Les aventures socio-culturelles de Renaud

Pilote

French Rock

N° 87, août 1981

par Droulhiole et Coucho

Près du carrefour humide (et goudronné) qui relie l’impasse Marthe-Richard à la rue Saint-Denis, on retrouve Renaud entre deux averses. Dans le lointain, les chauffeurs-livreurs du « Sébasto » s’emboutissent avec entrain… Quand ans (excusez du peu !) qu’on avait envie de rencontrer Renaud. Ça en fait des questions rentrées.

– Ton premier disque date de 75. Sur scène, tu as seulement gardé les deux chansons les plus combatives…

Parce que le public les réclame. Ils veulent « Hexagone » et « Société, tu m’auras pas ». Si je les enlève, je peux plus en placer une, tellement ils gueulent fort. C’est comme la chanson « Où c’est que j’ai mis mon flingue ? » Je la renie pas ; je n’en renie aucune, mais c’est pas ma préférée. Un peu… Manifeste. Je l’assène comme ça, sans humour… C’est le résultat d’une année de « gonflage » : de lire « Baader se suicide d’une balle tire à bout portant » ; Goldman flingué… Toutes ces révoltes qui s’accumulent. Je ne la chante pas souvent sur scène. Elle est longue, elle est chiante… »

– Dans « Société, tu m’auras pas », depuis 75, « l’anarchie » a remplacé « la Commune »…

Le vrai texte était « l’anarchie refleurira »… A l’époque, j’étais tout jeune, j’étais tout con (si tant est que je ne le sois plus). Le producteur m’a dit ça va pas, c’est ceci-cela, ça passera jamais en radio, etc. Alors j’ai mis « La Commune ». Il y a d’autres concessions, dans ce disque : par exemple, à un endroit je voulais de l’accordéon, on m’a mis de la guitare électrique… »

– L’anarchie, on la retrouve dans « Où c’est que j’ai mis mon flingue ? ». Très vite, un drapeau noir, qui passe…

Eh oui, normal. C’est quoi la question, là ? »

– On te prête une image très « agressive ». En fait, quand on lit les textes, on se rend compte…

Qu’il y a une grande tendresse ! »

– On trouve un culte du langage. Plein de référence à la littérature…

« Parce que je suis vachement cultivé ! Non, pas vraiment. J’ai lu tout Chase, beaucoup de polars ! Quand j’étais plus jeune, je tombais dans tous les pièges… Mais comme j’ai arrêté l’école à 16 ans pour bosser (magasinier) dans une librairie, je me suis dit : je fais rattraper le temps perdu. Je fais lire ce que j’ai envie de lire ; pas ce qu’on nous impose à l’école. Alors j’ai lu. Bizarrement, Tout Vian, Tout Prévert… Un jour, je suis tombé sur un Maupassant dans un train… et j’ai lu tout Maupassant. Pourquoi Maupassant, je ne sais pas. Je trouve ça bien écrit, bien sûr, mais je ne peux pas expliquer… J’ai lu Bruant. Après, on m’a conseillé de lire « Le feu-follet » de Drieu La Rochelle. Là-dessus, j’ai digressé sur Céline… »

– Tu mets longtemps pour écrire une chanson ?

Quand je commence à l’écrire, parfois je mets 20 minutes, mais avant, ça peut prendre un an. »

– Tu as commencé à quel âge ?

« 12-13-14 ans. Des poèmes du genre : J’ai pas demandé à naître / Personne ne m’aime / Pourquoi vis-je / Où cours-je / Où fais-je… Après, 15 ans, ça été : La bombe / Mes frères, la fin du monde est proche / Paix au Viêt-Nam / Beatnicks et désarmement… Les manifs avec Jean Rostand…

 

« Je grattais toujours un peu de guitare. Je grattais du Hugues Aufray… En 68, j’ai écrit un poème sur les « événements » qui s’appelait « Crève, salope ! », sur lequel j’ai essayé de mettre une musique, pour voir. Et bizarrement, ça a marché. Trois accords, une mélodie… Je ne connaissais pas le solfège, mais ça a quand même donné une chanson. Je me suis dit : tiens, je vais en faire d’autres. Dans le premier disque, il y en a de très anciennes. « Camarade bourgeois », ça doit dater de 70-71 ; c’est un peu primaire quand même. « Le gringalet » aussi. »

– T’as des chansons d’avance ?

« Un texte ! « Le retour de Gérard Lambert ». J’en ai plein de vieilles que j’estime pas très… Ça viendra, t’inquiète pas. J’ai tous les titres… »

– Et puis, il y a les chansons réalistes pour le moment. Lesquelles, exactement ?

« Deux chansons qui étaient interprétées par Fréhel, « C’est un mauvais garçon », « Le petit bal du samedi soir » ; « Rue Saint-Vincent » et « Lézard », de Bruant ; une simili-paillarde : « La jeune fille du métro », et d’autres… »

– Ça représente quoi, pour toi, la chanson réaliste ?

« Ma mère, Mon père, c’était Vivaldi et Brassens. Musique classique et comme chansons il n’y avait que Brassens. Surtout pas Trenet que j’ai découvert il y a seulement un an, malheureusement. Il n’est jamais trop tard pour découvrir. Je me suis régalé avec le coffret de 13 disques ! Ma mère, c’était plutôt toute cette sorte de chansons. L’accordéon…

« C’est simplement deux éducations. Mon père est d’origine bourgeoise ; ma mère d’origine prolétarienne. Quand j’allais en vacances, même, dans la famille de mon père, c’était dans le midi de la France, chez les protestants… Pas de richissimes bourgeois, mais il y en a un qui est peintre avec son petit atelier dans l’Ardèche, un autre qui est docteur…

« Pour te dire, mon grand-père paternel était professeur à la Sorbonne. Il a passé sa vie à faire des dictionnaires de grec. Mon grand-père maternel était mineur. Il a commencé à 13 ans. A la mine ; tadada ! Moi, j’avais plus d’affinités vers ma famille maternelle, dans le Nord de la France. Pas vraiment les corons, mais pas loin ; avec tout le folklore : bistrots, apéros, tiercé. Je me sentais bien avec mon grand-père prolo. Mais je n’ai pas non plus rejeté la culture bourgeoise de mon père, qui m’a appris aussi beaucoup de choses.

« J’ai peut-être quelque chose à dire parce que ma mère… Et peut-être que j’y arrive grâce à mon père.

« Dans mon premier disque, il y avait beaucoup de chansons influencées par toute une mythologie. J’aimais bien, à l’époque, m’habiller avec une espèce de veston large, la casquette léguée par mon grand-père… J’aimais bien, j’aime toujours, Paris, le folklore, l’accordéon, la Butte Montmartre, les poulbots, la Commune, Gavroche, tout ça. Et surtout, j’aimais bien Bruant…

« Et puis après, je me suis rendu compte que c’était un peu du folklore justement, en ce sens que les gavroches et les marlous d’aujourd’hui, c’était des loubs ; qu’on disait plus une gisquette mais une gonzesse et que les gapettes à carreaux et les bals musette, c’était fini. »

– Et que les loyers de la Butte Montmartre sont un peu chers pour les loubards ?

« Oui, aussi. »

– On t’a souvent comparé ? Je pense à Brassens, surtout ?

« On a parfois cité Brassens, à propos de moi. Pas comparé. On m’a comparé à Antoine, Daniel Guichard… Antoine parce que je grattais ma gui­tare et que je chantais faux ; Guichard pour le côté Paname, la gouaille… »

– Pourtant, entre autres, tu as éveillé les mêmes réactions que Brassens dans les années 50. Pour ou contre…

« Brassens est certainement l’une de mes influen­ces… inconscientes ? Les plus importantes… »

– Il y a d’autres points communs. L’obsession du langage, du mot précis. L‘utilisation de l’alexandrin classique de temps en temps, ce qui n’est quand même pas courant…

« Depuis que je suis né jusqu’a 20 ans, j ‘ai écoulé Brassens (que je ne peux pas idolâtrer parce que c’est pas un mec qu’on idolâtre). Mon père l’écoutait.

« La seule fois où j’ai rencontré Brassens, c’était sur un plateau de télé. Chacun à un bout. Il osait pas venir vers moi. J’osais pas aller vers lui. Encore plus timide que moi ! Vraiment en baissant les veux, sous sa moustache, la main trem­blante, il est venu me féliciter en me disant qu’il ne connaissait que deux ou trois chansons de moi et qu’il les trouvait surtout très, très bien cons­truites. Venant de lui, je te dis pas le compli­ment ! 

« Alors je lui ai dit que… j’avais été à bonne école, et… »

– En somme, vous étiez contents de vous voir.

« Voilà ! »

– RENAUD : n.m. Mammifère farouche au pelage clair, n’appartient à aucun groupe recensé. Le Renaud peuple les banlieues urbaines.
– Il chasse la nuit
– Son cri particulier glace le sang des bourgeois. « HOUOU OUOUOU c’est qu’j’ai mis mon flingue ? »
– Le Renaud n’est pas méchant – faut pas le faire chier… c’est tout.

– A part Brassens, tu as d’autres admirations ?

« Maintenant, là ? Capdevielle. Boris Santeff, chanteur réaliste et social. Cabrel, bien que je me sente plus chtimi qu’occitan… Boby Lapointe, bien sûr, mais je fais partie de tous les connards qui l’ont découvert longtemps après sa mort. »

– Il est mort il y a 13 ans. On peut te demander ton âge ?

« 28 et demi. »

– Ta carrière de chanteur, c’était prémédité ?

« J’écrivais des chansons. Avec un copain accor­déoniste, on faisait la manche dans les cours, puis devant le Café de la Gare, où j’ai d’abord connu Dewaere, puis Coluche. Là, le producteur de Coluche nous a entendus et nous a embauchés pour un endroit qu’il montait, dans l’esprit des caf-conc’ d’avant-guerre. De là, les producteurs de mon premier disque m’ont proposé d’enregis­trer… Et je suis passé au Café-Théâtre : Pizza du Marais, Cour des Miracles, Veuve Pichard…

« Voilà l’histoire. Le premier disque a eu un petit succès d’estime, genre cinq mille. Pour moi, il est passé suffisamment. Je me suis entendu quatre fois à la radio… Je me suis dit : c’est sidérant ; il y a 5 000 mecs en France que je connais pas. Ils ont acheté mon disque. Ça me suffisait. Je ne voulais pas être chanteur. Je l’étais par la force des choses… J’ai jamais ramé, jamais lutté pour faire un disque ou de la scène.

« Je voulais être comédien. Pour le moment, de ce côté-là, je refuse tout. Ils m’ont trop fait chier quand je courais la frime. A me faire venir trois fois, pour finalement en choisir un autre… »

A la manière de …

– Quand l’journaleux d’Pilote est sorti d’sa bouche de métro, qu’il s’est pointé dans mon bistrot en canadienne…
– J’ai dit à Bob qu’était au flipp… Viens voir le guignol qui rapplique, vise la dégaine, c’est un comique.
– Lunettes passées au Miror, le guide Rustica dans la fouille, sauvez Plogoff sur les bords, du vent dans les poils jusqu’au col…
– Approche bonhomme
– L’genre intello-écolo qui pose des questions culturelles à t’faire péter l’caberlot arrête j’chancelle.
– Avant qu’il ait pu dire un mot j’ai chopé l’mec par le paltot et j’y ai dit…
– Toi tu m’fous les glandes
– Pis t’as rien à foutre dans mon monde !
– Arrache-toi d’là t’es pas d’ma bande, casse-toi, tu pues,
– Et marche à l’ombre !

– Mais puisque te voilà chanteur (et c’est pas moi qui vais m’en plaindre), le prochain coup de scène, c’est pour quand ?

« En janvier, à l’Olympia, avec les prix des places entre 40 et 70 F, quoi qu’il arrive. »

– A propos de pognon, Bobino, l’an passé, c’était pas vraiment pour faire fortune, avec les places les plus chères à 50 F et dix musiciens ?

« C’était pas non plus que pour la gloriole. J’aurais bien aimé gagner un peu de pognon… J’ai perdu sept briques, à Bobino. Ça n’a pas d’importance : je les ai rattrapées ailleurs ; ça a bien marché, ça a été bourré pendant un mois, j’ai eu plein de presse… Trop, même. J’ai tou­jours la trouille de faire chier le monde quand je passe trop en télé, quand on parle trop de moi… »


DISCOGRAPHIE :

– « Amoureux de Paname »

– « Laisse Béton »

– « Ma gonzesse »

– « Marche à l’ombre »

– « Bobino Live »

– « Bobino chansons réalistes »

l’ensemble chez POLYDOR


 

Source : Pilote