus et d’associations, d’abord contre la tenue du sommet des sept pays les plus riches à Paris à cette date, ô combien symbolique, du 14 juillet, et surtout d’un petit énervement de ces mêmes individus et associations sur la tournure que prenaient les cérémonies du Bicentenaire. Beaucoup considèrent que cette commémoration investit des milliards dans des fêtes dont les Parisiens, les Français et les touristes sont exclus.
- De quand date ton énervement, tu t’attendais à quoi ?
— Ce n’est pas à moi de dire ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Je préfère voir le défilé de Goude si mégalomaniaque soit-il qu’un défilé militaire ! J’attendais une vraie fête pour les Parisiens, gratuite et populaire. Avec des mots d’ordre révolutionnaires et avec surtout le sentiment qu’on fête les sans-culottes et pas seulement des principes, qui sont faciles à énoncer mais plus difficiles à appliquer dans la réalité quotidienne.
- L’Elysée se défend en disant : ce sommet est prévu de longue date, c’est au tour de la France de l’organiser, elle doit faire face à ses responsabilités…
— Attali m’a dit : « Avant d’être la réunion des sept pays les plus riches du monde, il s’agit de celle des sept plus vieilles démocraties. » Je peux lui faire quelques remarques acides sur la conception de la démocratie d’une Mme Thatcher… ou sur celle de la police espagnole… ou sur la façon dont on expulse de France les réfugiés basques. Le choix de tenir un tel sommet à une date aussi symbolique est de toute manière une erreur.
- Tu as soutenu dans le passé, à plusieurs reprises, François Mitterrand, est-ce que tu penses que là. le chef de l’Etat a commis une maladresse, ou alors son entourage ?
— Appelez ça comme vous voulez… Quand je dis maladresse, c’est vraiment le minimum de ce que je puis dire. En tout cas, je ne suis pas d’accord. Je ne vois pas l’incompatibilité avec le fait de l’avoir soutenu électoralement. Je ne suis pas militant socialiste, je ne suis pas socialiste. J’ai prêté mon nom pour médiatiser un appel à voter Mitterrand, en tout cas pour ce qu’il représente. Ce n’est pas donner un blanc-seing à un individu ou à la politique d’un gouvernement…
Je revendique d’autant plus mon indépendance à ce niveau-là que le PS a financé une partie des pages de pub de mes confrères qui disaient la même chose que moi. Moi, j’ai tenu à payer de ma poche… pour ne pas me sentir lié en quoi que ce soit.
- Comment interprètes-tu la mauvaise humeur que ton initiative semble provoquer dans les hautes sphères du pouvoir ?
— Il y a une volonté délibérée de la presse de droite parce que ça fait du vent, du bruit de la polémique, d’essayer de faire passer comme une contradiction mon soutien à Mitterrand à une époque (et même encore aujourd’hui) et ma critique d’une de ses initiatives. En quoi un soutien électoral impliquerait une servilité et un bouchage d’yeux?
- Des députés socialistes ont rejoint ton appel ?
— La liste va des socialistes aux trotskistes en passant par le PC… Même Harlem Désir nous a rejoints, pourtant s’il y a quelqu’un d’inféodé, pour ne pas dire pis, à l’Elysée, excusez-moi…
- Il n’est pas gêné maintenant de voir son nom sur cette liste ?
— Libre à lui d’assumer cette gêne… A l’Elysée, ils ont dit qu’ils avaient élevé en leur sein une vipère…
- C’est Harlem Désir qui a signé ou SOS Racisme 7
— Harlem en tant qu’individu… 50 % de SOS est pour ; 50 % est contre. Il y a un débat…
- Qui, parmi les élus socialistes, vous a rejoints ?
— Mélanchon au Sénat et Cambadelis à la Chambre
Le slogan de la manifestation ne sera pas « Mitterrand trahison » mais « Dette, appartheid. colonies, ça suffat comme si ». On ne va quand même pas essayer pendant un mois de me faire dire que je suis fâché avec Mitterrand, ce qui n’est pas le cas. Ou essayer de me faire dire que |c ne le soutiendrai plus, ce qui n’est pas non plus le cas. Et encore moins essayer de me faire dire que je ne suis pas un homme de gauche, ce qui n’est pas le cas…
- Es-tu étonné par l’ampleur que prend ce « contre-Bicentenaire » ?
— Pas du tout. Je suis heureux de voir que le PC, la CFDT, la CGT nous rejoignent. Je suis agréablement surpris. Mais cela ne m’étonne pas. Je suis persuadé que n’importe quel démocrate, qui a un tant soit peu de points communs avec SOS Racisme, avec l’esprit de la Révolution, avec les sans-culottes, avec la gauche en général, ressent un malaise et trouve scandaleux que les maîtres du monde viennent se réunir à Paris…
- Tu vas réussir à faire ce que la gauche n’arrivait plus à obtenir depuis vingt ans. notamment le 1er mai, l’unité…
— Ce n’est pas Renaud, c’est tout le monde… On voudrait me présenter comme le porte-parole de l’ensemble de ces manifestations ; moi, je suis simplement l’organisateur d’un concert.
- Est-il exact que tu finances ce concert ?
— Je finance les postes où on n’a pas pu obtenir des collaborations bénévoles… Les musiciens, les artistes, la sono ne nous coûtent rien. Mais l’écran géant, on le paye… Pour le moment, il nous manque 30 briques. Si on ne trouve pas de sponsors, je les mettrai de ma poche, et de bonne grâce, parce que je préfère les mettre là qu’au fisc…
- Quels sont tes héros de cette période révolutionnaire ?
— Mes héros, ce sont les anonymes qui sont descendus dans la rue. qui pour certains se sont fait tuer et qui, après, ont commis l’erreur historique de croire qu’en déléguant leur pouvoir à la bourgeoisie, ils seraient représentés et donc sauvés. Mes héros, c’est le peuple… les paysans, les ouvriers… C’est un peu naïf.
- Qu’est-ce que cela représente pour Johnny Clegg la Révolution française ?
— Il n’a jamais participé à d’autres manifestations ou concerts que ceux axés sur la lutte anti-apartheid. Mais il a suffi que je lise au téléphoné l’appel de Gilles Perrault pour qu’il signe dans la minute… Il m’a demandé une heure de réflexion pour savoir s’il venait chanter. Il a annulé un gala en Italie pour venir à Paris à ses frais…
- Le choix des autres groupes s’est opéré comment ?
— D’une façon arbitraire. Avec Claude Six, le manager de Clegg, nous en revendiquons la paternité… Les Négresses vertes et la Mano negra sont deux groupes nouveaux, qui symbolisent une société multiculturelle et sont le contraire d’une « top-cinquanterie ». Ils sont gais, chaleureux cela va danser. Malavoi, c’est la musique des Antilles…
- Tu vas inviter Otelo de Carvalho ?
— Oui. en espérant qu’il puisse sortir du Portugal. On va inviter aussi symboliquement plusieurs prisonniers politiques du monde entier comme Abraham Serfati…
- Avec Clegg à Parts, ce serait peut-être aussi le moment de demander la lumière sur l’assassinat de Dulcie September ?
— Johnny Clegg a été profondément affecté par l’assassinat de son copain David Webster, il y un mois, en pleine rue de Johannesburg, par un régime qui tente de faire croire à son néo-libéralisme. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles il nous a rejoints si spontanément.
Propos recueillis
par Pascal KROP et Yann PLOUGASTEL
Source : L’Événement du jeudi