SAMEDI, 17 FÉVRIER, 2001
Chanteur populaire
Trophée pour le chanteur. Mais le plus grand hommage est un CD où Saïan Supa Crew et le gratin du rap reprennent Renaud.
Quarante-huit balais. Douze millions de disques. Des tournées et des concerts qui, sans promotion spéciale, affichent complet. Depuis plus de vingt-cinq ans, le Petit Poucet de la chanson française continue son bonhomme de chemin, semant joyeusement ses cailloux dans l’engrenage huilé du show-business. Ce soir, les victoires de la musique lui décerneront un trophée en honneur à sa carrière.
Celui qui a toujours fait la nique au « showbise » viendra-t-il à l’Olympia, où se déroulera la remise des prix ? Ses rapports avec les médias n’ont jamais été simples. « Je ne veux plus participer au brouhaha ambiant », confiait-il à l’hebdomadaire Marianne en juin 2000 (voir l’article), après sept années de silence médiatique. Dans le passé, il en a surpris plus d’un, en choisissant de répondre à Télé 7 jours plutôt qu’à un journal intello à la mode. Les branchés l’agacent autant que les blaireaux.
Pas étonnant que son œuvre interpelle les artisans du hip-hop made in France. Ces derniers ne sont-ils pas, au bout du compte, ses frères d’âme, comme lui « loubard de fond » et poètes flamboyants du gris quotidien ? Une escouade de rappeurs sans peur et sans reproche vient de boucler un disque, où ils ont repris des titres de l’empêcheur de rimer en rond. Quand on entend la verve de Saïan Supa Crew investir Marche à l’ombre – la bombe de 1980 – on pourrait croire que le fameux groupe hip-hop parisien en a signé les paroles. C’est vrai que, deux décennies plus tard, la société, « elle est toujours pas bonne » et, aujourd’hui encore, le mec dans son HLM a les boules.
Les rappeurs de la Brigade revisitent Marchand de cailloux (publié par Renaud en 1991). Ils n’en ont pas changé une ligne. Tout leur art se cristallise dans la manière de se réapproprier la chanson. « Je connaissais les textes les plus célèbres comme « Laisse béton », explique Loïc, un des « Brigadiers ». Je n’avais pas entendu celui-là. Mais l’écriture de Renaud n’a pas d’âge. Comme nous, rappeurs, le faisons, elle puise à la vie de tous les jours et au langage populaire, pour essayer de forger quelque chose de créatif et poétique. » Dans le disque Hexagone 2001 (dont le sous-titre, Rien n’a changé, souligne le statu quo social), Oxmo Puccino réinterprète Je suis une bande de jeunes, tandis que Disiz la Peste (qui, fin 2000, a explosé les hits parades avec J’pète les plombs) squatte magistralement Dans mon HLM.
Complètement véridique, aussi, la version des Charognards par Less’ du Neuf. Cela parle de la mort d’un braqueur « qui vécu à Sarcelles et qui crève sur les Champs-Élysées ». « J’ai la connerie humaine comme horizon funèbre / Et le regard des curieux comme unique linceul » raconte le mourant, sur lequel se penche un cortège de racistes, de fiers combattants d’Indochine et autres va-t’en-guerre. Pour les rappeurs, ça doit faire bizarre de savoir que l’hymne en colère, Où c’est qu’j’ai mis mon flingue (revisité par Big Red, dans Hexagone 2001), ne fut l’objet d’aucune censure. « A Longwy comme à Saint-Lazare / Plus de slogans face aux flicards / Mais des fusils, des pavés des grenades ». Thierry Séchan, frère du chanteur et auteur du livre le Roman de Renaud, écrivit : « L’État giscardien se sentait sans doute assez fort pour laisser passer ces « espiègleries » radicales. » Les victoires de la musique, qui ne distinguèrent pas le Gavroche inspiré avant 1993 (pour l’album Renaud cante el’Nord), le saluent maintenant. Mais le plus bel hommage s’appelle Hexagone 2001, habité de ces nouvelles générations d’artistes qui trempent leur plume dans le bitume et crient leurs rêves sans baisser la tête.
Fara C
CD à paraître le 27 mars : Hexagone 2001 (Virgin), avec Saïan Supa Crew, la Brigade, etc.
En tournée, notamment le 20 au Mans, palais des Congrès ; le 24, Bordeaux, le Fémina ; le 25 février à Toulouse.
Sources : L’Humanité et le HLM des Fans de Renaud