L’escale de Renaud au Zénith

Par CLAUDE FLÉOUTER. Publié le 01 mars 1986 à 00h00 – Mis à jour le 01 mars 1986 à 00h00

« La chetron sauvage » (la tronche sauvage) est de retour, proclame en verlan l’affiche placardé sur les murs de Paris et au fronton du Zénith, où il vient de prendre ses quartiers pour un mois dans un décor maritime, un port où est amarré un bateau connu des lecteurs de Tintin : « Karaboudjan ».

Porté par l’enthousiasme d’une salle pleine à craquer, Renaud, champion de vente des disques depuis quatre ans, arrive sur scène. Naturel, avec son infinie pudeur et une paradoxale timidité.

« Alors, vous êtes toujours là ? », lance-t-il aux spectateurs retrouvés dans le même lieu après deux ans d’absence et qui lui répondent aussitôt d’une seule voix. Renaud prend plaisir à jouer avec sa spontanéité, sa fantaisie, sa liberté :
« Je ne vous ai pas déçus pendant ces deux années ?
– Non, répond le chœur de la salle.
– Même quand j’ai été en Russie ou aux States ?
– Non.- Vous êtes de droite ?
– Non.
– Je ne vais pas vous chanter Hexagone. Ça me gêne un peu de reprendre cette chanson : depuis cinq ans, j’ai moins honte d’être Français. »

Qu’on ne s’y méprenne pas. Celui qui a convaincu tous les publics, des intellectuels aux gosses du béton, avec un mélange de colère et de tendresse, d’humour et de gouaille, ne renie pas pour autant son penchant pour les doux anarchistes. Après Villon, Bruant, Brel et Brassens, Renaud perpétue à sa manière une tradition frondeuse de la chanson française, où l’insolence sous-tend la fraternité, où, derrière le brocard, il y a des personnages qui ont une grande délicatesse, une vive humanité.

Libre, ou plutôt indépendant dans le sens où personne ne lui demande des comptes, Renaud a, comme Ferré, repéré la parole amour qui se barrait un beau matin du dictionnaire et il l’a saisie et depuis cela coule en lui, cela lui a donné l’occasion d’écrire de belles chansons : Pierrot, en forme de dialogue avec un fils à naître et à grandir; Manu, autoportrait bouleversant; P’tite conne, épitaphe d’une « enfant perdue » qui « casse sa pipe d’opium » et repose à présent « tout près de Morrison »; Miss Magie, hymne à la femme derrière le croche-pied au premier ministre britannique.

Depuis son premier album, il y a dix ans, Renaud a su garder le ton juste, une authenticité dans les mots, un style direct, sans concession.

Le très beau spectacle que le chanteur offre au Zénith est d’abord placé sous le signe du plaisir de se retrouver face au public et de se livrer au jeu de l’échange, tant par des libres propos que par les chansons de son nouvel album, des titres plus anciens et une reprise d’un succès de Bruce Springsteen. La mise en scène repose sur quelques idées simples et efficaces. Les lumières et le son sont impeccables. Et Renaud lui-même ne reste plus planté devant le micro. Il évolue à l’aise sur l’immense

Source : Le Monde