L’écorché vif

Le Dauphiné Libéré

Le Par Luis Pédro

Edition Bourgoin Jallieu & Ville Nouvelle

Renaud : Son nouvel album, « Boucan d’enfer », fait un tabac. Rencontre

L’écorché vif

L’inspiration en berne, l’auteur de « Mistral gagnant » s’était muré dans le silence. Un cœur brisé et une lente chute dépressive avaient signé un quasi-arrêt de mort artistique. Thérapie intimiste, son dernier disque le ramène sur le devant de la chanson. Quand Renaud se raconte…

Posé à « La Closerie des Lilas », brasserie parisienne bon ton où Renaud a pris ses habitudes, il est resté fidèle aux santiags et aux mèches blondes. Réminiscence de ses années noires : la permanence d’un apéritif anisé devant lui…

« S’assoir sur un banc, cinq minutes avec toi et regarder le soleil tant qu’y en a ». Le soleil n’avait plus rendez-vous avec la lune. Le regard noyé dans un verre, puis un autre et encore un autre…

Renaud s’était éclipsé, il avait laissé gagner Renard. Raccourci clin d’œil à Gainsbourg-Gainsbarre qui ouvre Boucan d’enfer, son nouvel album. Chanson exutoire, celle qui raconte tout. Mieux que toutes ces questions sur une dépression, une séparation et une abstention discographique. De huit ans, interrompue brièvement par un hommage à Brassens. En ballotage défavorable, il avait la défaveur des versatiles sondages d’opinion. Déjà mort. Une Victoire de la musique « posthume » dit-il en plaisantant, en guise de couronne de fleurs. Demain, peut-être une nouvelle Victoire en forme de revanche.

Boucan d’enfer transpire de ce mal être qu’il avait tenté de cacher derrière quelques pâles retours. Un tour de France « Une guitare, un piano et Renaud » avait donné, il y a deux ans, l’image d’un homme au bord du précipice. « J’étais bouffi d’alcool, j’avais pris quinze kilos, je n’étais pas beau à voir. Mes performances vocales étaient altérées par l’abus d’alcool et de tabac. Cette tournée qui n’aurait dû être que du bonheur a été une épreuve. Heureusement, la fidélité du public et son indulgence à mon égard m’ont réconforté. Ils aiment bien mon personnage, ma dégaine, mes chansons même si je les massacrais… » lâche-t-il.

Dès que le vent soufflera, nous repartirons.

Persuadé par un ami, il a tenté le pari sur un titre. Les autres ont suivi, inspiration ranimée. La vie artistique semble reprendre son cours. Puis, le cinéma l’a sollicité. « Ca a été une belle aventure avec des gens formidables, Johnny Hallyday, Gérard Depardieu, Harvey Keitel et un très bon réalisateur. Il m’a fait un rôle sur mesure : pas trop de dialogues, pas trop à faire mes preuves de comédien… »

Le rebelle cinquantenaire a rangé ses combats dans la boîte aux souvenirs. « Après le 21 avril, j’ai laissé ma fille de 20 ans aller manifester pour moi. Et puis il y a Zebda ou Noir Désir qui ont repris le flambeau du militantisme. Je leur laisse la place volontiers ».

Boucan d’enfer. Concert médiatique de louanges et de bonheur devant le chanteur retrouvé. Mais Renaud a-t-il vraiment vaincu Renard ?

Vous parlez de « La Closerie des Lilas », ce lieu où vous étiez jour et nuit comme de votre abreuvoir, votre assommoir. Vous n’avez pas eu envie de partir loin d’ici pour redémarrer plus sainement ?

– C’est ma vie les bistrots. J’ai toujours vécu dans les bistrots. J’ai du mal à m’en sortir. Quand je m’en échappais, c’était pour aller en clinique de désintoxication, après plusieurs tentatives infructueuses de décrocher de « la bibine ». La dernière a été la bonne. J’ai tenu quelques mois au Vittel, et puis là je suis en train de repiquer un peu. J’ai du mal à accepter le bonheur, à chaque fois il faut que je le détruise. Enfin, je ne suis pas dans le même état qu’il y a six mois…

Comment avez-vous accueilli l’unanimité autour de votre album dès sa sortie ?

– A la sortie de l’album, j’étais en pleine forme. D’ailleurs, j’étais à Toronto pour le tournage du film. J’avais, par téléphone, la cadence des ventes. J’étais halluciné par le succès du disque. Je suis rentré à Paris, j’ai fait un peu de promo. Cela a quand même mis près de huit ans à voir le jour…

Aujourd’hui, vous devez de nouveau vous découvrir face aux médias. Exercice délicat quand on est resté caché pendant si longtemps ?

– Là, je suis moins caché que le reste du temps. Je suis même dans la lumière. On me voit beaucoup dans les journaux, moins à la télé. C’est un passage obligé. J’y prends du plaisir quand j’arrive à me voir sur un état de contrôle. Il y eut une époque de ma vie où je me trouvais tellement peu regardable que je n’avais pas envie qu’on me voit.

La chanson déclic de cet album a été « Petit pédé » », traitant de l’homosexualité. Un thème que vous n’arriviez pas à aborder. Il y en a d’autres ?

– C’est vrai, il y avait ce thème-là. J’avais peur de rivaliser avec Charles Aznavour et sa chanson « Comme ils disent » et de faire moins bien. Finalement, j’ai réussi à le traiter. J’aime bien parler des minorités. Cela en reste une…

Vous pensez déjà aux prochaines chansons ?

– Chaque album naît un peu plus dans la douleur. Je suis déjà en train d’y gamberger. Plus on écrit, plus on a envie d’écrire. Je finis pour cet été des chroniques très humour noir sur mes années difficiles. Ça devrait sortir en septembre-octobre…

Vous aviez promis d’arrêter de fumer en mai, le jour de vos cinquante ans, ainsi que de boire. Où en êtes-vous ?

– J’ai arrêté dix minutes de fumer. J’ai réussi à prendre un café sans fumer, puis c’est reparti. Au lieu de m’arrêter le jour de mes 50 ans, je le ferai l’année de mes 50 ans… concernant la boisson, avec l’activité professionnelle qui redémarre, j’ai besoin d’un « booster ». J’ai remis un peu le nez dedans avec modération. D’un litre par jour, je suis passé à trois ou quatre verres. Tout est sous contrôle.

José Bové semble être l’un des rares hommes publics qui trouve grâce à vos yeux. Il est fini le temps des idoles ?

– José Bové, il se gâche parfois quand il va dévoyer son magnifique discours dans des émissions de « variétoche ». Il n’est pas à sa place chez Christine Bravo, plutôt dans un débat politique. Il n’y a plus grand monde qui me séduit. Je n’ai plus d’idole, plus de dieu, plus de maîtres à penser. Je n’ai plus de Che Guevara. Si, il reste le sous-commandant Marcos…

Votre frère, Thierry Séchan, vous a consacré un abécédaire (1). Le contenu vous plaît ?

– J’ai trouvé ça moyen. Il y a quelques passages qui m’énervent. Par exemple, plusieurs fois, il reprend mes interviews où je parle de ventes de disques, à l’époque de « Putain de Camion » ou quand j’avais renoncé aux médias, où j’avais vendu 600 000 disques au lieu d’un million… Il me fait tenir des propos de commerçant plutôt que d’artiste. Sinon, c’est un bouquin pour les fans.

A chaque interview, on revient sur ces années de galère. N’est-ce pas un exercice inutile et presque commercial ?

– C’est un peu chiant de rabâcher les années noires, la dépression, les cures de désintoxication. Je n’aime pas trop me répandre sur moi-même. Il me semble que l’album se suffit.

Propos recueillis par Luis Pédro.

(1) Bouquin d’enfer, de Thierry Séchan (Editions du Rocher)


L’intégrale Renaud

1975 : Amoureux de Paname (Polydor) ;
1977 : Laisse béton (Polydor) ;
1978 : Ma gonzesse (Polydor) ;
1980 : Marche à l’ombre (Polydor) ;
1980 : Live à Bobino (Polydor) ;
1981 : Le p’tit bal du samedi soir et autres chansons réalistes (Polydor) ;
1981 : Le retour de Gérard Lambert (Polydor) ;
1982 : Un Olympia pour moi tout seul (Polydor) ;
1983 : Morgane de toi (Polydor) ;
1985 : Mistral gagnant (Virgin) ;
1988 : Putain d’camion (Virgin) ;
1989 : Visage pâle rencontrer Public (Virgin) ;
1991 : Marchand de cailloux (Virgin) ;
1993 : Renaud cante el’Nord (Virgin) ;
1994 : A la belle de mai (Virgin) ;
1995 : Renaud chante Brassens (Virgin) ;
1995 : Zénith 86 (Virgin) ;
1995 : Les introuvables 1980-1995 (Virgin) ;
2002 : Boucan d’enfer (Virgin)


Retour d’enfer

« Les gens pensent que c’est un album nombriliste où je parle plus de moi que du monde. C’est un disque de transition, d’un homme de cinquante balais qui se penche un peu sur son nombril et ses petits chagrins ». Renaud ne s’est pas voilé la face. Boucan d’enfer était d’abord là pour conter des années de galère. Docteur Renaud, Mister Renard, Je vis caché, Cœur perdu ou encore Tout arrêter, autant d’instantanés malheureux d’une existence fortement chamboulée.

Pourtant, au détour d’un titre, L’Entarté, il retrouve sa verve d’antan et épingle Bernard-Henri Lévy. Ce monde de cinglés lui inspire aussi quelques refrains. Il revient ainsi sur l’incontournable 11 septembre avec Manhattan-Kaboul, accompagné par Axelle Red. « C’est ma chanteuse préférée. J’aime beaucoup sa voix, sa sensibilité, son swing. Son côté rock et enfantin. Il y a aussi Alizée, que j’adore, mais elle est peut-être trop jeune pour chanter des paroles aussi graves… » avoue-t-il.

Plus loin, Baltique, le labrador de François Mitterrand a droit de cité. L’ancien « voyou » au bandana rouge reste perplexe devant l’insécurité, la traitant avec ironie dans Mon nain de jardin : « Que les voleurs, c’est malheureux / Volent toujours à plus pauvre qu’eux ».

L’énergie des débuts n’est plus, le désabusé a fait place. Exit Germaine ou Ma gonzesse ; l’amour s’est barré, il a fait un Boucan d’enfer. De toute façon, « Le bonheur reste toujours / L’affaire de quelques jours / Pas d’une vie entière ». Reste le père prévenant avertissant sa fille des dangers de la première fois avec Elle a vu le loup.

Parfaitement illustré par Titouan Lamazou, navigateur et dessinateur, « une rencontre de bistrot », Boucan d’enfer a véritablement regonflé les voiles d’un rafiot désespérément ralenti. Jean-Pierre Bucolo et Alain Lanty ont bien tenu la barre accompagnant leur ami dans la composition, lui qui ne veut pas s’épancher sur ses cordes. « Je ne mets plus trop les doigts sur la guitare. Je suis arrivé à un niveau de méconnaissance de cet instrument. Je sature, j’ai délégué à des meilleurs que moi… »

Dans son esprit tournent continuellement des envies de rendre hommage à tous ceux qu’il cite dans Mon bistrot préféré. ceux qui lui rappellent le temps du bonheur : « Entre deux albums d’auteur-compositeur, j’aime bien faire un album d’interprète. Comme j’ai fait avec les ch’timis ou avec Georges Brassens. Ce sera peut-être Boby Lapointe, Georges Dimey… »

Avant, il repassera par la scène, dès le mois de décembre, impatient de rendre au centuple la monnaie à la patience de son public. Prouver par l’image et le son que Renaud est toujours là. « J’ai très hâte. J’espère d’ici là avoir retrouvé mes cordes vocales… ».

L.P.

« Boucan d’enfer » (Virgin)

En concert dans la région l’hiver prochain :
Le 12 décembre à la Halle des expositions à Annecy, le 14 au Summum à Grenoble, le 13 février au Parc des expositions à Bourg-en-Bresse, et le 15 à la Halle polyvalente de Valence.

  

Source : Le HLM des fans de Renaud