Certitudes
N°207, Novembre-Décembre 2002
Renaud Elle a vu le loup, Ceci-cela 2002
ELLE A VU LE LOUP
T’as vu Lolita
Ta pote Marie-loup
Qu’a un an de moins que toi
Qu’ j’ai connu bout-de-chou
T’as vu comme elle a changé tout d’un coup
Ben ma doudou
Elle a vu le loup
J’vais pas lui reprocher
Eh, c’est pas un crime
A peine un péché
Et des plus minimes
D’après sa copine
Qui l’a balancée
C’est à la mi-aout
Qu’elle a vu le loup
C’est plus pour la frime
Que pour le frisson
Qu’un soir de déprime
Un gentil couillon
A eu le grand bonheur
De gagner l’pompon
De cueillir sa fleur
Avant la saison
Ormis la jouissance
D’emmerder ses vieux
Y’avait pas urgence
Y’avait pas le feu
D’autant que la romance
A duré bien peu
Elle a vu le loup
Deux minutes en tout
Pour la performance
Et puis pour l’extase
La pauvre est malchance
Tombée sur un naze
Vilain comme un pou
Maladroit comme tout
Elle a vu le loup
Il vaut pas un clou
Elle a vu le loup
Tant mieux ou tant pis
C’était pas un bon coup
Ni un bon parti
J’lui jette pas la pierre
Je crée pas une émeute
Y parait que sa mère
A vu toute la meute
Quant à toi ma douce,
Ma jolie pucelle
Suce encore ton pouce
Joue à la marelle
C’qu’a fait Marilou
Et bien tu t’en fous
Elle a vu le loup
C’était un voyou
J’espère ma douce,
Que quand viendra l’heure
De prendre cette pastille
Sous ta robe à fleur
Que le loup aura l’heure
De te plaire autant
Pour son joli cœur
Que pour ses talents
Si naît ce beau jour
Doux comme un agneau
Donne-lui ton amour
En papier cadeau
En plus du diamant
Que tu gardes encore
Et combien de temps
Au creux de ton corps
On l’attendait, le retour de Renaud, comme d’un copain de jeunesse qu’on aurait perdu de vue et qui nous aurait manqué. On avait entendu dire que sa femme l’avait quittée, et qu’il était parti à la dérive. Son dernier cd, Boucan d’enfer, tourne essentiellement autour de ce séisme personnel. On aurait pu passer au scanner Docteur Renaud, Mister Renard, où l’auteur met en balance ses bonnes et mauvaises tendances. Mais tout y est dit, et si bien. Nous nous intéresserons donc plutôt, dans cet album, à une chanson très originale.
Évoquer, sans jamais prononcer le mot, la virginité de sa propre fille, c’est une démarche originale, et qui ne manque pas de courage. Lessivé par la rupture de sa propre vie de couple, désabusé sur la pérennité de l’amour (Mal barrés est une version pessimiste des Amoureux des bancs publics de Brassens), le papa montre par cette comptine bien veillante qu’il n’est pas revenu de tout ; il n’est pas nihiliste et on dirait même qu’il envisage, et veut préparer pour Lolita un avenir sentimental, peut-être moins sombre que le sien. C’est assez noble, surtout quand on rentre dans le détail.
Une portée forcée
Marylou a donc fauté. Le bout’chou qu’il a connu changé tout d’un coup. Elle a brutalement quitté, et avant la saison, l’âge où on suce son pouce et où on joue à la marelle. En d’autres temps, on aurait dit : elle a perdu son innocence. Notons, au passage, que la relation sexuelle est implicitement présentée comme le passage dans le monde pas forcément génial des Adultes. Avis aux pédophiles, qui jusque dans les tribunaux, prônent la pédophilie douce sous prétexte d’initier la chair fraiche !
Cette aventure n’a rien d’extatique. La première fois, c’est rarement le cas, surtout pour les filles, à ce qu’on dit. Ça vaut peut-être la peine d’être rappelé. Car en fait, qu’est-ce qui a motivé Marylou ? Le grand Amour ? La perspective d’une jouissance indicible ? C’est plutôt le plaisir de s’opposer à ses parents (même si sa mère semble avoir fait pire) et, surtout de…
… faire comme tout le monde
Faire comme tout le monde. Ou plutôt faire comme tout le monde dit qu’il a fait. Rares sont celles et ceux qui, devants les copains ou les émissaires des instituts de sondages, avouent qu’ ils ne l’ont pas encore fait. Entre les statistiques et la réalité, il y a la marge du mythe social au moins partiel. C’est un piège redoutable. On n’est pas toujours fier, même quand on a des principes chrétiens, même quand on est chrétiens, d’être puceau ou pucelle, y compris à ses propres yeux. Alors, il faut résolument reprendre à son compte l’exhortation de papa Renaud : C’qu’a fait Marylou eh bein tu t’en fous. Point à la ligne. Qu’elle soit fière ou non, que t’importe ? Toi, choisis comment tu veux être traitée. Ne te laisse pas consommer pour être (soi-disant) dans la norme.
Est-ce son vieux fond protestant, papa Renaud, bien qu’il dise des gros mots, n’aime pas la vulgarité. Le sexe pour le sexe, c’est nul et archi-nul. Le corps de sa fille à lui, c’est une forteresse qui ne doit pas être assaillie. C’est seulement un amour authentique qui aura l’autorisation d’en ouvrir le portail, et combien il est précieux, ce diamant réservé à celui qui, sincèrement, donnera à la belle tout son amour et recevra le sien en retour. Il n’est pas exagéré de reconnaitre dans les deux dernière strophe sa réécriture (sans doute involontaire) du Cantique des cantique :
Mon bien-aimé, il est à moi, et moi, je suis à lui … Tu es un jardin bien clos, ô toi ma sœur, ma fiancée, tu es une source close, une fontaine scellée. (..)
A partir de cette appartenance réciproque et librement consentie, à partir de ce respect du jardin bien clos sous la robe à fleurs, le don de soi devient possible :
Moi, je suis à mon bien aimé et c’est moi qu’il désire. Viens donc, mon bien aimé, sortons dans la campagne… nous nous lèverons au matin, de bonne heure, pour aller dans les vignes…. Là-bas, je te ferai le don de mon amour. Les mandragores exaltent leur parfum. Nous avons, à nos portes, des fruits exquis de toutes sortes, tant anciens que nouveaux. Pour toi, je les ai réservés.1 (Cantique 2:16 ; 4:12 ;7:11 à 14 extraits)
Savoir se réjouir
D’aucuns objecterons que le péché de Marylou n’est pas des plus minimes (et d’ailleurs l’éventualité d’un enfant non désiré, ou d’un IVG vient rappeler que l’acte n’a rien d’anodin). On pourrait regretter que Renaud ne parle pas explicitement de don de soi pour la vie, encore moins de mariage. Est-il en état de la faire, alors que la mère de son enfant a quitté Renard, et Renaud en même temps (un beau jour l’amour se casse, comme toi²)? N’en demandons pas trop. Et en se temps où la sexualité est à la fois omniprésente et très dévaluée, il faut se réjouir de cette chansonnette pleine de délicatesse qui, sans être moraliste, met talentueusement les points sur les i. A côté de toutes les chansons dégueulasses 3 où les filles ne valent que par leur aspect consommable, Elle à vue le loup est un joyau qu’il faut soigneusement préserver dans sa discothèque.
1 (Cantique 2:16 ; 4:12 ; 7:11 à 14 extraits)
2 Mal barrés
3 Ce fut le titre provoquant d’une chanson très amusante de Renaud
Source : Le HLM des Fans de Renaud