Lettre à Renaud

Elle s’appelle Elsa. Cela aurait pu être un hommage à Elsa Triolet, l’aimée du poète Aragon. Mais si notre fille porte ce doux prénom, c’est d’abord pour toi, Renaud. Je me souviens de ce trajet de retour depuis la Vallée d’Aoste voisin. Après une parenthèse enchantée dans cette belle vallée, nous remontions la route du Saint-Bernard. Dans l’habitacle, tes classiques qu’on aime entonner à deux. Dans mon tiroir, un deuxième polichinelle qui sortira à l’automne. Et puis cette chanson, «Elsa», qui accroche l’oreille. Histoire vraie et déchirante d’une famille amie frappée par le suicide d’un fils à 20 ans.

Elsa, c’est cette sœur qui doit vivre avec l’absence, le cœur émietté et l’esprit révolté. Que tu tentes de consoler, toi l’homme au bandana rouge et au perfecto, sur l’album «Rouge sang». Avec tes mots tout simples qui clament que la mort est un scandale mais que le fardeau du chagrin est plus léger une fois partagé.

Les larmes me montent aux yeux. Sensiblerie de femme enceinte? Je ne crois pas. C’est juste que tout sonne juste. Ta douceur, ton empathie, ton souci des petites gens. Ce n’est sans doute pas ton meilleur album ni ta chanson la plus connue. Mais «Elsa» a marqué nos cœurs et rimera désormais avec bonheur.

8 ans que notre fille a déboulé dans nos vies, pleine de lumière. 8 ans que tu galères, toi l’artiste écorché par un monde devenu abscons. Tu as sombré, tu t’es relevé, tu t’es à nouveau achoppé mais l’amour encore t’a porté. Jusque sur la scène. A quoi bon, me suis-je dit, en entendant ton semblant de voix, en te voyant assis, presque résigné… Le tableau sur les réseaux sociaux m’a fait frémir… L’ombre de toi, un fantoche sans âme… Pourquoi cette énième tournée?

Mais mardi soir j’ai pu voir que tu es encore là, cher Renaud. Galvanisé par l’amour d’un public qui sait ce qu’il te doit. Toi le poète de ces petits riens qui veulent dire beaucoup. Alors je te dis, «Merci».