MONTRÉAL | MERCREDI 9 AVRIL 2003
Bloc Pot, Parti Rhinocéros, Parti de la loi naturelle… Quel est le rôle des partis politiques
originaux? Sont-ils les «canaris» de la politique, un gage de bonne santé démocratique ? Ou sont-ils les fous du roi qui discréditent le processus électoral, et qui alimentent le cynisme ambiant ?
Hugo Saint-Onge, chef du parti Bloc Pot et candidat dans la circonscription de Gouin aux prochaines élections, n’avait pas d’objection à donner une entrevue à La Presse vendredi dernier. Il n’avait rien de mieux à faire, il était en prison.
M. Saint-Onge s’est fait arrêter au volant de sa «Volvo pot» alors qu’il filait sur l’autoroute à 114 km à l’heure. Les agents de la paix ont constaté qu’un mandat d’arrêt pour possession de cannabis avait déjà été lancé contre lui en juillet 2000 en Ontario. Ils l’ont donc amené «faire un tour au poste».
Dans la campagne électorale actuelle, le Bloc Pot est de loin le parti politique le plus loufoque — et le seul à avoir des candidats «en dedans» — même si les idées qu’il défend sont sérieuses.
Mais au Québec, les campagnes électorales ont déjà été plus colorées que celle qui se terminera lundi prochain. «Les partis loufoques sont moins actifs ces temps-ci, constate Vincent Lemieux, politologue à l’Université Laval. Dans cette campagne, je n’ai pas vu de coups d’éclat, ou de candidats complètement flyés. Dans un sens, c’est dommage. Personnellement, j’aime bien quand un parti original met de la couleur et fait sourire les gens.»
Le Bloc Pot essaie effectivement de mettre de l’ambiance dans la campagne électorale. En début de campagne, ses militants ont fait une tournée de recrutement dans l’ensemble de la province à bord de leur Cannabus, une rutilante Dodge Supervan modifiée, recouverte d’images de feuilles de pot et barrée du slogan du parti: «On va les planter». M. Saint-Onge avoue qu’il a vu son lot de sourires incrédules en cours de route. «La plupart des gens nous trouvent drôles et sympathiques, dit-il. En dehors de la région de Montréal, il y a beaucoup de monde qui ne sait pas qu’on existe… »
«Le véhicule de Satan»
Les partis originaux se divisent en deux catégories: les drôles et les drôles-malgré-eux. Les drôles sont les partis qui ont été fondés dans le but avoué de faire rire les gens. Les autres parviennent au même résultat, alors qu’ils préféreraient qu’on les prenne au sérieux.
Dans cette dernière catégorie se trouvent les Bérets blancs, un parti fondé au milieu des années 30 par des catholiques intégristes de Sainte-Anne-de-Bellevue. Les Bérets blancs étaient connus pour tenir des rassemblements devant des piles de téléviseurs et, pour faire grand effet, se mettaient à tirer dedans avec des carabines. Selon leurs croyances, la télévision était «le véhicule de Satan», «la boîte à cochon». Les Bérets blancs n’étaient pas à court d’idées, pour régler les problèmes économiques du Québec, ils proposaient une solution novatrice: imprimer plus d’argent.
Autre représentant de ces partis drôles-malgré-eux: le Parti de la loi naturelle, qui prônait le vol yogique comme moyen d’assurer le bien-être du citoyen. Qui ne se souvient pas des publicités télévisées mal traduites, où des membres du parti sautaient comme des kangourous sur des matelas de gymnastique ?
« Beaucoup de gens nous disaient que nous étions trop avant-gardistes, explique Sylvia Larrass, ex-candidate du Parti de la loi naturelle dans Brossard-La Prairie, et qui a recueilli 528 votes lors des élections fédérales de 2000. Les gens trouvaient aussi que le vol yogique était pas mal bizarre… Mais ce n’était qu’une des facettes de notre programme. La spiritualité prenait aussi beaucoup de place », dit-elle, en affirmant que le parti n’existe plus ici, mais qu’il est toujours présent aux États-Unis et en Europe…
Un peu de sérieux
Au Québec, le parti politique original qui a fait le plus d’adeptes est sans conteste le défunt Parti rhinocéros, qui s’était donné pour mission de « mettre un peu de sérieux dans la politique canadienne ».
Fondé en 1963 par le Dr Jacques Ferron, le Parti rhino a réussi à récolter plus de 60 000 voix au Québec (5,5 % du vote) aux élections fédérales de 1979.
Il faut dire que les promesses des Rhinos étaient alléchantes : ils proposaient entre autres l’abolition de Statistique Canada, « qui est à la source de toutes les statistiques qui dépriment les gens », et ils promettaient d’unifier le Canada en rasant les Rocheuses pour ensuite remplir les Grands Lacs avec la roche.
« On n’avait pas une cenne, mais on avait du fun en tabarouette », se souvient François Gourd, ex-candidat Rhino dans Argenteuil, à Québec, puis dans Laurier, à Montréal.
En rejoignant les Rhinos en 1978, François Gourd a fait partie de la « deuxième vague » des candidats. « Nous sommes arrivés à un moment où le parti n’était plus actif, nous lui avons donné un second souffle, lance-t-il. Avec le Dr Ferron, le parti avait un humour plutôt pince-sans-rire. Nous autres, on était une gang de clowns pis on fumait pas mal. L’humour est devenu plus direct… »
Parmi les faits d’armes dont il est le plus fier, François Gourd se souvient d’une certaine conférence de presse où son parti avait solennellement déclaré la guerre à la Belgique. Les Rhinos voulaient ainsi protester contre le fait qu’à la
page 54 de Tintin au Congo, Tintin commet un « rhinoticide » en faisant sauter un rhinocéros avec un bâton de dynamite.
« Le lendemain, l’ambassadeur de Belgique nous a invités à venir dîner chez lui pour calmer le jeu, explique Gourd. Alors on a embarqué les enfants et les chiens dans notre van, pis on est allés à Ottawa. On a mangé comme des rois, on a signé un traité de paix avec la Belgique. Avant de partir, j’ai laissé un gros sac de pot à l’ambassadeur. On aurait dit qu’il n’avait jamais vu ça de sa vie… »
« Et puis nous avions pour chef Cornélius 1er, un bébé rhinocéros qui venait de naître au zoo de Granby. Le zoo voulait le vendre à celui de San Francisco, mais nous nous étions opposés, car nous disions que Cornélius était le seul chef de parti qui n’était pas encore vendu… »
Plusieurs vedettes sont passées par les rangs des Rhinos : Michel Rivard, Mara Tremblay, Pascale Bussière, Louisette Dussault, Victor Lévy-Beaulieu, Robert Charlebois, Raoul Wéziwézô Duguay, Gaston Miron… Même l’humoriste Coluche et le chanteur Renaud sont devenus membres d’honneur du parti. « C’est à cause du Rhino que
ces gens-là sont devenus quelqu’un dans la vie, lance François Gourd. Sans ça, personne ne les connaîtrait aujourd’hui, et ce serait très triste. »
« Le Parti rhino, c’était un véhicule magnifique, résume-t-il. Notre but était de pousser les gens à la réflexion, de briser le discours creux des partis. Et il faut croire que nous dérangions, parce que c’est en partie à cause de nous que le gouvernement canadien a changé la loi électorale. Du jour au lendemain, il fallait 50 000 $ pour former un parti officiel. Aujourd’hui, les campagnes sont rendues plates… Et le bouffon, c’est Mario Dumont. »
Des « emmerdeurs »
Les partis qui rient des autres partis et de la politique en général peuvent-ils être nuisibles ? C’est ce que croit Louis Massicotte, politologue à l’Université de Montréal. Selon lui, les partis loufoques entachent le processus électoral, et contribuent à entretenir un cynisme malsain autour de l’exercice politique.
« Les Rhinos, je ne les ai jamais trouvés drôles, explique-t-il. J’ai toujours trouvé qu’ils étaient de vrais emmerdeurs. Contrairement aux politiciens, ils n’avaient pas à se mouiller, à répondre de leurs actes. Et Jacques Ferron, il aurait mérité qu’on lui donne un bon coup de pied au derrière… »
Un avis que ne partage pas Vincent Lemieux, de l’Université Laval. « Les Rhinos faisaient rire les gens, je ne vois rien de mal là-dedans, dit-il. En plus, ils répondaient à un besoin : ils sont arrivés à une époque où beaucoup de Québécois se sentaient mal représentés sur la scène fédérale. Après, le Bloc québécois est venu combler ce manque. »
Et l’émergence des Rhinos témoigne aussi d’un changement social important au Québec : la Révolution tranquille. « Avant la Révolution tranquille, un parti loufoque aurait été impensable au Québec, dit-il. Le climat n’était pas propice. Si un clown s’était présenté contre Duplessis, il se serait sans doute fait casser les deux jambes… »
Pour Hugo Saint-Onge, du Bloc Pot, l’idée de former un parti comme le sien n’est pas tant de rire de la politique « sérieuse », que de vouloir se doter d’une certaine légitimité.
« Ça nous donne plus de poids, dit-il. Avant la fondation du parti, on se faisait constamment harceler par la police durant nos manifs. Il y avait des fouilles arbitraires, les policiers nous filmaient, ils procédaient à des arrestations. Aujourd’hui, c’est juste si la police se déplace pour venir bloquer les rues et faire la circulation. »
« Mais c’est certain qu’on nous a souvent reproché de ne pas être un parti sérieux, poursuit-il. Moi, ce que je ne trouve pas sérieux, c’est quand la police passe son temps à courir après les gens qui fument du pot. Tout est une question de point de vue. »
Source : La Presse