L’homme de la semaine

La Tribune

SHERBROOKE

SAMEDI 4 FÉVRIER 1989

BAVASSERIES

Kevin Spraggett qui contrairement à la majorité des honnêtes travailleurs, gagne sa vie en multipliant les échecs, a été considéré par le jury: mais comme il fait cavalier seul du haut de sa tour et que nous ne voulons pas faire des fous de nous, nous avons déclaré sa candidature du même type que les parties qu’il a disputées à Youssoupov: nulle.

C’est un chanteur, ou plutôt un gueulard vulgairement appelé rocker, que nous parons de notre couronne: Renaud, un Français engagé qui dénonce Margaret Thatcher, la loi 178, les atrocités de la guerre, les injustices sociales. Nous reconnaissons en lui le frère de l’humanité, le dénonciateur de la bêtise hmaine, le visionnaire. Et si jamais ce valeureux Français rassemble assez de courage pour regarder ce qui se passe dans son glorieux pays et condamner avec autant de virulence ce que son pays fait pour se signaler au palmarès des injustices, il aura droit à un prix international.

Vous ne connaissez pas Renaud et vous doutez de la pertinence de ce choix? Vous avez sûrement entendu un chanteur dont la voix ressemble à Hydro-Québec en hiver, i.e. habituellement éteinte? C’est lui! Il masque sa voix éraillée et fausse en criant comme un perdu, comme s’il avait honte de gagner sa vie avec une voix pareille. La seule chose qu’il n’attaque pas, c’est le prix qu’il faut payer pour aller l’entendre débiter ses accusations contre le genre humain, ce qui évidemment exclut le genre français. (Un gars ne peut pas avoir que des défauts, il lui faut bien un minimum de tolérance quelque part).

Nous sommes privilégiés au Québec de recevoir Renaud qui vient nous expliquer que c’est épouvantable que l’anglais ait droit de cité dans les commerces. Ce n’est pas en France, n’est-ce pas qu’on achèterait du chewing-gum dans les drugstores, qu’on applaudirait les hits des stars et qu’on garerait sa voiture dans le parking pour aller faire son shopping? Merci Renaud de nous éclairer sur le sort misérable qu’on fait à la langue française au Québec. Merci de nous dire comment on devrait gouverner les pays qui n’ont pas eu le génie et le bon goût de s’appeler France. Et bon voyage de retour!

Gaspard Blanchard

    

Source : La Tribune