Jeudi 28 novembre 1991
Avec son Putain de camion, il y a trois ans, Renaud pleurait sur la mort d’un ami célèbre, mais aussi sur celle de pas mal d’illusions et d’espoirs. Lui qui avait, très officieusement, orchestré la campagne pour un deuxième septennat de François Mitterrand en inventant le fort médiatique slogan « Tonton, laisse pas béton » consacre ici à l’intéressé (?) une bien étonnante chanson.
Sa sympathie pour l’homme vieillissant (« il est la force tranquille, sereine / il est comme un grand chêne / il sait la futilité / de toute chose / la douceur et la fragilité / des roses ») se heurte au constat désabusé d’une colère présidentielle pour un caillou dans « sa chaussure / Un vieux rhume qui dure / et puis cet nuit, Misère / Il a rêvé / qu’un beau jour / la gauche revenait ».
Le disque est à l’image de cette chanson : tout de tendresse (ah, Dans ton sac !) et de révolte, de naïveté mais aussi de lucidité. Engagé , oui, mais non idéologue, Renaud clame dès la chanson-titre qui introduit le CD : « J’veux partager mon Macdo / avec ceux qui ont faim / J’veux donner d’l’amour bien chaud / à ceux qu’ont plus rien / est-ce que c’est ça être coco / ou être un vrai chrétien / Moi j’me fous de tous ces mots / j’veux être un vrai humain ». Le chanteur qui s’est déclaré « énervant » se dit à présent « énervé par France Intox » et pique une belle colère contre le Paris-Dakar (500 Connards sur la ligne de départ). Sains emportements, en une époque de « surhommes » médiatisés à tous les coins de brousse. Crédible, le chanteur n’oublie pas de se moquer de lui-même et de son métier : Ma chanson leur a pas plu offre une suite plaisante à celle qui, voici quelques années, nous avait déjà bien fait rire.
L’écriture de celle-ci est encore mieux maîtrisée. C’est d’ailleurs une des remarques que l’on a plaisir à se faire durant les cinquante-deux minutes du voyage : sans renoncer à son franc-parler, à ses raccourcis saisissants et à ses formules à l’emporte-pièce qui ont toujours fait, au choix, son charme ou son style, Renaud évite plus soigneusement que naguère les facilités de plume qui le firent taxer, parfois à juste titre, de « démago ». Tout se passe comme si l’auteur de Laisse béton avait mûri, tout en se rendant compte que son public en avait fait de même. Du coup, et sans trahir ce dernier, il se met en position d’être désormais apprécié aussi de ceux qui, quoique proches de lui par la pensée, restaient « énervés » par la forme.
Il y sera sûrement aidé par la qualité de l’enregistrement, naturel et fluide, et des arrangements de Pete Briquette qui, adepte de la ligne claire, a laissé la voix respirer et les textes s’exprimer pleinement. On peut fustiger la démarche consistant, pour un chanteur français, à aller chercher un studio et des musiciens à Londres (et bien content si ce n’est pas New York ou Los Angeles ! ). Nous n’entrerons pas ici dans cette querelle d’école, d’autant que Renaud est loin d’être le seul concerné.
On doit en revanche se réjouir qu’il y ait trouvé de véritables complices et une panoplie d’instruments (guitares, mandoline, violon, ukulele, accordéon, flûte) propres à servir le propos. L’admiration de Renaud pour les Pogues mais aussi, sans doute, pour d’autres sources traditionnelles irlandaises (pistes suggérées : Planxty, Chieftains, Clannad), ainsi que la discrète participation de ses copains Murray Head et Bob Geldof, sont passées par là. Et par instants, (en particulier la Ballade nord-irlandaise sur la musique traditionnelle The Water Is Wide, autrefois chantée par Pete Seeger et adaptée en français par Graeme Allwright), Renaud touche à un but qu’il ne s’était peut-être jamais assigné ou avoué : être un folksinger de langue française en même temps qu’un citoyen du monde chantant.
JACQUES VASSAL
Source : Le HLM des Fans de Renaud