PARFOIS, dans les journaux spécialisés, on trouve que Daniel Balavoine est un poète romantique du béton et de la banlieue. Mais, sinon, le romantisme s’est tassé Michel Sardou ne se présente plus sur ses affiches dos au mur, bandeau sur les yeux, et chemise blanche. À la télévision, les faux ténors légers à boucles brunes et jabots étaient tristes, avec beaucoup, beaucoup de violons, et beaucoup de petites filles sur des petites plages, comme l’a remarqué Guy Bedos. Maintenant, Philippe Chatel, Renaud, Plastic Bertrand, se sont fait une autre tête, plus dure, et enfantine, il n’y a guère que Julien Clerc qui réussisse à maintenir son personnage, à renouveler sur le thème de la passion et des évasions exotiques, son stock de métaphores.
Alain Souchon vient de cette génération des chansons langoureuses, et, comme Gérard Lenorman (mais mieux que Frédéric François et Dave), il était gentil et simpliste. Quand on écoute le premier disque de la rencontre avec Laurent Voulzy (1974), on en reste très étonné. Il exploitait ses refrains et les chœurs jusqu’à l’écœurement, s’apitoyait sur les oiseaux, voulait « partir dans les étoiles, partir et ne plus revenir C’était, dans son château, toi, rien que toi et moi », et il avait beau dire « moi, l’amour 1830, pathétique, romantique, je trouvais ça démodé », il était tout à fait dedans, dans le nouveau romantisme (celui de la première moitié des années 70, pas l’autre).
Mais il y avait : J’ai dix ans, T’aurais dû venir et C’était un soir, avec ses « rimes de confiture ». Souchon était donc déjà là, il y a quatre ans, Souchon que tout le monde aime aujourd’hui, et qui s’est fatigué dix ans derrière le succès, Souchon en couverture de l’hebdomadaire chrétien, la Vie, et de l’Express. Il a apparemment trouvé qui il était, et dans son quatrième disque (Toto, trente ans, rien que du malheur), il a encore fait des progrès. Il continue à jouer sur les malaises de l’enfance, mais il travaille sur la présence du souvenir, sur la résonance de certaines expressions (« J’étais pas là, j’étais pas là… »). Il ne cherche pas à parodier le langage des écoles, mais, avec son air navré, sa voix fêlée, il plonge dans les vieilles angoisses.
À la manière de Barbara, il ne parle que de lui, mais il n’est plus comme les poètes de la chanson qui l’ont précédé : il ne décrit plus directement, il creuse l’ellipse. La variété des rythmes, l’adresse des ruptures, le dépouillement savant (Lulu), loin des évidents refrains d’amour, lui ont fait gagner du terrain – terrain de l’ironie, sa force. À trente-quatre ans, il s’attarde sur ses dix ans, ses huit ans ? De là partent les sentiments incertains, les serments jamais tenus, les gloires jamais faites, la vérité première.
Homme de salut public, proche de tous par sa façon de récupérer les litanies quotidiennes sur la peur de grossir, sur la peur de sa peau qui vieillit, il fait chanter le malheur en dansant, en tapant dans ses mains. Ou, poings fermés au fond de ses poches, il s’éloigne du jeune homme allure sport, qui, en décembre 1976, donnait un grand air de simplicité aux pompes de l’Olympia, pour devenir, comme chacun parfois, tout petit et très vieux.
Source : Le Monde