Un homme, une femme, un tube. Dans l’histoire des succès musicaux, la formule du duo a souvent fait figure de martingale.
Un homme, une femme, un tube. Dans l’histoire des succès musicaux, la formule du duo a souvent fait figure de martingale. Le public, ce grand sentimental, aime l’association du grave et de l’aigu, du masculin et du féminin. Un format on ne peut plus approprié aux grandes histoires d’amour. Récemment, les maisons de disques et la télé-réalité ont usé et abusé de la recette magique qui, dans l’idéal, permet de doubler le nombre d’acheteurs potentiels. Quitte à faire revenir Dalida d’outre-tombe pour pousser la chansonnette en direct avec les stars du moment.
Ce n’est pourtant pas avec une chanson d’amour que Renaud Séchan a atteint le Nirvana commercial : Manhattan-Kaboul, locomotive de l’album Boucan d’enfer, évoque les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Les deux personnages ne s’aiment pas ; d’ailleurs ils ne se connaissent même pas et meurent à la fin. Ce qui n’a pas empêché le single de s’écouler à plus de 500 000 exemplaires, et l’album de dépasser les 2 millions.
Le chanteur précise : « En aucun cas je n’ai pensé sacrifier à la mode des duos. Je n’en avais jamais fait jusque-là et m’en passais fort bien. Mais dès l’écriture des premières lignes de la chanson, dès que j’ai compris que mon stylo me dirigeait vers l’histoire commune de deux individus, l’un homme, l’autre femme, l’évidence du duo s’est imposée. Malgré tous les petits problèmes que cela risquait d’engendrer : promo commune, comment la chanter sur scène si ma « duettiste » n’est pas là, problèmes contractuels, etc. »
La chanson, composée par Jean-Pierre Bucolo, dormait depuis des années dans un tiroir, avec des paroles provisoires en anglais et un titre de travail plutôt modeste : I Get on The Bus (Je monte dans le bus). « Je trouvais cette maquette pas mal, efficace, mais aucune idée de texte ne me venait. Jean-Pierre Bucolo a décidé, alors que l’enregistrement de l’album était quasiment terminé, de l’enregistrer quand même, comptant sur une inspiration de dernière minute. » Une méthode qui a fait ses preuves : vingt ans plus tôt, le nostalgique Mistral gagnant avait été écrit ainsi, à la va-vite. Manhattan-Kaboul suivra le même chemin et naîtra sur le coin d’un canapé du studio, en un seul jet.
Renaud imagine deux anonymes aux vies parallèles. D’un côté, un « petit Portoricain, bien intégré, quasiment New-Yorkais », un trader qui débute sa journée de travail dans une tour du World Trade Center ; de l’autre, une « petite fille afghane » qui vit sous le joug taliban. Les deux trajectoires se croisent en même temps qu’elles se brisent : un avion tombe sur la tour à New York, une bombe américaine réduit en cendres le village afghan. Pas de coupable, pas de responsable, à part la « violence éternelle ». « Je ne voulais pas en faire une chanson « politique », pas prendre parti, indique le chanteur. Je déteste autant le terrorisme islamiste ou autre que l’impérialisme ricain. Juste parler de deux quidams anonymes, victimes innocentes des événements, de la géopolitique, d’agissements criminels. »
Le duo écrit, restait à trouver une partenaire. Une tâche ardue pour l’artiste à la voix blanche, dont les chansons ont toujours intimement épousé les colères et les galères. C’est particulièrement le cas de Boucan d’enfer, né après une rupture amoureuse, suivie d’un long tunnel dépressif et alcoolisé. C’est finalement la Belge Axelle Red, auteure de ballades acides, qui interprétera l’Afghane. « Je la connaissais un petit peu, nous étions dans la même maison de disques et elle habitait Bruxelles, où justement j’enregistrais. On ne l’associe pas forcément à mon univers, peut-être, mais quelle chanteuse y aurait-on associé ? Colette Magny ? Catherine Ribeiro ? » Après tout, Axelle Red a aussi écrit une chanson sur le 11-Septembre, Venez vers moi, qui vilipende le fanatisme religieux, chrétien ou musulman.
L’association Renaud-Red s’avère fructueuse au-delà des espérances. Si quelques fans historiques regrettent les « chansons-colères » de Renaud, comme le célèbre Hexagone (dans le premier album de Renaud paru en 1975), le grand public, lui, plébiscite Manhattan-Kaboul. Le titre remporte une Victoire de la musique (Renaud en gagnera trois avec l’album Boucan d’enfer ) et les NRJ Music Awards. Et Renaud ne boude pas son plaisir. Car, après avoir touché le fond, il veut qu’on l’aime. « NRJ a eu la gentillesse de nous programmer intensivement (c’était bien la première fois depuis vingt ans que cela m’arrivait), je ne leur avais pas fait des pipes pour ça ! J’ai, par politesse et vis-à-vis d’Axelle et Bucolo, impliqués comme moi dans l’aventure, et, allez, d’accord, avouons-le, peut-être pour satisfaire mon ego après des années noires, peut-être par besoin de reconnaissance du métier, accepté de me rendre à Cannes pour recevoir ces trophées. »
Renaud, qui reprend goût à la vie, prend aussi goût aux duos. Il en a interprété un autre, Anaïs Nin, avec Romane Serda. Une histoire d’amour cette fois, avec violons et piano, entonnée avec celle qui aurait, sans doute, chanté Manhattan-Kaboul si elle était entrée dans sa vie un peu plus tôt.
Claire Guillot
Source : Le Monde