Ma vie dans l’opposition

Charlie Hebdo

N° 42, 14 avril 1993

Renaud : Bille en tête

De notre envoyé spécial chez moi

Suivant les conseils de mon rédac’chef, cette semaine je suis parti en reportage. Mais pas loin. J’ai été acheter du pain, des clopes, des journaux, j’ai emmené ma fille à l’école, j’ai promené mon clebs autour de l’arbre en bas, je suis passé deux fois au journal, j’ai été deux-trois fois au cinoche et une fois à l’Olympia.

Je rapporte des chroniques pour au moins six mois.

Alors, dans l’ordre : la boulangerie. Y avait plus de pain. Ah ! y commence bien, le redressement de l’économie façon Balladur ! Je m’excuse, mais sous la gauche y’avait du pain… Bon… J’ai pris du en-tranches, tout blanc, tout mou, plus joli qu’une éponge mais même goût. Ensuite, le bureau de tabac. Toto mon chien veut pas y entrer, traumatisé qu’il est par les deux bergers allemands du patron qui ont voulu le bouffer quand il était tout môme. Tant pis, il attend dehors et il pisse sur la devanture pour se venger. Pendant ce temps, à la caisse, je gratte un ticket du « Millionnaire », histoire de passer un peu à la télé, mais je gagne mes couilles, passez-moi l’expression. Alors ? C’est ça, l’égalité des chances ? Ah ! elles étaient belles, les promesses électorales !

Troisième étape de ma journée de petit reporter, mon marchand de journaux. Je lui demande El Moudjahid, quotidien algérien, il l’a pas ! Et ben, tu vois, j’en étais presque sûr. L’enfoiré a attendu douze ans que la France passe de l’ombre du socialisme à la lumière libérale pour laisser éclater ses plus vils instincts racistes. Ensuite, promenade du chien. Les moto-crottes de Chirac passent jamais par ma rue. Pas grave, Toto fait où on lui dit de faire. Je lui dis de faire vite. Là, au pied de l’arbre, sur le seul trottoir du quartier pas macadamisé, sur ce gravier ignoble où trois cents clébards viennent chaque jour engraisser les marronniers et conchier mes santiags. Y m’semble que sous la gauche ma rue était plus clean, mais bon j’peux m’tromper…

Reportage au bahut de ma môme : occupé depuis six semaines par les élèves qui retiennent le dirlo en otage. Ils réclament, pêle-mêle : la paix en Yougoslavie, la libération de Jean-Philippe Casabonne, l’arrêt des bavures policières, la démission de Pasqua et la grossesse à neuf mois. Les murs sont couverts de posters de Che Guevara, de Salvador Allende, de Makhno, de Thomas Sankara et de moi. En énorme, dans la cour de récré, ils ont bombé : « Soyez réalistes, demandez l’impossible ! »

Mais non, c’est pour rire, c’est même pas vrai ! Au lycée de ma fille, ils sont hyperréalistes, ils ne demandent rien. Et ils l’ont…

Bon, je vais quand même garder quelques épisodes de ce reportage sur ma vie dans l’opposition pour les semaines à venir… Il me reste entre autres à vous raconter l’ambiance chez Charlie Hebdo un soir de bouclage, le vrombissement des rotatives, le parfum de l’encre noire sur les blouses grises des imprimeurs, la frénésie autour du marbre et les aboiements du rédac’chef envoyant de toute urgence « un de ses gars » en reportage dans le frigo pour voir s’il reste de la bière.

Et pi mes impressions sur le spectacle de Vanessa Paradis à l’Olympia, qu’ils vont nous classer « monument historique ». Pas Vanessa, l’Olympia, pas la petite propre, la grande salle… J’y reviendrai, mais, en gros, je peux déjà vous dire que ça joue plus fort que chez Font et Val, pis qu’elle est mieux roulée que moi…

 

  

Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud