ALAIN BRUNET
envoyé spécial
La Presse À LA ROCHELLE
Pleine lune, ciel clément, brise de mer, magnifique ville portuaire. Une dizaine de milliers de fidèles acclament le chanteur. Et Renaud, torse nu, guitare en bandoulière, célèbre deux décennies de création, émaillant sa performance d’invectives quant au nouvel ordre établi dans sa douce France.
Jouxtant l’Atlantique, l’Esplanade Saint-Jean d’Acre était devenue le lieu par excellence de la chanson d’expression française. Un mercredi soir sur la terre, les onzièmes FrancoFolies rochelaises s’étaient bel et bien mises en marche. « L’année zéro », lancera Jean-Louis Foulquier, appelé à résumer le nouvel esprit régnant sur cet événement qu’il a fondé, et qui a passablement proliféré depuis lors jusqu’à Montréal, à Spa, récemment en Argentine, en Bulgarie, etc.
Nouvelle décennie, nouvelle ère, ainsi pense le célèbre animateur radiophonique sur France-Inter, doublé d’un directeur artistique hors du commun. Ce nouveau départ, Foulquier ne l’a surtout pas imaginé sur le mode de l’étroitesse de l’esprit franchouillard. Il sait où la glorification enflée d’une culture peut mener. Il sait néanmoins que l’acte de célébrer la chanson française produit tout un spectre d’interprétations.
Certains y voient un inquiétant vase clos à l’heure du village global. D’autres y constatent la marque d’une culture en émancipation, une preuve éclatante de bonne santé. « Il ne s’agit pas de faire cocorico ! », prévient Foulquier, pour qui les FrancoFolies n’ont rien à voir avec toute forme de fermeture nationaliste.
« Il faut, en ce sens, être à l’écoute, y aller en fonction du talent. Et si le talent s’exprime en français, il aide à ce que le monde anglo-saxon ne s’étende pas unilatéralement sur les autres espaces linguistiques. Si nous laissons une culture hégémonique prendre du terrain sans réagir, nous allons directement vers la disparition de la nôtre.
« Il faut, en ce sens, présenter tout ce qui existe en français, et ne pas se contenter d’un succès hexagonal, la France ayant la forme d’un hexagone. Il faut séduire ailleurs, partout dans le monde, comme les FrancoFolies l’ont fait récemment en Argentine. De cette façon, un jeune artiste comme Sinclair a pu se faire de nombreux fans à Buenos Aires. »
S’il croit à la vigueur et à la longévité de la chanson d’expression française, Foulquier s’oppose à son expansion sous des allures conquérantes. « D’autant plus, ajoute-t-il, que la plupart des peuples subissent la même pression américaine. Il me semble que les échanges entre les différentes cultures linguistiques, y compris l’anglaise, peuvent fonctionner d’une autre façon. Par exemple, j’ai invité l’Argentin Fito Paez aux Francos. Aller faire cocorico, non. Mais séduire, c’est possible. »
Jusqu’à lundi soir prochain, une soixantaine de concerts seront livrés sur La Rochelle, incluant nombre de programmes doubles ou triples. Bernard Lavilliers, Khaled, Alain Bashung, Youssou N’Dour, Jacques Higelin, Nino Ferrer, Thomas Fersen et Charlélie Couture sont parmi les pointures invitées aux onzièmes FrancoFolies.
Hier, des artistes de l’imposante délégation québécoise, certes la plus considérable chez les francophones résidant hors de l’hexagone, faisaient déjà de l’effet sur les festivaliers. L’enthousiasme était tangible lorsque la Bottine Souriante s’est fait aller le rigodon orchestral, et non moins progressif.
Un peu plus tôt dans la soirée, le groupe anarcho-punk Banlieue Rouge volait le show aux deux autres inscrits au même programme. Dans les jours qui viennent, Richard Desjardins, Éric Lapointe, Beau Dommage, Francine Raymond, Dominique Guinois, Chantal Richer, Johanne Blouin, France D’Amour et Lynda Lemay se produiront également sur les scènes rochelaises. Pour Jean-Louis Foulquier, la principale innovation est la mise en place d’une série rap, présentée dans un hangar du port. Une vingtaine de groupes ont été invités à s’y produire. On compte ainsi y mettre en relief le véhicule d’une nouvelle expression multiculturelle, qui connaît un épanouissement sans précédent chez nos cousins.
De source sûre, on apprenait que MC Solaar, rapper francophone par excellence, détenait le plus gros score de pré-ventes de billets aux onzièmes FrancoFolies ! Qui plus est, le 14 juillet, fête nationale des Français, aura pour grande vedette ce brillant citoyen d’origine africaine, certes l’un des plus doués paroliers récemment découverts. Signe des temps ? Signe d’une année zéro.
Source : La Presse