Louane, Danièle Gilbert, Frank Margerin… Renaud raconté par ceux qui l’ont chanté, dessiné ou aimé

Le Journal du Dimanche

Culture

Stéphane Joby, Ludovic Perrin
, Mis à jour le 

Des personnalités qui ont chanté, dessiné ou aimé Renaud nous confient ce qu’il représente pour elles, alors que l’artiste est exposé à la Philharmonie de Paris à partir du 16 octobre.

Le chanteur Renaud, ici le 29 juin à l’Isle-sur-la-Sorgue. © Sipa

David Séchan : « Il est mon jumeau que j’aime et que je protège »

Frère jumeau de Renaud et commissaire de l’exposition

Il m’est arrivé une seule fois de faire sa première partie : je suis né dix minutes avant lui le 11 mai 1952. Jusqu’à nos 20 ans, on a eu la même vie, puis, à la sortie de son premier album, je suis devenu le frère de Renaud… Très vite, j’ai tenu à me différencier, même s’il reste mon jumeau que j’aime et que je protège. Au sein de notre famille, intello bourgeoise mais plutôt désargentée, l’un des six enfants s’est mis à vivre de manière aisée, à fréquenter un milieu que nous ne connaissions pas, à dîner avec Julien Clerc ou Coluche. Notre père, qui n’avait jamais pu vivre de sa plume de romancier, ne comprenait pas comment on pouvait gagner autant d’argent avec une « chansonnette » écrite sur un flipper dans un bistrot. Lui était obligé de cumuler plusieurs boulots pour nourrir les siens.

Quand il venait, il s’isolait dans un coin

Renaud en a éprouvé beaucoup de culpabilité. Mais notre côté protestant l’enferrait dans sa pudeur ; chez nous, on ne parle pas d’argent à table. Ça a créé une distanciation socio-­économique. Malgré tout, Renaud nous a aidés en nous proposant, à Thierry et à moi, de gérer ses éditions musicales. Mais on le voyait moins durant nos déjeuners de famille. Quand il venait, il s’isolait dans un coin. Peut-être qu’il avait trouvé une deuxième famille…

Louane : « Je ne peux plus écouter ‘Mistral gagnant’ »

Chanteuse, a repris « La Mère à Titi » sur l’album « La Bande à Renaud volume 2 » (2014)

Renaud a marqué mon enfance, comme celle de beaucoup d’autres gens du Nord. Mon père était fan, je l’entends encore chanter lors de nos déjeuners de famille. Je ne sais pas si Renaud est conscient du nombre de destins qu’il a accompagnés. Avec lui, j’ai appris une langue à part et fixé des souvenirs intimes. Mistral gagnant est ainsi à la fois ma chanson préférée et celle qu’il m’est le plus difficile d’écouter aujourd’hui que mon père est parti… En rencontrant le chanteur de mon enfance en vrai, pour l’album La Bande à Renaud, j’avais une crainte terrible d’être déçu par l’homme, qu’il ne soit pas à la hauteur de ce qu’il avait apporté à ma famille. J’ai été heureuse de découvrir quelqu’un de doux et lumineux.

Danièle Gilbert : « On craignait qu’il renverse le gouvernement »

Animatrice de « Midi première » (TF1), où Renaud a fait sa première télévision, le 10 avril 1975

Un jour, je reçois un disque chez moi. Cette belle petite gueule sur la pochette me rend curieuse. Je découvre des chansons dont il émane une poésie du bitume et je décide aussitôt de l’inviter dans Midi première, que je venais de lancer. C’était sa première télévision. Personne n’en voulait, on devait craindre que sa chanson, Camarade bourgeois, renverse le gouvernement! Mais tous les figurants d’un téléfilm qui se tournait dans les studios à côté se sont invités sur le plateau pour l’écouter… Je l’ai fait venir d’autres fois, notamment à l’occasion d’une spéciale Festival de Cannes. La casquette gavroche et les paillettes, je trouvais que ça allait bien ensemble! Je ne l’invitais pas pour lui faire plaisir, mais parce que j’étais persuadée de ne pas être la seule à l’aimer. Renaud, c’est un aspirateur affectif. Il apporte un univers authentique et on a envie de le protéger.

Clémentine Autain : « Il était un marqueur de gauche »

Députée La France insoumise

Comme beaucoup de gens de ma génération, j’ai grandi avec Renaud. Je suis même sûre de l’avoir entendu dans le ventre de ma mère! A l’adolescence, j’ai appris ses chansons par cœur, entonné Manu ou Hexagone avec les copains au lycée ou en soirées. Renaud était comme un ciment entre nous. A travers lui, nous partagions nos colères et nos galères. Un titre comme Dans mon HLM tranchait, ses expressions aussi. Entendre parler des quartiers populaires, de réalités sociales si absentes des tubes français faisait un bien fou. L’univers de Renaud n’était pas celui de la bourgeoisie parisienne. C’était un marqueur fédérateur de gauche, quand Michel Sardou incarnait une droite fière de chanter « je suis pour » la peine de mort.

J’ai offert à mon fils de 12 ans, à sa demande, l’intégrale de Renaud

J’avoue ne pas écouter le Renaud d’aujourd’hui, qui me touche moins, qui ne me parle plus. Je préfère la façon dont Francis Cabrel a fait évoluer ses textes, tout en affirmation subtile d’une sensibilité sociale et écologique qui me ravit. S’il en est un qui m’accompagne depuis toujours et ne m’a pas lâchée, c’est plutôt lui. Mais j’ai offert à mon fils de 12 ans, à sa demande, l’intégrale de Renaud et les partitions pour piano de ses chansons. Ce passage d’une génération à l’autre m’a troublée…

Frank Margerin : « Il chantait la zone, je la dessinais »

Auteur de BD et de l’affiche de l’exposition à la Philharmonie

Avec Renaud, on a trois mois d’écart et beaucoup de points communs. J’ai grandi dans une HLM de la porte d’Asnières, lui de la porte d’Orléans. Jeunes, on se ressemblait, tout maigres et les cheveux longs. Il chantait la zone, je la dessinais. Mon héros Lucien, plutôt rockabilly à banane au départ, s’est rapproché petit à petit de Renaud. J’ai d’ailleurs glissé des clins d’œil dans certaines planches… Pour l’affiche de cette expo, la Philharmonie m’a demandé de reprendre l’idée du rockeur aux jambes arquées que j’avais utilisée en 1986 pour la couverture de La Bande à Renaud, l’album collectif où des dessinateurs mettaient ses chansons en images. Moi j’avais illustré Le Retour de la Pépette, mais j’aime aussi beaucoup Mistral gagnant. Renaud est lui-même un grand collectionneur de BD. Même s’il en a beaucoup revendu, il possède plein d’albums des années 1940 et 1950, notamment de vieux Tintin. Les Belges lui reprochent d’ailleurs d’avoir pillé leur patrimoine!

Il a repris la boisson, mais rien de méchant

Sans être intimes, on se connaît depuis les années 1980. Je l’ai revu il y a trois semaines dans le Sud, à une fête chez Marc Cuadrado [avec qui Margerin publie la série Je veux une Harley], puis on a dîné ensemble le lendemain à L’Isle-sur-la-Sorgue. Il a repris la boisson, mais rien de méchant. Il peut craquer à cause d’une contrariété, comme l’accueil fait à sa Corona Song cet été qu’il a mal vécu. Mais je ne pense pas qu’il replongera.

 

Source : Le Journal du Dimanche