‘Marchand de cailloux’ de Renaud sortait il y a 30 ans

Textes, Blog & Rock’n Roll

PAR JEF |  | 3% COMMENTAIRES | ALBUMSFRANCAIS

Le 1er octobre 1991 arrivait dans les bacs le 9ème album studio de Renaud. Après la ‘Putain d’Expo!’ samedi dernier, retour sur un disque un peu mésestimé du chanteur énervant.

Cliquez sur la pochette pour lancer la playlist de l’album

Un album un peu moins bon ?

Marchand de cailloux est rarement cité dans les disques préférés du public de Renaud, et reste souvent discret par rapport aux grands opus de 1975 à 1985. J’en ai même entendu dire que c’était son pire album. Il s’est effectivement moins bien vendu que son prédécesseur Putain de camion et son successeur À la Belle de Mai. Pourtant, il a quand même obtenu un Grand Prix de l’Académie du disque Charles Cros. Pour ma part, même si je ne le place pas au niveau des grands crus de la discographie de Renaud, je lui trouve quand même un côté attachant, et plusieurs chansons sont très bien écrites et joliment composées.

Il est enregistré à Londres pendant la Guerre du Golfe, ce qui vaut au chanteur d’indiquer sur la pochette « Enregistré et mixé au Studio SARM WEST du 10 janvier au 15 mars pendant leur sale guerre »L’épisode Miss Maggie en 1985 n’a visiblement pas rebuté le chanteur français à aller enregistrer son disque outre-manche. Et les sessions accueillent la participation de vedettes anglo-saxonnes telles Murray Head, Bob Geldof, Mickey Feat, aux chœurs, ou des pointures pour l’instrumentation comme Sir Geoffrey Richardson, Danny Thompson, Phil Palmer (bien connu des fans de Dire Straits).

Influence irlandaise

Plutôt que londonienne, la couleur musicale de l’album est franchement dublinoise. Car en plus d’aller enregistrer en Angleterre, Renaud en profite pour la jouer poil à gratter et pointe la politique britannique répressive en Irlande du Nord dès l’ouverture sur le morceau-titre.

« Pourquoi des gros dégueulasses
Font du mal partout
Pourquoi les enfants d’Belfast
Et d’tous les ghettos
Quand y balancent un caillasse
On leur fait la peau »

L’auteur utilise la voix de sa fille pour exprimer sa révolte. Une façon innocente d’appréhender le monde (« Moi j’me fous de tous ces mots, J’veux être un vrai humain ») tout en apportant une touche d’autodérision à la fin (« Si tu t’sers de moi, trouillard, Pour chanter tes conneries »). Un parolier touchant mais lucide, et jamais condescendant envers lui-même.

La pochette du 45T reprend la photo du dos de l’album et est une référence à celle de Born in the USA de Springsteen, une des idoles de Renaud, comme l’explique un des espaces de la Putain d’Expo!

Musique celtique dansante avec violons et guitares acoustiques rythmées, l’ambiance est posée dès ce premier morceau. On retrouvera une ambiance similaire quasiment tout au long de l’album : banjo, mandoline, flûtes… un côté limite bluegrass sur 500 connards sur la ligne de départ et Les dimanches à la con, voire presque klezmer sur Ma chanson leur a pas plu (suite). Et cette couleur folk celtique trouve son apogée dans la reprise d’un air traditionnel irlandais, sur lequel Renaud pose ses paroles : La ballade Nord-Irlandaise reprend la musique de O’ Waly, Waly, appelé aussi The water is wide (► Ma chronique sur le sujet)

Le Renaud social toujours bien présent

Mais cette atmosphère festive semblable aux chants de marins ne saurait cacher des paroles vindicatives à l’égard des oppresseurs de tout poil. Le texte de Renaud détourne habilement La ballade irlandaise d’Eddy Marnay (immortalisée par Bourvil) pour y placer son message de liberté. Et le clip va droit au but en affichant « free Ulster » à la toute fin.

La verve révoltée du chanteur énervant est bien présente sur tout le disque. 500 connards sur la ligne de départL’aquariumLe tango des élus ou Olé ! montrent une plume aiguisée où l’auteur d’Hexagone ne mâche pas ses mots.

© Denys Legros

Dans P’tit voleur, Renaud prend la défense de ceux qu’on pourrait qualifier de « voleurs de pomme », comme disait Brassens dans La mauvaise réputation. C’est la troisième chanson de l’album pour laquelle est tourné un clip. On y aperçoit Emmanuelle Béart.

Un texte qui n’est pas sans rappeler les personnages de La TeigneLes charognards ou Deuxième Génération. Les paroles évoquent même Manu, Pierrot et Angelo (de Baston!) comme pour faire écho aux anciens titres du chanteur.

Des chansons qui font écho à des anciennes

Plusieurs morceaux de Marchand de cailloux évoquent instantanément d’anciennes chansons de Renaud. Comment ne pas penser à Fatigué en écoutant les paroles désenchantées de L’aquarium ? Même thématique, même sentiment désabusé. Le tango des élus pourrait être la suite de Socialiste en accentuant la déception politique. Mais Tonton vient un peu contrebalancer l’amertume des désillusions. Bien que Renaud ait fait part à Mitterrand de son désaccord quant à la tenue du G7 en 1989, il laisse entrevoir toujours une tendre admiration pour l’homme, plus que le président. Il rendra même hommage à sa chienne Baltique, plus tard en 2002 dans l’album Boucan d’enfer. Renaud et Tonton, une relation compliquée…

Et dans la veine des ‘chansons-échos’, outre Je cruel qui pourrait au début faussement évoquer La pêche à la ligne (mais la suite des paroles lève toute ambiguïté), c’est surtout Ma chanson leur a pas plu (suite) qui s’affiche clairement comme un deuxième volet du morceau paru sur Morgane de toi. Avec Le retour de la pepette et Le Retour de Gérard Lambert, c’est à ma connaissance la seule autre chanson du répertoire de Renaud qui bénéficie d’une « suite ».

Le Renaud intime

L’autre élément qui inscrit cet album dans la continuité des précédents est la part d’intimité familiale qui transparait dans plusieurs textes. Depuis la naissance de Lolita en 1980, la fille de Renaud a constamment été un fil conducteur au cours des années et des chansons. Apparaissant pour la première fois dans J’ai raté télé-foot, morceau figurant sur Le Retour de Gérard Lambert (1981), elle prend de plus en plus d’importance au gré des albums. Morgane de toi (1983) bien sûr, puis Mistral gagnant (1985) placent Lolita au centre des chansons-phares. Dans il peut sur l’album Putain de camion (1988), le père commence à alerter sa fille sur les dangers du monde extérieur, et sa crainte de la voir partir. Il enfonce le clou ici avec C’est pas du pipeau, encore une chanson qui a tout l’air d’une suite…

Plus tard, dans A la belle de mai (1995), Renaud imaginera Lolita lui présenter son amoureux, et dans le disque de 2016, il s’adressera carrément à sa petite fille Héloïse, en même qu’à son fils Malone. La filiation Séchan se lit au fil des chansons.

L’histoire familiale a toujours été une part importante dans les textes du chanteur, et cet album n’y fait pas exception. On y retrouve l’auteur tendre et touchant : Dans ton sac et Je cruel montre un homme attachant, mais qui sait aussi assumer ses travers, tandis que Les dimanches à la con renouent avec sa nostalgie récurrente pour l’enfance. Et d’ailleurs sur une musique de Renaud.

Le Renaud compositeur

Parmi les 14 chansons, 5 musiques sont signées par Renaud. Les autres sont l’œuvre de entre autres le fidèle accordéoniste Jean-Louis Roques, le tout aussi fidèle Jean-Pierre Bucolo (le « titi » de la chanson), Renaud Detressan et Mourad Malki. Et c’est justement sur une musique de Renaud que se clôt l’album (Welcome Gorby qui apparait dans la playlist YouTube a été enregistré pendant les sessions, mais ne figure pas sur le disque). Le très beau Tant qu’il y aura des ombres, un de mes morceaux préférés de sa discographie.

Une belle façon de terminer un album qui est rarement mis en avant. Rien que pour ce final, il mérite d’être redécouvert. Même 30 ans après.

© Jean-François Convert – Octobre 2021

  

Source : Textes, Blog & Rock’n Roll