Décembre 1975
« Le 5 décembre 1975, y’a eu un hold-up avec prise d’otages, dans une banque de l’avenue Bosquet à Paris. Les mecs se barrent vers 2 heures du mat au volant d’une super bagnole que les bourres leur avaient prêtée, avec dedans 2 otages, 500 briques et quelques lingots. A l’angle de la rue François 1er et de la rue Pierre Charron, ils se plantent de plein fouet dans la SM d’un politicard qui s’en revenait peinard du Sénat où venait de s’ achever un débat sur la répression du banditisme et des prises d’otages. Les flics qui suivaient pas très loin derrière profitent de l’accident pour défourailler et canarder les deux mecs qui commencent à s’dirent que ce p’tit braquage tranquille c’est mal barré… J’sais plus d’où j’venais mais j’étais pas loin. Tous ces gyrophares et ces gens qui courrent, je pense d’abord à une manif, j’y vais. C’était la première fois que je voyais un mort. Un des deux mecs. L’autre agonisait plus loin sous les crachats du bon peuple parisien et les insultes des flics. Ils avaient tout deux reçu plus de bastos qu’il n’en faut pour tuer un bœuf. Malgré cela, et bien qu’ayant perdu son sang dans le caniveau pendant plus d’une demi-heure avant l’arrivée d’une ambulance, qui se faisait bizarrement attendre, l’agonisant a survécu aux balles dum-dum de l’antigang et à la haine du badaud. Il était d’ailleurs unanime le badaud. Unanime dans sa haine de l’Arabe, du blouson d’cuir, du voleur qui lui vole son argent dans sa banque, unanime dans son admiration pour ces braves policiers qui, décidement, font un métier dangereux. Tiens ? Pas loin, y’a un badaud unanime, en cuir clouté, qui s’fait prendre à partie par un groupe de manteaux gris. Il dit qu’les flics ont la détente facile et que c’qu’y vient de voir s’appelle une mise à mort. « Et si z’avaient pris ta mère comme otage ! » lance un mec. « Et si c’était ton fils le type qui créve par terre en ce moment ! » qu’y répond. Y’a du lynchage dans l’air, j’me barre. Va falloir que j’raconte tout ca aux potes demain. J’rentre chez moi et j’écris « Les Charognards. » ».
Renaud.
Les charognards
(Renaud Séchan)
Il y a beaucoup de monde dans la rue Pierre-Charron.
Il est deux heures du mat’, le braquage a foiré.
J’ai une balle dans le ventre, une autre dans le poumon.
J’ai vécu à Sarcelles, j’crève aux Champs-Elysées.
Je vois la France entière du fond de mes ténèbres.
Les charognards sont là, la mort ne vient pas seule.
J’ai la connerie humaine comme oraison funèbre,
le regard des curieux comme unique linceul.
C’est bien fait pour ta gueule,
tu n’es qu’un p’tit salaud,
on port’ra pas le deuil,
c’est bien fait pour ta peau.
Le boulanger du coin a quitté ses fourneaux
pour s’en venir cracher sur mon corps déjà froid.
Il dit : J’suis pas raciste, mais quand même, les bicots,
chaque fois qu’y a un sale coup, ben y faut qu’y z’en soient.
Moi monsieur, j’vous signale que j’ai fait l’Indochine,
dit un ancien para à quelques arrivistes,
ces mecs c’est d’la racaille, c’est pire que les Viêt-minh,
faut les descendre d’abord et discuter ensuite.
C’est bien fait pour ta gueule,
tu n’es qu’un p’tit salaud,
on port’ra pas le deuil,
c’est bien fait pour ta peau.
Les zonards qui sont là vont s’faire lyncher sûrement,
s’ils continuent à dire que les flics assassinent,
qu’on est un être humain même si on est truand
et que ma mise à mort n’a rien de légitime.
Et s’ils prenaient ta mère comme otage, ou ton frère ?
dit un père béret basque à un jeune blouson d’cuir.
Et si c’était ton fils qu’était couché par terre,
le nez dans sa misère ? répond l’jeune pour finir.
C’est bien fait pour ta gueule,
tu n’es qu’un p’tit salaud,
on port’ra pas le deuil,
c’est bien fait pour ta peau.
Et monsieur blanc-cassis continue son délire,
convaincu que déjà mon âme est chez le diable,
que ma mort fut trop douce, que je méritais pire.
J’espère bien qu’en enfer je r’trouverai ces minables.
Je suis pas un héros, j’ai eu c’que j’méritais,
je ne suis pas à plaindre, j’ai presque de la chance,
quand je pense à mon pote qui, lui, n’est que blessé
et va finir ses jours à l’ombre d’une potence !
C’est bien fait pour sa gueule,
ce n’est qu’un p’tit salaud,
on port’ra pas le deuil,
c’est bien fait pour sa peau.
Elle n’a pas dix-sept ans cette fille qui pleure
en pensant qu’à ses pieds il y a un homme mort.
Qu’il soit flic ou truand, elle s’en fout, sa pudeur.
Comme ses quelques larmes me réchauffent le corps.
Il y a beaucoup de monde dans la rue Pierre-Charron.
Il est deux heures du mat’, mon sang coule au ruisseau.
C’est le sang d’un voyou qui rêvait de millions.
J’ai des millions d’étoiles au fond de mon caveau,
J’ai des millions d’étoiles au fond de mon caveau.
Source : HLM des fans de Renaud :
– http://sharedsite.com/hlm-de-renaud/journaux/articles/lm_1975.htm
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