Les Rolling Stones touchent-ils de la Générale des Eaux ?

Charlie Hebdo

N° 158, 5 juillet 1995

Envoyé spécial chez moi

Est-ce qu’un vrai rocker rapporte les bouteilles consignées ?

On est samedi et je m’ennuie. Il fait cent quatre-vingt mille degrés sur Paris, tous mes potes sont en vacances, et j’ai même pas de boulot. Tiens, j’me dit, je vais aller voir les Stones à Longchamp. Pas dur, par ma maison de disques, qui est aussi la leur, j’ai sûrement moyen de me dégotter une place. J’ai à peine fini de me convaincre que c’est peut-être une idée à la con qu’on sonne à ma porte. C’est un vieux copain de y a longtemps. Un Breton. « Ben qu’est-ce que tu fais à Paris ? » je lui demande. « Je suis venu pour le concert des Stones » il me répond. « Alors ? C’était bien ? Je m’apprêtais à y aller ce soir… » Il me dit alors que le show est génial mais que l’organisation c’est un peu l’enfer : « Figure-toi que je suis arrivé hier à trois heures de l’aprèm’, histoire d’être dans les premiers rangs, il faisait un tel cagnard qu’on avait tous des bouteilles d’eau en plastique avec nous, pour boire et pour s’arroser pendant les six heures à attendre avant le début du show. La sécu, à l’entrée, nous a interdit l’accès avec nos boutanches. Soit on les buvait avant d’entrer sur l’hippodrome, soit ils nous les vidaient par terre. On a tous râlé un peu, mais, face à ces gros cons du service d’ordre, qu’est-c’que tu voulais faire ? Après, on a compris… Dix mètres après le dernier contrôle, les marchands de merguez vendaient des bouteilles d’eau ! Vingt-cinq balles le litre d’Évian ! »

Ben ouais, dans ce genre de méga-concert, les stands de bouffe, boissons et autres marchands de pin’s et tee-shirts payent une concession au producteur du spectacle, pas loin de 20 % de leur recette de la soirée. Alors t’imagines le raisonnement du producteur : « Soixante-dix mille personnes qui débarquent en pleine canicule, qu’est-c’qu’on pourrait bien leur fourguer pour les saigner un petit peu plus que du prix du billet ? Pas con ! De la flotte ! Mais si on veut vendre la nôtre, vaut mieux que les mômes arrivent avec la leur. Hop ! J’ai une idée ! On n’a qu’à interdire les bouteille d’eau ! Je sais pas si on a le droit dans une enceinte en plein air d’interdire aux gens de transporter une bouteille en plastique pleine d’eau, mais qui c’est qui va gueuler ? N’oublions pas que nous nous adressons à des consommateurs de rock’n’roll, pour ainsi dire du bétail… »

Ça m’a gonflé, j’ai renoncé. J’irai voir les Stones la prochaine fois. Si la prochaine fois il neige, j’espère qu’ils interdiront pas les moufles pour en vendre plus loin ! Au lieu de ça, je suis allé bouffer chez Philippe Val. « Il fait tellement chaud, on mangera dans le jardin ! » m’avait-il proposé un peu avant au téléphone. « Attends ! » j’avais dit, « ôte-moi d’un doute : je peux apporter ma bouteille d’eau ? »

J’ai même pas eu besoin de l’ouvrir. À peine à table, il s’est mis à tomber des cordes.

Samedi de merde…

  

Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud