Le visage caché de Renaud le provocateur

France Dimanche

N° 2057, du 3 au 9 février 1986

Avec sa chanson « Maggy » où il attaque Margaret Thatcher, il provoque la colère des Anglais contre la France

Pour un peu, les accords du tunnel sous la Manche n’auraient pas été signés ! Si elle avait écouté la presse anglaise déchaînée, Margaret Thatcher ne serait pas venue à Lille, le 20 janvier dernier, pour rencontrer François Mitterrand. « Non au tunnel ! » titrait avec indignation, en première page. « The Sun », l’un des plus importants journaux britanniques. Et dans tous les magazines anglais, les Français se faisaient traiter de « canailles », de « grenouilles » et de « chiens galeux » !

Qui donc avait déclenché cette « guerre » ?

Un chanteur ! ET même l’une de nos plus grandes vedettes actuelles : Renaud. Renaud, le provocateur qui a mis le feu aux poudres avec sa toute dernières chanson « Miss Maggy », dont chaque refrain est une véritable attaque en règle contre le Premier ministre, Mme Thatcher.

« Aucune femme sur la planète ne sera plus con que son père, chante-t-il. Ni plus fière, ni plus malhonnête… à part peut-être Mme Thatcher. »

Ça, c’est le début, mais si tout au long de la chanson, il s’indigne contre la folie furieuse des Hooligans, qui a fait trente-huit morts au stade de Heysel, en Belgique, s’il fustige les chasseurs, ceux qui ont inventé la bombe atomique, c’est toujours « Maggy » qui, à la fin, prend un mauvais coup.

Refrain

Et quel coup ! Surtout celui que Renaud lui amène au dernier refrain : « Et quand viendra l’heure dernière, l’enfer sera peuplé de crétins, jouant au foot ou à la guerre, à celui qui pisse le plus loin. Moi je me changerai en chien. Si je peux rester sur la terre, et comme réverbère quotidien, je m’offrirai Mme Thatcher. »

C’en était trop ! « Shocking » ont crié les Britanniques, en chœur, oubliant un instant leur flegme… et leur humour légendaires.

Mais ce « petit chanteur français », qui n’a pas hésité à s’attaquer au personnage politique le plus important d’Angleterre, ce dur qui ne mâche pas ses mots et n’a pas froid aux yeux, a un visage caché. Un tout autre visage : celui d’un homme tendre, très attaché à l’esprit de famille. Un homme qui se souvient aujourd’hui encore avec nostalgie de son enfance, pourtant marquée par la rigueur protestante de son père :

« Avec mes cinq frères et sœur, c’était la tranquillité, la vie peinarde. Je partageais la piaule de mon frère jumeau David. On embêtait notre petite sœur Sophie, la plus jeune, qui était la chouchoute. Puis, on allait raconter nos malheurs à nos deux sœurs aînées et à notre grand frère… »

« Si je dois dire la vérité, je n’ai pas été malheureux. J’ai même été pourri d’amour. »

D’ailleurs, ce révolutionnaire en herbe est un écolier docile, qui suit consciencieusement les cours du lycée Montaigne, à Paris.

Fini le temps des « gonzesses » pour Renaud ! En la ravissante Dominique, il a trouvé « la » femme de sa vie, celle auprès de laquelle il dit vouloir vieillir paisiblement ! 

Professeurs

Sa mère, qui dans sa jeunesse, était simple ouvrière dans le nord de la France, ne travaille plus. Son père, lui, est professeur d’allemand. Par nécessité, pour nourrir sa grande famille. Car, en fait, sa passion, c’est l’écriture. Il adore écrire. Que ce soit des contes pour enfants ou des romans policiers qu’il publie sous le pseudonyme de Lawrence T. Ford, il n’est vraiment heureux qu’une plume à la main. Une plume de talent puisqu’il obtient plusieurs prix littéraires : le Prix des Deux Magots, le Prix Cazes et le Grand Prix du roman d’aventures. Depuis, tout le monde a oublié Olivier Séchan, le vrai nom du père de Renaud, mais il a transmis le meilleur de lui-même à son fils, le goût de l’écriture.

M. Olivier Séchan, le père de Renaud, est professeur d’allemand. Un homme plein d’humour et d’intelligence qui a su donner à son fils une éducation stricte, sans heurter son goût de la liberté…

Pourtant, à ce moment-là, le père et le fils ne se comprennent pas encore. Renaud a grandi. L’écolier docile comment à vouloir s’émanciper. Il se laisse pousser les cheveux, au grand dam de M. Séchan qui un jour lui lance :

« On ne se présente pas comme ça à table ».

Alors Renaud, la tête haute, quitte la salle à manger familiale et, pendant un mois, continuera à la déserter. Il préfère dîner seul à la cuisine, plutôt que de sacrifier ses longues mèches blondes.

Pour un oui ou pour un non, des querelles éclatent. Renaud, par exemple, ne supporte pas que son père exige qu’il rentre chaque soir à 20 heures, avec une tolérance, le samedi, jusqu’à 22 heures. Et il le fait savoir!

A vrai dire, il n’a aucun mal à irriter ses parents. Au lieu de rester bien sagement dans le quartier où il habite, la porte d’Orléans, Renaud n’a qu’une idée : retrouver les loubards, et les zonards de la banlieue voisine. Là, il découvre des garçons à peine plus âgés que lui, déjà détruits pas l’alcool et la drogue. Leur détresse l’impressionne. Mais, le soir, il reprend bien sagement le chemin du domicile familial.

Il fera une exception en mai 68. Cette fois, il ne rentrera pas au bercail pendant plus d’un mois !

Concerné

La révolte estudiantine bat son plein. Renaud se sent concerné. Il se rend à la Sorbonne pour mieux vivre ce grand moment. Le 11 mai, il fête même son seizième anniversaire dans la célèbre université, en balayant les affiches déchirées, les détritus, les tracts de ses copains en rébellion.

« Je suis né en mai 1968, dit-il aujourd’hui. On s’exprimait enfin, sur les murs, dans la rue. Moi, je faisais partie à la Sorbonne de l’équipe de nettoyage. J’adhérais au Comité révolutionnaire d’agitation culturelle. J’avais même fondé un autre mouvement, le Comité gavroche révolutionnaire. On était trois dans mon association : deux adhérents et un sympathisant ! »

En mai 68, il avait 16 ans et il était sur les barricades

Renaud ne se prend pas au sérieux. Mais il se sent libre, libre comme il ne l’a jamais été. A la Sorbonne, il fait la connaissance d’un garçon qui eut son heure de gloire dans les années 60, un « petit génie » en mathématique qui s’est lancé dans la chanson : Evariste. Tous deux sympathisent d’emblée. Et là-bas, au milieu des ordures de la Sorbonne, entre deux coups de balai, le chanteur donne à Renaud ses premières leçons de guitare. Renaud s’amuse même à composer une chanson intitulée « Crève Salope ». Elle ne sera, bien sûr, ni publiée, ni enregistrée, mais pour lui c’est le déclic : il sera chanteur ! Sa vocation est née.

Mais la révolution, c’est bien gentil, seulement ses parents commencent à lui manquer. Alors, après un mois d’effervescence, Renaud rentre au bercail. Papa et maman Séchan ne lui reprochent rien, ils sont trop heureux de le revoir vivant. Lui non plus ne leur dit rien, et, s’il n’est plus tout à fait le même qu’auparavant, s’il reprend sans enthousiasme le chemin de l’école, il est malgré tout bien content de les avoir près de lui. Quitte d’ailleurs à les faire encore une fois bisquer, quitte aussi à revendiquer au plus vite le droit de la claquer la porte au nez !

Il commence par se faire renvoyer du lycée Claude-Bernard. Puis par leur annoncer, la bouche au cœur, qu’il ne sera ni professeur comme son père, ni agrégé de poésie grecque comme son grand-père, ni même employé de bureau ou de banque. Rien, en fait, sauf chanteur. 

Et, bien sûr, pas question que ses « vieux » ripostent. C’est son programme, un point c’est tout. 

Fasciné par les « paumés » qui traînent la nuit dans les bistrots de la périphérie, Renaud se mêle à eux, adopte leurs attitudes, fait le dur pour épater les « minettes ». Mais il a beau essayer d’imiter les autres, de prendre le genre « cheveux crasseux et blouson de cuir », rien à faire, il ne sera jamais un vrai loubard.

Lui, pour s’acheter la « moto-qui-doit-faire-rêver-le-nanas », il ne braque pas le dépôt-vente de banlieue, il travaille ! Et qui plus est, dans une librairie où il se jette avec passion sur tous les livres qu’il avait refusé de lire à l’école. Mieux : le soir venue, il donne la moitié de son appointement à sa mère pour payer sa nourriture car ce grand loubard n’a pas quitté l’appartement familial !

Certes, il aurait suffi d’un rien pour qu’il tourne mal. Mais les mauvaises actions de Renaud ne parviennent jamais à avoir l’ampleur de la grande délinquance.

Quand, un soir, pour épater les copains, il décide de leur montrer de quoi il est capable, Renaud ne s’y prend pas par quatre chemins. Il leur montre une Citroën garée sur le périphérique, leur cache que c’est celle de son père et, en caïd, leur annonce fièrement qu’il vient de la faucher ! Oui, de la faucher ! Il se met au volant, démarre… Seulement, il ne sait pas encore conduire… Résultat : la voiture pique dans un fossé et s’écrase, les quatre roues en l’air, dans le champ d’à côté. tous en sortent indemnes. Un vrai miracle ! En revanche, l’engueulade de M. Séchan père, en rentrant, ne sera pas, elle, une intervention du Saint-Esprit ! Les oreilles de Renaud en résonnent encore…

Pour épater ses copains, il vole une voiture sans leur dire que c’était celle de son père !

Renaud, le dur de dur, est le plus tendre des papas pour Lolita. Elle n’a que 4 ans, mais il lui a déjà appris à partager son amour pour la mer.

Aveu

En fait, son plus gros coup, il l’avoue volontiers aujourd’hui, c’est d’avoir « emprunté » une ou deux mobylettes, et encore ! Quant à la drogue, à laquelle tous ses « potes » s’adonnent, là encore, chez lui, ça ne marche pas.

« Je n’y prenais aucun plaisir. Et puis, un jour, j’en ai parlé à ma mère, reconnaît-il. Au lieu de pousser des hauts cris, elle m’a dit : « Si tu ne fumes qu’une ou deux cigarettes de haschisch par semaine au lieu de deux paquets de Gitane par jour, je ne vois pas où est le mal. » C’était chouette de sa part. »

Ecrire

« Alors c’est moi qui, petit à petit, ai renoncé à la came. »

Dans sa tête, Renaud n’a ni vapeur d’alcool, ni flous dû à des drogues ou des comprimés. Lui, il a des vers, plein de vers qu’il a envie d’écrire, dans la tête !

Mais comme il n’a pas encore de public, il se met à chanter dans les rues avec un copain accordéoniste. 

« Un jour, raconte sa mère, en faisant les courses, mon attention a été attiré par une voix familière. Je me suis approchée d’un groupe de badauds qui écoutaient un chanteur des rues et j’ai aperçu mon fils ! J’ai ressenti un drôle de choc. J’ai eu honte de voir un de mes garçons faire « la manche ». Mais mon mari a réagi autrement. Il s’est avancé au milieu du cercle et a déposé une pièce de 5 francs dans la casquette de Renaud. »

Il n’y pas que ses parents qui le remarquent dans les rues. Renaud commence à s’y faire des copains. Surtout un. Un jeune comédien qui à l’époque fait partie de l’équipe du « Café de la Gare », un des premiers cafés-théâtres de Paris : Patrick Dewaere. Renaud va souvent aux répétitions le voir donner la réplique à ses amis comédiens : Coluche, Miou-Miou, Depardieu…

IL FAISAIT LA MANCHE, SON PÈRE LE RENCONTRE ET DÉPOSE
5 FRANCS DANS SA CASQUETTE

Et c’est là qu’un jour le destin va lui donner sa première chance. Paul Lederman, un grand producteur de disques se trouve dans la salle. Aussitôt, un des jeunes de la bande lui parle de Renaud. Il accepte de l’entendre chanter. Renaud s’exécute, le producteur est conquis et lui offre de faire son premier disque. Mais Renaud surprend, déroute trop encore. Le public n’accroche pas.

Paul Lederman, réputé pour son flair, s’obstine. Il lui fait enregistrer un second disque. C’est le fameux « Laisse béton ». Et si la change se fait en peu tirer l’oreille, le disque explose soudain. C’est le succès !

Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Renaud rencontre au même moment la femme de sa vie, Dominique, celle dont il rêvait depuis toujours.

« Cette fille, dit-il à ses copains, je la veux. Je la drague. Je lui fais l’amour. Je lui fais un enfant. Je l’épouse et je vieillis avec elle. »

Et il fera tout dans l’ordre ! Car lorsqu’elle lui annonce qu’elle est enceinte, lui qui n’a jamais perdu l’esprit de famille, juge qu’il est normal de l’épouser en bonne et due forme !

IL A TENU À ÉPOUSER LA MÈRE DE SON ENFANT, ENCEINTE DE 8 MOIS ½ PARCE QU’IL A GARDÉ L’ESPRIT DE FAMILLE

Lolita est venue au monde. Son père et sa mère ont, comme c’est la tradition, envoyé un faire-part pour annoncer sa naissance. Seule nouveauté au style Renaud : le faire-part ressemblait à une couverture d’une « polar » de la Série Noire.

Mais si son bonheur est sage, Renaud n’en a pas honte. Il a besoin de sentir autour de lui l’ambiance chaude d’un nid comme au temps du petit appartement des Séchan au sud de Paris.

Sous ses allures canailles, Renaud cache un cœur très épris de justice et de vérité !…

Ses dimanches, il les passe, lorsqu’il n’est pas sur scène, chez ses parents avec ses frères et sœurs. Et s’il porte encore au bras un tatouage de loubard, c’est pour la plus romantique des raisons : c’est par amour pour Dominique dont il a fait graver le prénom sur son bras.

SI ATTACHÉ À SA FEMME QU’IL A FAIT TATOUER SON PRÉNOM SUR SON BRAS
Renaud est fier d’exhiber son tatouage de « loubard ». Pourtant, si l’on y regarde de près, c’est un prénom féminin qui est inscrit sur son biceps : celui de son épouse Dominique. Une bien romantique attention !

  

Source : France Dimanche