Cool
N° 14, février 1986
Cool : Avec cet album, tu ouvres un peu plus l’éventail des thèmes que tu abordes. Tu laisses un peu tomber l’étiquette « copain des gentils loubards » qu’on t’avait mise sur le dos.
RENAUD : Oui, parce que j’avais pas envie de chanter les mobylettes toute ma vie, les petites histoires de quartier, de rue, de baston. Ce sont des histoires qui me touchaient à une époque, qui me touchent encore. Mais j’ai eu envie d’élargir l’éventail, de parler des choses qui se passent ailleurs. Au début, je voulais me limiter en me disant : « y’a trop de boulot, si je commence à lutter contre toutes les conneries, les violences, les guerres, les haines, les injustices qu’il y a dans le monde, il faut que je fasse au moins un disque par semaine ou par jour. Donc, je me concentrais sur ce que je connaissais le mieux et ce que je voyais quotidiennement, c’est à dire les histoires de mecs en banlieue ou à Paris, dans les bistrots… Et puis, j’ai pas eu envie de tourner en rond, j’ai voulu diversifier mon champ d’action.
Cool : Tu en es à ton 4eme album, mais quelle a été ta réaction lorsque tu as tenu ton premier disque ?
RENAUD : D’abord, j’étais fier de voir ma pochette parce que je la trouvais très belle à l’époque. Maintenant, je la trouve à vomir. Et puis, ça m’a fait drôle. Je me suis dit : « quand les copains vont voir ça, quand ma mère va voir ça… ».
Cool : Ça continue à te faire autant d’effets quand tu termines un disque à présent ?
RENAUD : Oh oui ! Quand je vois arriver l’album fini, avec les photos, la mise en page et tout, j’ai l’impression que c’est une naissance, comme un petit dernier, le petit nouveau de la famille qui vient de naître. C’est beau. Je le regarde.
Cool : As-tu l’impressions de tout dire dans tes chansons ou aimerais-tu avoir un contact plus important avec le public ?
RENAUD : J’aimerais ne faire que des chansons, plus d’interview où le réponds à des questions du type : « Oui je sais, d’où je viens, pourquoi je vis, qu’est-ce que je pense de ceci, de cela… ».
Cool : Toi-même, n’est-tu pas curieux en ce qui concerne les gens que tu admires ?
RENAUD : Si. Et je sais que ça correspond à un désir du public, d’en savoir plus sur les gens qu’ils aiment, mais moi je ne suis pas un homme publique.
Cool : On dirait que tu as peur du pouvoir que tu peux avoir pour le public ?
RENAUD : Bien sûr, oui. Je ne veux pas que mes chansons soient prises au premier degré, ce qui a été le cas à une époque. Je sais aussi que les chanteurs peuvent parfois avoir autant de presse que les hommes politiques parce qu’ils emploient moins le mensonge. Nous, on a la musique qui aide, qui enjolive les propos, ais les gens n’ont pas besoin d’artistes. Moi, j’ai vraiment l’impression que les gens attendent de moi autant que dans mes chansons, alors je me tue à leur dire que mes chansons sont plus grandes que moi. Les chansons, c’est du travail, c’est du boulot, c’est toutes mes tripes qui sortent, c’est des jours et des heures à chercher le mot juste. Je donne vraiment le meilleur de moi-même dans mes chansons. Je donne tout ce que j’ai.
Le reste, ce sont des propos de bistrot que je tiens, sur la vie, sur la politique, sur la société. Mon discours est complètement banal, je crois.
Cool : Le fait qu’on devienne un chanteur important, écouté, c’est qu’on travaille dix fois plus que les autres, qu’on a plus de charme que les autres, qu’on prend plus de risques ?
RENAUD : La chance m’a sûrement aidé. Je dis souvent que ma main doit être guidée. Je crois au destin et à une inspiration divine, pas religieuse, qui ne fait écrire des choses qui plaisent aux gens, qui me dépassent. Parce que tu sais, dans la vie, je sors au restau, avec les copains, j’ai jamais raison, je m’engueule tout le temps avec mos potes. Je sais pas, j’ai cette qualité, je ne sais pas si c’est un don, pas au sens positif, mais au sens que c’est pas de ma faute de savoir exprimer les choses que les gens ont envie d’entendre et que les gens pensent sans savoir les exprimer. Il paraît que je sais parler de ces choses, soit avec humour, soit avec tendresse ou virulence.
Cool : De la « Pizza du Marais » au Zénith, il s’est passé beaucoup de choses. Quelles sont les différences entres tes rêves de l’époque et ta vie d’aujourd’hui ?
RENAUD : Je m’imaginais un métier en me disant : « le show-business, c’est tous des pourris » et finalement, il y a beaucoup de pourris mais pas plus que dans les autres milieux. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des artistes, des commerçants et quelques-uns qui sont un peu les deux. Ce n’est pas évident de mélanger des gens dont le métier c’est de vendre du disque et d’autres dont c’est avant tout de vouloir vendre, d’écrire, de crier. Il y a les créateurs d’un côté, les marchands de l’autre, mais il y a quand même plus de mecs grands de cœur chez les créateurs.
Cool : Le Zénith, un spectacle sobre ou grande machinerie ?
RENAUD : Le lieu ne se prête pas trop à un spectacle dépouillé. Je vise plutôt d’en foutre plein la vue au public, mais pas avec une machinerie, des confettis, etc. Les gens qui viennent à un spectacle aujourd’hui, qui vont écouter un chanteur, qui payent cher pour voir ça, veulent du show, des lumières, des trucs qui les étonnent et les émerveillent. Je ne vais pas tomber dans la folie pure, de prendre un metteur en scène comme Higelin avec des décors qui bougent, mais je vais faire un petit effort pour qu’il se passe quelque chose de vivant sur scène et que les gens se disent : « On a payé (…) ».
Source : Cool